Lexbase Afrique-OHADA n°74 du 30 mai 2024 Voir tous les numéros

 
La revue juridique OHADA
lexbase Afrique-OHADA n°74
30 mai 2024

[Point de vue...] Le temps de franchir le Rubicon pénal dans l’OHADA
par Peingdweindé Jean OUEDRAOGO, Chargé d’enseignements à l’Université Lumière Lyon2, Membre du laboratoire Transversales

Généralités. Homo mercator vix aut nunquam potest Deo placere : « Le marchand ne peut jamais ou que difficilement plaire à Dieu » [1]. Ainsi disposait le Décret de Gratien [2] largement influencé par l’interprétation biblique de saint Augustin. Si aujourd’hui tous les hommes d’affaires ne sont pas pris pour véreux, si la profession de commerçant a une certaine noblesse ne serait-ce que pour la fortune qu’elle fait engranger pour l’individu et pour le pays[3], au moyen âge c’est tout homme qui exerçait le commerce qui était considéré délinquant. Dans la Grèce antique aussi les commerçants et les voleurs avaient le même Dieu : Hermès[4]. La délinquance d’affaires semblait donc consubstantielle au commerce. De nos jours, malgré le changement des mentalités, l’idée de fraude reste attachée à l’exercice du commerce. Une telle idée justifie l’émergence du droit pénal des affaires destiné à encadrer le phénomène. Ce faisant, le droit pénal se présente comme un outil de premiers plans pour la sécurisation des affaires. En Afrique de l’Ouest, l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique est l’entité emblématique en matière d’intégration du droit des affaires. L’OHADA a donc en toute logique fait recours au droit pénal pour la moralisation des affaires dans les dix-sept États [5]qui la composent. L’objectif du présent écrit est de contribuer à une uniformisation complète du droit pénal OHADA (II), car le législateur communautaire a fait le choix en cette matière d’une harmonisation parcellaire réduisant à néant l’objectif de sécurité visé (I). Dans la présente étude, nous ferons le parallèle entre le droit OHADA et les pratiques en cours dans les autres communautés africaines notamment l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), la Conférence interafricaine du marché des Assurances (CIMA), la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). La comparaison s’étendra au droit européen. Nous ferons également cas des implications du modèle d’intégration du droit pénal OHADA en droit interne en prenant l’exemple du Burkina Faso. Ce choix vient du fait que ce pays fait partie des États n’étant pas encore en phase avec le droit OHADA sur le plan pénal, mais surtout parce que c’est le droit local que nous connaissons le mieux. 

I. Les écueils liés à la fragmentation de la norme pénale dans l’espace OHADA

La construction d’un droit pénal communautaire par l’OHADA n’est pas singulière, car, diverses organisations d’intégration africaines[6] opérant dans le domaine économique disposent également d’un droit pénal des affaires. La particularité de l’OHADA vient de la fragmentation de la norme pénale. L’article 5 alinéa 2 du Traité de Port-Louis du 17 octobre 1993 révisé au Québec en 2008 N° Lexbase : A9997YS3 en effet dispose : « les actes uniformes[7] peuvent inclurent des dispositions d’incrimination pénale. Les États parties s’engagent à déterminer les sanctions pénales encourues ». Les sanctions pénales ont trait aux peines applicables à la violation de la loi. Elles peuvent consister en une mesure de sûreté[8] ou en une peine au sens strict. Contrairement à la sanction civile qui vise la réparation d’un dommage, la sanction pénale a pour but d’infliger une punition au délinquant ou tout au moins avoir un effet dissuasif. « L’incrimination » est « le fait d’ériger un comportement en infraction en l’assortissant de sanction pénale »[9].L’OHADA fait, cependant, le départ entre l’incrimination strictement entendue comme les éléments matériels et moraux du comportement prohibé et la sanction appliquée à ce comportement. C’est d’une telle acception de la notion que vient le partage de compétences entre le législateur communautaire et les législateurs nationaux. Cette approche conceptuelle nous permet de mieux appréhender la thématique, objet de la présente réflexion. L’on s’interroge, en effet, sur le bien-fondé de l’adoption par le législateur OHADA de la technique de la dualité normative consacrant l’éclatement entre la norme de définition de l’incrimination et celle de la fixation de la peine correspondante. La difficulté majeure à laquelle fait face le législateur OHADA étant l’attachement des États-parties à la souveraineté[10] répressive, l’on s’interroge sur un possible aménagement de cette souveraineté. L’uniformisation des peines serait-elle, en effet, une pierre de Sisyphe[11] dont la tentative ne pourrait se solder que par l’échec ? Cette préoccupation est d’autant plus brûlante que, sollicités pour compléter la règlementation pénale communautaire par la fixation des peines, la plupart des États membres ont fait la sourde oreille. Sur les dix-sept États-parties, onze[12] ont édicté des sanctions. Le législateur a voulu ménager la susceptibilité des États, attachés qu’ils sont au « droit de punir ». En effet, le droit pénal, domaine par excellence des lois de police, est au cœur du sanctuaire de la souveraineté des États[13]. Au plan communautaire OHADA, le droit de fixer les peines demeure le dernier bastion de l’exercice direct de la souveraineté répressive par les États-parties. Ces États n’entendent guère perdre cette dernière parcelle de compétence répressive. Cependant, quatre-vingts ans après le procès célèbre des criminels nazis[14] qui a consacré à l’échelle universelle l’internationalisation du droit pénal, il y’a lieu de se demander si la souveraineté est encore un « Rubicon » infranchissable par le législateur OHADA. L’uniformisation des incriminations[15] déjà réalisée ne s’est pas faite sans l’accord des États, est-il encore objectivement soutenable d’alléguer une quelconque réticence de la part de ces mêmes États pour abandonner l’objectif d’intégration juridique en n’opérant pas une unification des peines ? Nécessité oblige ! L’état actuel du droit communautaire n’est guère reluisant. Si, le législateur semble se contenter du rôle de détermination des incriminations qui lui est assigné par l’alinéa 2 de l’article 5 (A), la réalité est beaucoup plus complexe (B). 

 A. Des incriminations définies par le législateur OHADA 

En rappel l’article 5 alinéa 2 du traité OHADA N° Lexbase : A9997YS3 dispose : « … les actes uniformes peuvent inclurent des dispositions d’incrimination pénale… ». En application de cette règle, certains actes uniformes contiennent des prohibitions à caractère pénal. Dans l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupe d’intérêt économique du 30 janvier 2014 N° Lexbase : A0024YT3[16], la troisième partie est consacrée aux dispositions pénales. Elle traite des infractions relatives à la constitution des sociétés (articles 886 à 888), à la gérance, à l’administration et à la direction des sociétés (articles 889 à 891), aux assemblées générales (article 892), aux modifications du capital des sociétés anonymes (articles 893 à 896), au contrôle des sociétés (articles 897 à 900), à la dissolution des sociétés (article 901), à la liquidation des sociétés (articles 902 à 903). L’article 905 est, enfin, consacré à des infractions en cas d’appel à l’épargne. L’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupe d’intérêt économique n’est pas seul à contenir des dispositions pénales. Deux dispositions de l’acte uniforme portant sur le droit commercial général du 15 janvier 2010 N° Lexbase : A9978YSD[17] sont de nature pénale. L’article 43 a trait au défaut d’immatriculation et à l’immatriculation frauduleuse. À l’article 68, c’est l’inscription frauduleuse ou inexacte de sûreté mobilière qui est visée.L’acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution N° Lexbase : A6607134[18] prévoit quelques incriminations. L’article 231 en ses alinéas 5 et 10 fait obligation à l’huissier ou à l’agent d’exécution d’indiquer et de reproduire les textes pénaux relatifs au détournement de biens saisis. L’acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif N° Lexbase : A0133YT4[19] consacre son titre V à la banqueroute et autres infractions (articles 226 à 246). Les articles 245 et 246 prévoient les conséquences civiles et des peines complémentaires à prononcer suite à une déclaration de culpabilité du chef de ces infractions (annulation des conventions, affichage et publication des décisions). L’article 43 de cet Acte uniforme, il faut le noter, fait allusion à la responsabilité pénale des syndics en leur qualité de mandataires rémunérés. C’est une évocation[20] de l’infraction d’abus de confiance non expressément visée par cet instrument. 

Le législateur semble être, toutefois, à l’étroit dans le domaine de compétence qui lui revient. Il s’arroge le pouvoir de prendre des sanctions. Une telle attitude fait preuve de beaucoup d’incohérences. 

B. De l’application lacunaire de l’article 5 al 2 par le législateur communautaire

 Trois sortes d’insuffisances caractérisent l’œuvre du législateur OHADA : la délimitation insuffisante du domaine du droit des affaires, l’ignorance de la responsabilité des personnes morales[21] et la fixation de peines. Cette dernière lacune est l’illégalité la plus emblématique. Unifier le droit des affaires est une chose. Connaître le domaine de ce droit en est une autre. La délimitation du domaine du droit des Affaires ne fait pas l’objet d’une appréciation unanime, en effet. Les théoriciens s’accordent, cependant, à reconnaître qu’il va au-delà du droit privé dont il exclut d’ailleurs le droit des personnes et de la famille ainsi que les successions et libéralités. Ces auteurs soutiennent qu’il englobe le droit public économique[22]. Le législateur refuse de s’immiscer dans ce débat doctrinal. Il utilise plutôt une méthode pragmatique. Il procède par une énumération de certaines matières dont il ne clôt pas la liste puisse qu’il donne la possibilité au conseil des ministres d’inclure des matières non mentionnées. L’article 2 du traité N° Lexbase : A9997YS3  est ainsi formulé : « Pour l’application du présent Traité, entrent dans le domaine du droit des affaires l’ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports, et toute autre matière que le Conseil des ministres déciderait, à l’unanimité, d’y inclure, conformément à l’objet du présent Traité et aux dispositions de l’article 8 ci-après ». Cette disposition a le mérite de circonscrire un tant soit peu le domaine du droit des affaires. Toutefois, cette insuffisante délimitation se répercute sur le domaine du droit pénal communautaire qui ne peut que se couvrir d’incertitudes pour une matière qui se veut très précise. En effet, si l’article 2 devait servir de repère, l’objet du droit pénal serait la prévision des incriminations qui encadrent les matières citées. Or, le droit pénal des affaires ne s’enferme pas dans le carcan des sociétés commerciales. En réalité, il est à la fois le droit pénal de l’activité économique et le droit pénal de l’activité commerciale des personnes physiques et morales. Par ailleurs, l’énumération restrictive de l’article 2 n’inclut pas d’autres matières qui relèvent du droit des affaires, telles que le droit de la consommation, le droit de la concurrence, le droit bancaire, le droit des marchés publics, le droit des assurances, le droit pétrolier, le droit de la propriété intellectuelle, le droit des changes, etc. Certaines de ces matières sont déjà prises en charge par d’autres organisations africaines d’intégration,[23] mais en l’absence de conventions règlementant un quelconque partage de compétences entre ces différentes organisations, il y’a lieu de noter que leur omission par le législateur OHADA ne semble pas du tout justifiée.L’inconvénient majeur de cette délimitation insuffisante du domaine des affaires est que les États seront tentés de définir leurs propres incriminations afin de « boucher » les « trous d’impunité laissés par le législateur communautaire »[24] ce qui serait l’application du principe de subsidiarité. Ce principe voudrait que la communauté intervienne seulement si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire. La répartition de compétences opérée par l’article 5 alinéa 2 du traité N° Lexbase : A9997YS3 attribue le pouvoir de définition des incriminations au législateur communautaire et celui des sanctions aux États. Chacun des protagonistes de l’élaboration de la norme pénale communautaire devrait se cantonner au pouvoir à lui attribué. Le respect de cette répartition ne permet aucunement à un État de se substituer au législateur communautaire pour définir des incriminations. Le contraire ne pourrait que porter un coup sévère à l’objectif d’homogénéisation des règles juridiques.L’insuffisante délimitation du domaine du droit des affaires et par ricochet celui du droit pénal des affaires n’est cependant pas la plus grave des incohérences du législateur communautaire. Contrairement aux prévisions de l’article 5 alinéa 2, le législateur OHADA ne se limite pas à la définition des infractions punissables. Il édicte des peines complémentaires ou accessoires, voire des quanta de peines principales. À titre illustratif, les articles 199 et 246 de l’acte uniforme portant sur l’organisation des procédures collectives d’apurement du passif N° Lexbase : A0133YT4 établissent des peines d’affichage et de publication aux frais des condamnés, ainsi que la privation du droit de vote. L’article 203 du même Acte uniforme arrête même un plancher (trois ans) et un plafond (dix ans) de peine applicable à la faillite personnelle. Des dispositions similaires se retrouvent dans les articles 10 et 11 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général N° Lexbase : A9978YSD. Cette attitude est tout à fait surprenante. Le législateur s’arroge le pouvoir de fixer les sanctions au mépris du soi-disant respect de la souveraineté répressive des États. Cette illégalité flagrante (non-respect de l’article 5 alinéa 2 du Traité OHADA N° Lexbase : A9997YS3) est dans une certaine mesure, la preuve que le législateur communautaire reconnaît lui-même la nécessité d’unir le pouvoir d’incrimination et celui de sanction entre ses mains. L’œuvre du législateur en matière pénale ne cessera d’étonner. Jamais « communautaire » n’a rimé autant avec « lacunaire ». Après avoir évoqué l’idée d’une modernisation du droit[25], le législateur commet une omission remarquable. Il renvoie, en effet, la règlementation de la responsabilité des personnes morales aux calendes grecques. Dès 1841, le Royaume-Uni reconnaissait cette responsabilité bien qu’il faille admettre le caractère récent de cette reconnaissance dans les autres pays de l’Union européenne. En droit français, le principe « sociétas delinquere non potest »[26] a longtemps prévalu avant de disparaître avec l’adoption du Code pénal de 1994[27]. La reconnaissance de cette responsabilité a été due à la multiplication exponentielle des personnes morales et, corrélativement, de la criminalité d’affaires. Nul ne saurait nier l’existence de ce phénomène criminel dans l’espace africain des affaires. Le législateur OHADA a-t-il des raisons de ne pas en tenir compte ? Nous ne le pensons pas. Invitation lui est donc donnée de faire preuve de réalisme dans une prochaine révision de l’Acte uniforme relative aux sociétés commerciales et au Groupement d’intérêt économique N° Lexbase : A0024YT3.

Des développements qui précèdent, il apparaît que la dichotomie opérée par l’article 5 alinéa 2 du Traité N° Lexbase : A9997YS3 est sans objet puisse que le législateur communautaire édicte lui-même des sanctions en violation de cette règle. Pour plus de cohérence, il convient de réécrire l’article 5 alinéa 2 pour mettre fin à la fragmentation de la norme pénale et permettre au législateur d’harmoniser les peines en toute légalité. 

II. De la nécessité d’une communautarisation des sanctions pénales dans l’espace OHADA

Pour le Professeur Mohamed Bachir Niang, la « communautarisation du droit » est « le processus de transfert de compétence d’États souverains vers un organe regroupant plusieurs États situés dans une même région ou continent »[28]. Dans l’OHADA, un tel transfert de la compétence en matière de fixation des peines est de toute nécessité pour une uniformisation complète de la matière (A). Une analyse prospective de la question pourrait ouvrir au législateur communautaire les chantiers d’une complète uniformisation du droit pénal dans l’espace OHADA (B).

A. De l’uniformisation des peines au bénéfice de la cohérence juridique théorique

Le partage de compétences résultant de l’alinéa 2 de l’article 5 donne lieu à une fragmentation de la norme pénale (1) et à une application inédite du principe de la légalité pénale (2) raison pour laquelle l’uniformisation des peines fait l’objet de tous nos vœux.

1- De l’unification de la norme pénale fragmentée

Nous avons déjà émis des réserves à l’assertion de Michel Mahouve selon laquelle en droit international, il était exceptionnel que la norme conventionnelle détermine à la fois les incriminations et les peines[29]. Pour le contexte africain, en effet, c’est la fragmentation de la norme pénale qui constitue l’exception[30]. L’OHADA, contrairement à la plupart des organisations d’intégration africaines qui l’ont précédé, a choisi le modèle de la dualité normative. C’est-à-dire « un partage de compétence entre l’OHADA qui peut définir les éléments matériels et moraux de l’infraction et les Etats-Parties qui déterminent les sanctions pénales que leurs auteurs encourent. Ainsi, le droit pénal des affaires se trouve-t-il éclaté en deux compétences et deux temps »[31]. La dualité normative sauvegarde un tant soit peu la souveraineté répressive des États-parties, mais à quel prix ? L’éclatement inapproprié entre la norme d’incrimination et la norme de sanction a été le prix à payer. Pire, on s’est largement retrouvé sans lois de répression complétant les incriminations uniformes définies par le législateur communautaire. Peut-on dans un tel contexte parler d’infractions communautaires ? Pour les douze (12) pays qui n’ont pas encore rempli leur obligation en matière d’édiction de normes de répression, la réponse est certainement négative sauf à considérer le dépassement de pouvoir opéré par le législateur communautaire par l’adoption de sanctions[32]. L’infraction[33], en effet, s’entend d’une action ou omission expressément prévue par la loi, qui la sanctionne par une peine en raison de l’atteinte qu’elle constitue à l’ordre politique, social ou économique. C’est la peine qui donne effet à la prohibition résultant de l’incrimination. « La peine, rappelle Michel MAHOUVE, est certes avant tout un instrument dont dispose l’État pour lutter contre les comportements jugés particulièrement antisociaux. Toute la philosophie de la peine se réfléchit alors dans ses fonctions : protéger la société, assurer la punition du condamné, favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion. C’est peut-être cette concentration fonctionnelle qui donne au droit pénal ce caractère “d’ultima ratio” qu’on lui reconnaît souvent »[34]. La peine vise, ainsi, deux objectifs. De façon préventive, elle vise à dissuader le délinquant de mettre en pratique son projet criminel. Lorsque le délinquant malgré tout viole la loi en accomplissant le comportement prohibé, la peine revient en aval lui faire subir les conséquences de son incurie. Du fait de l’absence des peines, le droit pénal OHADA manque gravement à son objectif qui est de réprimer la délinquance d’affaires. Ce qu’on appelle droit communautaire pénal des affaires n’est, actuellement, en fait qu’un mirage. Sans une fixation des peines, il n’intimide pas les délinquants et ouvre largement les portes à la criminalité internationale. On comprend alors le passage en force du juge européen. On connaît déjà le principe selon lequel les États européens sont souverains en matière pénale, la communauté bénéficiant d’un simple pouvoir d’influence minimale[35]. Malgré les vives protestations du conseil des ministres, le juge européen a reconnu à la commission compétence en la matière pour répondre aux objectifs communautaires. Cette décision[36] prise dans le cadre de la protection de l’environnement a en réalité une portée plus large. Chaque fois que l’intérêt communautaire serait en jeu, l’intervention de la commission en la matière serait justifiée. Le juge européen a fini par comprendre que la fin justifie les moyens bien que Bruno Gollnisch, député non inscrit au Parlement européen[37], parle de « coup d’État juridique. L’attitude courageuse du juge européen guidé par le pragmatisme devrait inciter le législateur OHADA à mettre fin au « concours de compétence, douloureux et inconfortable »[38] pour réunir les deux parties constitutives de la norme pénale à savoir l’incrimination et la sanction. La fragmentation de la norme pénale conduit, dans une large mesure, à l’anéantissement de la notion même de droit pénal communautaire du fait de l’absence de sanction. Ceci, par ailleurs, fait preuve d’une application inédite du principe de la légalité pénale.

2- De la réhabilitation du principe de la légalité pénale édulcoré

On entend par édulcoration, le fait d’adoucir ou de diluer la vigueur du principe. Comment ne pas parler d’édulcoration du principe de la légalité criminelle devant la parturition de la norme pénale communautaire ? La séparation entre la définition de l’incrimination et la fixation de la peine donne lieu à une fragmentation de l’élément légal des infractions d’affaires. Cela s’est opéré par l’attribution au législateur de la compétence en matière de définition des incriminations ce qui se fait en pratique par l’adoption d’actes uniformes. Quant aux législateurs nationaux qui ont accompli leur obligation, c’est par une loi que les peines sont fixées. Pour reconstituer une norme pénale communautaire OHADA, il faut accoler l’incrimination communautaire à la peine locale. Jean PRADEL pourtant rappelle que le principe de la légalité « signifie que toute règle pénale est contenue dans une loi »[39]. C’est-à-dire que la définition du comportement prohibé et la peine y relative sont toutes contenues dans la loi pénale. Le législateur OHADA avait deux préoccupations : sauvegarder la souveraineté étatique et respecter l’esprit du principe de la légalité. Face à l’attachement viscéral des Etats-Parties à la souveraineté répressive, le législateur a préféré tronçonner ce principe cardinal du droit pénal. L’éminent pénaliste Jean PRADEL ne pourrait que se sentir fort mal à l’aise lui qui reprochait déjà aux enseignants du droit pénal de cantonner la matière au droit pénal général alors qu’il est à la base de tout le droit pénal qu’il soit général, procédural ou spécial[40].C’est pourquoi il retouche la formule que le criminaliste bavarois FEUERBACH avait émise au XIXe siècle au sujet du principe de la légalité. Pour PRADEL au lieu du « Nullum crimen, nulla poena sine lege » de FEUERBACH, il faut dire « Nullum crimen, nulla poena, nullum judicium sine lege »[41]. Il faut peut-être rappeler l’origine du principe. Là encore, la doctrine ambiante mérite d’être amendée. On attribue la paternité de la notion à Montesquieu. Ce dernier a, en effet, affirmé en 1748 dans l’Esprit des lois, « les juges de la Nation ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi »[42]. Le principe a été identifié et conceptualisé au XVIIIe siècle par le pénaliste italien BECCARIA, mais il faut reconnaître que le principe a des origines plus anciennes qu’on ne le pense. Selon PRADEL, en effet, le principe apparaissait déjà dans le Code d’Hammourabi[43] et dans le droit romain[44]. Ce principe plurimillénaire a imprégné tout le droit pénal et constitue une protection du justiciable contre l’arbitraire du juge[45]. En droit pénal, le principe de légalité des délits et des peines impose qu’on ne puisse être condamné pénalement qu’en vertu d’un texte pénal précis et clair. Dans le contexte de l’OHADA, cette clarté ne semble pas être une préoccupation du législateur communautaire. En instaurant le partage de compétences, le législateur a écartelé la norme pénale. Il n’est pas évident que le juge chargé de l’appliquer puisse la reconstituer, encore moins le délinquant qui devrait la connaître avec clarté avant le passage à l’acte. Sans oublier que les deux dispositions peuvent intervenir en des dates différentes et en un temps relativement long. Plus d’une vingtaine d’années après l’édiction de certains actes uniformes contenant des incriminations, le Burkina Faso n’a pas pris les sanctions correspondantes. Si des sanctions devaient y intervenir aujourd’hui, il ne serait pas du tout commode pour le justiciable de rechercher l’incrimination. La complexité de cette recherche s’accroît lorsque le renvoi fait par l’Acte uniforme d’incrimination est différent de la situation qui a cours en droit interne. Ainsi, « la pénalisation par référence entraîne un affaiblissement de la légalité pénale. Le droit communautaire renvoie aux législations nationales pour la fixation des sanctions. Il s’arroge le droit de déterminer les incriminations. Cette situation n’est pas sans poser de problème, car il arrive que certains renvois ne correspondent pas avec la situation existante dans le droit national, les dénominations changeant d’un État à un autre. Ce qui est contraire au principe de la légalité pénale, condition d’existence du droit criminel »[46]. Par ailleurs, il est vrai que depuis que la constitution du 11 juin 1991 a attribué une compétence pénale au pouvoir exécutif notamment pour la détermination et la sanction des contraventions[47], le principe de la légalité pénale pourrait plutôt être appelé principe de textualité. Une telle acception de la notion ne s’oppose pas à la prise d’incriminations par le législateur communautaire, mais il convient de remarquer que la non-édiction de sanctions contrevient gravement à ce principe. La peine autant que l’incrimination doivent exister. La légalité pénale doit, en effet, être entendue comme la légalité des incriminations et la légalité des peines. Or, pour une large majorité des États membres, les peines n’existent pas. C’est une altération grave du principe. Critiquant la répartition de compétence opérée par l’alinéa 2 de l’article 5 du Traité N° Lexbase : A9997YS3, Édouard KITIO souligne l’hétérogénéité des caractères de la norme pénale communautaire qui en résulte pour les États qui ont adopté des sanctions. À ce sujet, il observe que « l’incrimination sera fondée sur un texte communautaire, supranational, alors que la sanction relèvera, quant à elle, des législations nationales. C’est ce que Jacques BORE a appelé la « mobilisation du droit national au service du droit communautaire »[48]. L’union de deux dispositions de caractères si différents est inédite. Le droit communautaire bénéficie de la primauté et de l’effet direct. Le droit communautaire s’impose directement dans les systèmes juridiques des États membres sans qu’ils aient besoin de les transposer par une loi interne. La jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE, devenue CJUE) confirme ce principe. L’arrêt Van Gend en Loos du 5 février 1963 énonce « la Communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international au profit duquel les États membres ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et dont les sujets ne sont pas seulement les États membres, mais aussi leurs ressortissants ». Dans cette affaire, il s’agissait de la reconnaissance de l’effet direct des traités constitutifs (plus précisément de l’effet direct de l’article 12 TCE). L’effet direct est lié à la création de « droits subjectifs » puisque la norme communautaire engendre des droits et des obligations envers les particuliers. L’article 10 du Traité OHADA N° Lexbase : A9997YS3 reconnaît aussi la primauté et l’applicabilité directe des règles communautaires en disposant que « les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats-Parties, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ». Le droit interne de caractère local est loin de revêtir ces qualités. L’association de ces deux dispositions de caractères hétérogènes rappelle tristement « le colosse aux pieds d’argile[49] » du livre de Daniel. Une telle association est une application peu ordinaire du principe de la légalité. Ainsi, une analyse de l’architecture pénale duale de l’OHADA donne l’impression que le principe est dilué dans un aménagement peu recommandable. Pourtant, le législateur OHADA aurait pu éviter cet écueil et toutes les incommodités qui résultent du fractionnement de la norme pénale communautaire en uniformisant les peines. Comment l’organisation africaine des affaires devrait-elle s’y prendre ? Cela sera l’objet de l’analyse prospective.

B. De l’analyse prospective de l’uniformisation du droit pénal des affaires OHADA

En adoptant l’article 5 alinéa 2 du Traité N° Lexbase : A9997YS3, l’OHADA s’est réjoui d’avoir gagné son pari : à la fois, créer un droit pénal communautaire pour assurer l’efficacité des règles uniformes et ménager la souveraineté répressive des États. C’était sans compter avec la délicatesse de la question relative à la moralisation des affaires. L’application de l’article 5 alinéa 2 s’est, en effet, révélée d’une exceptionnelle complexité. Entassant écueil sur écueil, la disposition controversée a acquis une triste célébrité auprès de la doctrine. Jamais une disposition ne s’est construite un palmarès aussi sombre. En réaction à tant de déboires, il y’a lieu de proposer une unification des compétences au profit du législateur communautaire (1). Une fois les incriminations et les sanctions, une question demeure en suspens, gardera-t-on le statu quo ou faut-il une juridiction pénale communautaire pour une application effective et efficace de ce droit (2) ?

1- Du cumul des pouvoirs par le législateur communautaire 

Deux arguments ont milité en faveur du renvoi de la fixation des sanctions à la législation des Etats-Parties : la théorie du respect du particularisme[50] des États développé par Michel Filga SAWADOGO et celle de la sauvegarde de la souveraineté répressive. La théorie du particularisme des États justifie l’attribution aux États du pouvoir de fixer les peines au fait que le législateur communautaire ait voulu tenir compte du niveau de développement économique de chaque État. Les peines d’amende pourraient paraître excessives dans un État et dérisoires dans un autre. Cet argument est difficilement soutenable. S’il fallait tenir compte du niveau économique de chaque État membre, il aurait fallu édicter une loi dans chacun d’eux. Les criminels d’affaires n’ont pas, en effet, le même niveau de développement économique. Cette théorie n’est pas non plus admissible du fait que l’on pourrait résoudre la disparité du niveau de développement économique par la fixation d’une moyenne du quantum des peines. Il n’est pas impossible dit Hervé Magloire MONEBOULOU MINKADA « de trouver une moyenne (du quantum de la sanction) commune à tous les États de l’OHADA ou de créer les sanctions communautaires au prorata de l’ordre public des affaires à protéger[51] ». Le second argument semble plus solide. Nous l’avons d’ailleurs examiné dans le premier titre et tout au long de la présente réflexion ce qui nous permet de tirer quelques conclusions. Cet argument voudrait que le renvoi des sanctions à la législation des États doive sa raison d’être à la volonté des Etats-Parties de conserver un tant soit peu la souveraineté répressive. Il y’a lieu de rappeler avant tout propos que la souveraineté des États n’est pas anéantie par le transfert à la communauté de leur compétence répressive. Ce transfert est d’ailleurs un acte de souveraineté, car il ne se fait pas sans la volonté des États. La théorie de l’attachement des États à leur souveraineté, il faut bien le reconnaître recèle une part de vérité, mais le malaise demeure : pourquoi après tant d’années la plupart des États n’ont pas adopté les sanctions correspondantes aux incriminations ? S’ils étaient si attachés au pouvoir de fixer les peines, on devrait plutôt assister à une célérité de l’activité législative nationale en ce sens. C’est tout le contraire qui s’est produit. Timidement, les États viennent un à un au-devant de la scène. Une trentaine d’années après, sept États n’ont pas encore pris de lois de répression. Ce silence ne semble pas du tout traduire un quelconque élan de souveraineté. Au vu de cette paralysie manifeste, certains auteurs ont proposé l’institution du recours en manquement pour sanctionner le manque de diligence des États et obliger ainsi ces derniers à satisfaire à leur obligation comme cela se fait dans la CEMAC[52]. L’article 4 alinéa 2 du Traité CEMAC révisé N° Lexbase : A0033YTE dispose que : « en cas de manquement par un État aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire, la Cour de Justice peut être saisie en vue de prononcer les sanctions dont le régime sera défini par des textes spécifiques ». Le mécanisme du recours en manquement du Traité CEMAC révisé a été globalement influencé par l’article 226 du Traité de la Communauté européenne, il vise à réprimer, à l’instigation de la Commission ou d’un autre État membre, la violation des règles communautaires par les États eux-mêmes, dans leurs activités matérielles comme dans leurs activités normatives. Cette solution pourrait avoir le mérite d’amener les Etats-Parties à l’OHADA à adopter avec célérité les sanctions correspondantes aux incriminations, mais elle ne permettra pas de résoudre la question de l’hétérogénéité entre les Etats-Parties. Les objectifs de l’OHADA étant de mettre fin à l’insécurité juridique et judiciaire[53] dans l’espace africain des affaires, il s’avère évident que “la réalisation de tels objectifs ne peut évidemment se concevoir sans l’élaboration de règles de droit propres à mettre en place les éléments (…), à en assurer le fonctionnement et à donner aux autorités communautaires le moyen d’exprimer une politique générale dans le domaine économique »[54]. La technique de la dualité normative qui a consisté à séparer les éléments constitutifs du préalable légal de l’infraction a entravé l’intégration juridique par l’uniformisation ou l’unification du droit applicable. Il apparaît donc nécessaire de mener à terme l’œuvre commencée par la communautarisation des sanctions uniformes. Nombre de théoriciens proposent[55] à cet effet la détermination d’une fourchette commune de peines principales fixant un minimum et un maximum. Cela permettrait l’instauration d’une moyenne communautaire du quantum des peines. Une telle méthode, à défaut d’une uniformisation complète, donnerait l’avantage d’un droit pénal communautaire harmonisé tout en tenant compte à la fois du niveau économique de chaque État Partie et de sa souveraineté répressive. Ainsi, lors d’une prochaine révision, le législateur communautaire pourrait faire en sorte que toutes les dispositions des actes uniformes qui édictent des infractions pénales soient assorties des sanctions. C’est une telle formule qui a cours dans les organisations supranationales telles l’OAPI, CIMA, UEMOA, CEMAC. La réunion des deux compétences en matière d’incrimination et de fixation de la sanction dans ces organisations rend d’ailleurs difficilement justifiable la séparation de ces deux pouvoirs dans l’OHADA. La plupart des États membres de l’OHADA ne sont-ils pas déjà parties à ces organisations ? Comment peuvent-ils y accepter d’exercer indirectement leur compétence répressive et vouloir l’exercer de façon directe dans l’OHADA ? Invitation est donc faite au législateur communautaire de mettre fin à cette « fuite de responsabilités »[56] en édictant des dispositions pénales en bonne et due forme comportant à la fois des incriminations et des sanctions. Une fois les infractions d’affaires uniformisées, quelle juridiction sera chargée de leur fidèle répression ? Les juridictions nationales, la cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA ou devrait-on créer une juridiction spécifique[57] à cet effet ? La question de la nécessité d’une uniformisation judiciaire, en effet, se pose.

2- Faut-il une juridiction pénale communautaire des affaires ?

 Quel rôle joue le juge pour l’effectivité du droit pénal des affaires OHADA (a) ? La réponse à cette question sera d’un grand intérêt. On ne pourrait, en effet, savoir tout le bénéfice qu’il y’a à confier aux juridictions suprêmes nationales la compétence pour assurer l’interprétation et le respect de l’application du droit pénal communautaire (b) sans y répondre au préalable.

a. Du rôle du juge dans la détermination de la responsabilité pénale du délinquant d’affaires

La responsabilité pénale est essentiellement définie par rapport à la sanction. Pour mémoire, la responsabilité civile s’entend de l’obligation de réparer le préjudice résultant soit de l’inexécution d’un contrat soit de la violation du devoir général de ne causer aucun dommage à autrui par son fait personnel, ou du fait des choses dont on a la garde, ou des personnes dont on répond. La responsabilité pénale par contre est l’obligation de répondre des suites légales de linfraction commise en subissant une sanction pénale dans les conditions et formes prévues par la loi. L’on comprend alors aisément l’intérêt d’uniformiser le droit pénal pour éviter l’existence d’incriminations sans sanctions comme cela est le cas pour l’écrasante majorité des Etats-Parties à l’OHADA. Si l’infraction n’est pas clairement définie (incrimination et peines) la responsabilité pénale du délinquant ne peut être mise en œuvre sauf à faire la part belle à l’arbitraire. La difficulté pour le juge en face d’un droit pénal mal défini est qu’il serait coupable de déni de justice s’il refusait de se prononcer. Obligé ainsi à statuer, il ne pourrait pas mettre en cause la responsabilité pénale du délinquant parce que le préalable légal est inexistant ou lacunaire. Pour l’heure, notons seulement la prépondérance du rôle du juge dans la détermination de la responsabilité pénale. « Nul ne se fait justice à soi-même ». Ce principe cardinal place le juge au centre des litiges pour permettre leur dénouement commode. Les infractions, plus que les délits civils, ont des résonances sensibles. La commission d’un meurtre, d’un vol, l’usage de faux peuvent entraîner des réactions excessivement disproportionnées de la part de la victime. On sait l’aveuglement de la vindicte populaire en la matière. C’est donc au juge de faire jouer le droit en déterminant au regard des faits commis si le présumé coupable mérite la punition que la victime et la société voudraient lui infliger. « Le juge, souligne Albert Dé Millogo, est la pièce maîtresse d’une bonne administration de la justice, car le droit ne peut être correctement appliqué que si le juge accepte de jouer pleinement et correctement son rôle »[58]. Pour la mise en cause de la responsabilité du délinquant, le juge doit déterminer le préalable légal et les éléments constitutifs de l’infraction à savoir l’élément matériel et l’élément moral dans la répression de la délinquance d’affaires. La détermination de l’élément légal consistera pour le juge à savoir s’il existe un texte qui réprime les faits reprochés au présumé coupable. Ces faits font-ils l’objet d’une incrimination contenue dans un acte uniforme et sont-ils punis par un texte de loi interne ou communautaire[59] ? C’est en cela que se manifeste la nécessité de l’uniformisation pour que l’élément légal puisse être déterminé avec précision[60]. C’est après la détermination de l’existence et de la concordance du préalable légal et des éléments constitutifs de l’infraction que le juge pourrait infliger au délinquant la peine fixée par l’élément légal. Il n’est pas sans intérêt de rappeler que les fonctions de la peine sont si importantes que leur présence dans les actes uniformes en même temps que les incriminations se révèle nécessaire et urgente. Elle est, selon Jean PRADEL, rétributive, intimidatrice, et réparatrice[61]. C’est à travers le juge qui la prononce que la peine pourra atteindre le but qu’elle vise. Dans le cadre communautaire OHADA, cependant, la question pourrait se poser de savoir si c’est aux juges nationaux (juridictions suprêmes) de continuer à appliquer le droit pénal communautaire une fois qu’il serait complètement harmonisé ou la CCJA ou une juridiction spécialement créée à cet effet devrait s’en charger.

b. De l’intérêt de la répression des infractions d’affaires uniformisées par les juridictions de cassations internes

Pour une interprétation et une application uniforme du droit pénal harmonisé, trois possibilités s’offrent aux États-Parties à l’OHADA : l’inclusion dans la compétence de la CCJA du contentieux pénal, la répression par les cours de cassation internes ou la création d’une juridiction pénale communautaire ad hoc des affaires. Il y’a lieu de prime abord d’écarter la troisième option. Même s’il fallait une juridiction pénale communautaire, les contraintes financières obligent à ne pas multiplier les juridictions de ce genre et à doter simplement la CCJA de compétences plus larges pour une gestion plus efficace et rationnelle du contentieux. Il reste donc à savoir qui de la CCJA ou de la juridiction de cassation interne aura la charge de l’uniformisation judiciaire du droit pénal OHADA. Pour comprendre le bien-fondé de la question relative à l’attribution à la CCJA de la compétence pour interpréter et assurer l’application uniforme du droit pénal communautaire il faudrait faire une lecture synoptique des articles 14 et 5 alinéa 2 du Traité N° Lexbase : A9997YS3. L’article 14, en effet, exclue du champ de la compétence de la CCJA, l’interprétation et l’application des sanctions pénales parce que l’alinéa 2 de l’article 5 a exclu au préalable les sanctions des actes uniformes. Celles-ci devant être fixées par les lois nationales. La présente réflexion a eu pour objet de montrer les limites d’une telle répartition et à inviter le législateur communautaire à fixer dans le même texte à la fois les incriminations et les sanctions[62] par une révision des dispositions actuelles. C’est donc sur l’hypothèse d’un droit pénal communautaire complètement harmonisé que nous raisonnerons. À ce titre, l’attribution à la CCJA de compétences en matière pénale ne manque pas d’avantages. Une telle option supprimerait définitivement les conflits de lois, dans le temps et dans l’espace et garantirait une répression uniforme des infractions d’affaires en ne laissant aucune place aux paradis pénaux. Toutefois, la médaille a son revers. L’institution d’une justice pénale communautaire ne va pas sans quelques lourdeurs. Le financement actuel de la cour commune de justice et d’arbitrage n’est déjà pas une sinécure. Y ajouter des compétences c’est ajouter des dépenses. Il y’a en outre le problème de la saturation des rôles au regard de l’importance quantitative du contentieux. Il est vrai que cet inconvénient pourrait trouver quelques remèdes par la technique du filtrage des recours pratiquée par la plupart des cours suprêmes européennes et par la France depuis le 1er janvier 2002[63]. Selon Eugène ASSEPO ESSO[64], cette pratique ne semble d’ailleurs pas totalement ignorée par la CCJA du moment où les arrêts d’irrecevabilité et d’incompétence rendus par la cour sont nombreux. Si l’encombrement du tribunal peut trouver solution, la difficulté du transport de tous les délinquants devant le siège de la cour pénale communautaire est quelque peu ardue sans oublier qu’en cas de condamnation à des peines privatives de liberté l’OHADA n’a pas de prison communautaire[65]. Créer et gérer des prisons n’est pas du tout une mince à faire. Ce que l’on appelle « prison » est, en fait, le terme général qui renferme bien d’autres institutions. Au Burkina Faso, la prison est destinée à la détention des condamnés. Elle a donc un caractère disciplinaire. Les prévenus sont reçus dans des maisons d’arrêt. Il s’agit simplement d’une détention provisoire. Les maisons de correction reçoivent les individus ayant la qualité de condamnés. Ce sont des établissements pour peines. Seuls ces établissements correspondent au sens strict à la notion de prison. Enfin, les condamnés bénéficiant d’une semi-liberté sont reçus dans des centres agricoles pour leur réinsertion sociale par le travail. C’est l’exemple du centre pénitentiaire agricole de Baporo. Prendre soin de tels établissements demanderait un surplus de préoccupations financières et de la recherche d’un personnel qualifié. Ces difficultés tendent à nier la pertinence d’une gestion du contentieux pénal OHADA par la CCJA. Il reste donc à étudier le cas des juridictions de cassation internes. Comment les juridictions internes de cassation des différents Etats-Parties peuvent-elles assurer une interprétation et une application convergente de la norme pénale OHADA ? Nous l’avons déjà observé : la diversité sur le plan judiciaire est liée à l’hétérogénéité des sanctions applicables dans les États. La reforme que nous proposons est que les textes pénaux de l’OHADA prennent à la fois compte des incriminations et des sanctions[66] comme cela se fait déjà dans les organisations supranationales antérieures à l’OHADA dans le cadre régional africain. À défaut d’une telle uniformisation, l’on pourrait tout au moins instaurer une harmonisation des peines par l’établissement de « règles minimales communes pour réduire ou minimiser les écarts pénaux entre les Etats-Parties »[67]. Une fois une telle harmonisation établie, les juges se contenteront d’appliquer les peines communes adoptées ou de choisir dans la fourchette[68] fournie par les textes communautaires en surfant entre le minimum et le maximum établis. Une telle pratique réduirait la diversité dans l’application des peines à sa stricte expression[69]

 

[1] R. Edouard et coll., Droit des affaires, Questions actuelles et perspectives historiques, Rennes, PUR, 2005, p.15. Infra note n° 5 p.36.

[2] Compilation datée des années 1140-1150. 

[3] Retombées fiscales.

[4] V. la liste des divinités dans les « Les dieux », Néron, 2019, n° 13. Une liste est en ligne

[5] Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo (Brazza), Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée-Équatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad, Togo, Guinée Conakry, Guinée — Bissau, République Démocratique du Congo.

[6] Il s’agit de l’UEMOA, de l’OAPI, de la CIMA et de la CEMAC. Le règlement CEMAC n° 02/03/UMAC signé le 4 avril 2003 à Yaoundé organise complètement le régime du chèque en se substituant à toutes dispositions nationales, mêmes pénales, en la matière ; le quantum de peine fixé est seul applicable. La CIMA, pour sa part, s’est dotée du pouvoir de fixer aussi bien les incriminations que les sanctions. Ce pouvoir ne ressort pas des termes du traité du 10 juillet 1992 instituant une organisation intégrée de l’industrie des assurances dans les États africains, mais du code unique annexé à ce traité. Ce code contient des dispositions d’incriminations pénales assorties de sanctions en ses articles 333 à 333-14 ; 545 infractions incriminées sont entre autres la banqueroute, l’escroquerie, l’abus de confiance, la violation des règles de fonctionnement de l’entreprise, violation des règles de publicité. L’OAPI va plus loin (que la CIMA). Au-delà de l’incrimination des actes et de la détermination des peines applicables, l’accord de Bangui modifié à Bamako en 2015 prévoit les procédures pénales à suivre pour chaque matière. L’UEMOA connaît dans une certaine mesure l’éclatement normatif en matière pénale. Ce modèle est consacré par le Règlement portant système comptable ouest-africain (SYSCOA). Ce règlement définit simplement les incriminations, sans fixer les sanctions. Les législateurs nationaux formulent les peines réprimant l’inobservance des prescriptions communautaires. C’est un tel schéma que le législateur OHADA a adopté. Mais la complète uniformisation existe aussi dans l’UEMOA. Dans la Loi uniforme relative à la répression des infractions en matière de chèque, de carte bancaire et d’autres instruments et procédés électroniques de paiement de décembre 2011, l’incrimination et la sanction des atteintes liées aux chèques sont prévues aux articles 83 et suivants, celles relatives aux cartes de paiement et de retrait ont leur siège dans les articles 106 et suivants. 

[7] L’article 5 al. 1er du traité OHADA N° Lexbase : A9997YS3 définit l’Acte uniforme comme étant des actes pris pour l’adoption des règles communes. Les actes uniformes encadrent, au sein de la communauté, les domaines de leurs compétences.

[8] Mesure éducative ou de prévention.

[9] M. Mahouve, « Le système pénal OHADA ou l’unification à mi-chemin », Penant, 2004, p.89.

[10] « La souveraineté traduit la situation tout à fait particulière de l’État en tant que sujet de droit international ; il bénéficie de la personnalité juridique la plus étendue, d’une personnalité plénière. On traduit cette plénitude en disant que l’État trouve dans sa souveraineté le titre des droits, des compétences qu’il exerce, qu’il n’a pas à être habilité à les exercer (…) que l’État a la compétence de sa compétence », J. F. Guilhaudis, Relations internationales contemporainesJurisClasseur, Paris, 2002, p. 63.

[11] Selon la mythologie grecque, pour avoir osé défier les dieux, Sisyphe fut condamné, à faire rouler éternellement jusqu’en haut d’une colline un rocher qui en redescendait chaque fois avant de parvenir au sommet

[12] Le Sénégal, le Cameroun, la République centrafricaine, la République du Congo-Brazzaville, le Niger, le Tchad, le Bénin, le Gabon, la Guinée, la Côte d’Ivoire et le Togo. V. Mme D. C. SOSSA, Droit pénal OHADA : du nouveau dans les textes internes complémentaires, 16 févr.2018, §4. 

25 ans après la création de l’OHADA, la Côte d’Ivoire définit enfin les sanctions pénales applicables aux infractions définies dans les différents actes uniformes.

[13] H. M. Moneboulou Minkada, in Revue de l’ERSUMA, n° 3 septembre 2013, note n° 869, p. 209.

[14] Le procès des principaux responsables allemands devant le Tribunal militaire international (TMI) se déroula à Nuremberg. Ce fut le plus célèbre des procès devant des juges représentant les puissances alliées. Entre le 18 octobre 1945 et le 1er octobre 1946, le TMI jugea 22 « grands » criminels de guerre accusés de complot, de crimes contre la paix, de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité (en ligne).

[15] M. Mahouve, « Le système pénal OHADA ou l’unification à mi-chemin, op. cit., p. 90.

[16] Adopté à Ouagadougou (Burkina Faso) le 30 janvier 2014 et publié au Journal officiel de l’OHADA n° spécial du 4 février 2014 N° Lexbase : A0024YT3

[17] Adopté à Lomé (Togo) le 15 décembre 2010 et publié au Journal officiel de l’OHADA n° 21 du 15 février 2011 N° Lexbase : A9978YSD

[18]Adopté à Kinshasa le 17 octobre 2023 et publié au Journal officiel de l’OHADA n° spécial du 15 novembre 2023 N° Lexbase : A6607134

[19] Adopté à Grand-Bassam (Côte d’Ivoire) le 10 septembre 2015 et publié au Journal officiel de l’OHADA n° spécial du 25 septembre 2015 N° Lexbase : A0133YT4

[20] Cette incrimination par renvoi tacite pose dès lors le problème de la compatibilité et de la complémentarité (ou subsidiarité) des normes de comportements internes avec les infractions conventionnelles issues des actes uniformes. 

[21] À ce niveau, on se rend compte que le législateur OHADA n’a visé comme auteurs des infractions en matière de sociétés commerciales que les personnes physiques, dirigeants sociaux, sans envisager l’hypothèse où la personne morale peut être poursuivie avec ses dirigeants. Dès lors, le droit pénal OHADA se démarque du droit pénal moderne qui a édicté des incriminations et des peines adaptées aux personnes morales. E. Kitio : « Le contentieux du droit pénal des affaires devant les hautes juridictions nationales et devant la CCJA », op. cit. p. 39.

[22] E. Richard et coll., Droit des affairesQuestions actuelles et perspectives historiques, Rennes, PUR, 2005, p.642.

[23]  La concurrence et de la consommation par l’UEMOA et la CEDEAO, les assurances par la CIMA et le droit de la propriété intellectuelle par l’OAPI.

[24] M. Mahouve, Le système pénal OHADA ou l’unification à mi-chemin, op. cit. p. 92.

[25] Article 1er du Traité N° Lexbase : A9997YS3.

[26] Une société (qui est une fiction juridique) ne peut commettre de délits

[27] P. Raimbault, « La discrète généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales », AJDA, 44-2004, p.1, § 1. L’article est disponible en ligne.

[28] Cité par, J. Kazadi Mpiana, « La problématique de l’existence d’un droit communautaire africain, l’option entre mimétisme et spécificité », Revue libre de droit, 2014, p.38-78.

[29] Si cela est vrai pour le droit international stricto sensu il s’avère que dans le droit communautaire de la plupart des Organisations qui ont précédé l’OHADA la réalité est tout à fait autre.

[30] V. note n° 6.

[31] J. I. Sayegh, Quelques aspects techniques de l’intégration juridique : l’exemple des actes uniformes de l’OHADA, p.6. L’article est disponibleen ligne

[32] L’article 203 du même Acte arrête même un plancher (trois ans) et un plafond (dix ans) de peine applicable à la faillite personnelle. Des dispositions similaires se retrouvent dans les articles 10 et 11 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général.

[33] « Le crime (entendu au sens large) est un comportement légalement prévu et puni d’une peine », J. Pradel, Droit pénal général, op. cit., p.19.

[34] M. Mahouve, Le système pénal OHADA ou l’unification à mi-chemin, op. cit. p.846.

[35] J. Pradel, Droit pénal général, op. cit., p.132.

[36] L’arrêt du 13 septembre 2005 de la Cour de Justice des communautés européennes précisant l’exacte limite de la souveraineté des États et corrélativement l’étendue de la compétence pénale communautaire. 

[37] B. Gollnisch, « Communautarisation forcée du droit pénal des états membres », 14 juin 2004. L’article est disponible en ligne.

[38] H. Tchantchou et M. Akouete Akue, l’État du droit pénal dans l’espace OHADA, Revue ERSUMA, numéro spécial novembre/décembre 2011, p.30.

[39] J. Pradel, Droit pénal général, op. cit. p.53.

[40] Ibid., p.109.

[41] Ibid.

[42] Livre XI, ch. VI, De la Constitution d’Angleterre.

[43]Le Code de Hammurabi est un texte juridique babylonien daté d’environ 1750 av. J.-C., Il est à ce jour le plus complet des codes de lois connus de la Mésopotamie antique. Il a été redécouvert en 1901-1902 à Suse en Iran, gravé sur une stèle de 2,25 mètres de haut comportant la quasi-totalité du texte en écriture cunéiforme et en langue akkadienne, exposée de nos jours au Musée du Louvre à Paris. Il faut noter que dans Droit des affaires, Questions actuelles et perspectives historiques, ouvrage rédigé sous la direction de E. Richard (Rennes, PUR, 2005, P.642) les auteurs situent, à la page 22, le code au XXe av. J.C ce qui nous semble peu plausible. Le code date d’environ 1750 av. J.-C. ce qui correspond au XVIIIe siècle av. J.-C.

[44] v. J. Pradel, Droit pénal général, op. cit. p.110.

[45] Le principe de légalité formelle interdit bien sûr au juge d’inventer une infraction ou d’en étendre le champ d’application : cf. Cass. Crim., 3 juin 2004 (Cassation française) qui casse l’arrêt appliquant l’abus de bien sociaux, qui ne concernant que les dirigeants de certaines sociétés, au dirigeant d’une société étrangère.

[46] B. S. Diarrah, Les sanctions des incriminations pénales définies dans les actes uniformes, Formation des magistrats et auxiliaires de justice, 24 au 27 juillet 2012 p.12.

[47] Article 101 de la Constitution du 11 juin 1991. Détermination du domaine de la loi dont relèvent la définition et la sanction des crimes et délits. Implicitement la constitution considère que les conventions relèvent du domaine réglementaire.

[48] E. Kitio, « Le contentieux du droit pénal des affaires devant les hautes juridictions nationales et devant la CCJA », Communication au Séminaire de formation de l’ERSUMA à Porto Novo (24 au 27 juillet 2012) sur le thème : « L’état de l’application du Droit pénal des affaires OHADA dans les États-Parties ». 

[49] Tirée de la Bible (Daniel1, 1-21), cette expression est aujourd’hui utilisée pour signifier qu’une puissance ou qu’une personne d’apparence forte peut finalement s’avérer très fragile dans la réalité. C’est ainsi que le politologue Todd, qualifie les États-Unis de « géant aux pieds d’argile » v. S. Zeghidour, « De Terminator à Gouvernator » in La Vie, n° 3033, 16 octobre 2003, p.30.

[50] M. F. Sawadogo, Commentaire de l’acte uniforme du 10 avril 1998 portant procédure collective d’apurement du passif, OHADA, traité et actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, 1999, 877.

[51] H. M. Moneboulou Minkada, « L’expression de la souveraineté des États membres de l’OHADA, une solution-problème à l’intégration juridique » in revue de l’ERSUMA-n° 3 septembre 2013, op.cit. p. 211.  

[52] E. Kitio, « Le contentieux du droit pénal des affaires devant les hautes juridictions nationales et devant la CCJA », Communication au Séminaire de formation de l’ERSUMA à Porto Novo (24 au 27 juillet 2012) sur le thème : « L’état de l’application du Droit pénal des affaires OHADA dans les États-Parties ».

[53] K. Mbaye, préface, Boris Martor et coll., Le droit uniforme africain des affaires issu de l’OHADA, Paris, Litec, 2004, p. IX.

[54] J. Megret, La spécificité du droit communautaire, Revue internationale de droit comparé, vol. 19 n° 3, juillet-septembre 1967, p.565. 

[55] M. Mahouve, Le système pénal OHADA ou l’unification à mi-chemin, op.cit .96 ; H. M. Moboulou Minkada, « L’expression de la souveraineté des États membres de l’OHADA, une solution-problème à l’intégration juridique » in revue de l’ERSUMA-n° 3 septembre 2013, p.212.

[56] A. Foko, Analyse critique de quelques aspects du droit pénal OHADA, Penant, n° 859, p. 198

[57] Juridiction sui generis

[58]A. Dé Millogo, Droit pénal spécial, les incriminations fondamentales répréhensibles au Burkina Faso, Collection Précis de droit burkinabèBurkina Faso, 2006, p. 23.

[59] Nous avons observé que le législateur communautaire outrepasse parfois son pouvoir d’incrimination pour prendre des sanctions. C’est l’exemple des articles 199 et 246 de l’Acte uniforme portant sur l’organisation des procédures collectives d’apurement du passif établissent des peines d’affichage et de publication aux frais des condamnés, ainsi que la privation du droit de vote. L’article 203 du même Acte arrête même un plancher (trois ans) et un plafond (dix ans) de peine applicable à la faillite personnelle. Des dispositions similaires se retrouvent dans les articles 10 et 11 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général.

[60] Le droit pénal demande de la précision, E. Kitio, « Le contentieux du droit pénal des affaires devant les hautes juridictions nationales et devant la CCJA », Communication au Séminaire de formation de l’ERSUMA à Porto Novo (24 au 27 juillet 2012) sur le thème : « L’état de l’application du Droit pénal des affaires OHADA dans les États-Parties ».

[61] J. Pradel, Droit pénal général, op. cit. p. 460. LA doctrine ajoute une quatrième fonction de prévention générale.

[62] Monsieur Foko souhaite que le « législateur revienne un jour sur sa position, pour s’accaparer aussi bien des pouvoirs d’incrimination que de sanctions », A. FOKO, Analyse critique de quelques aspects du droit pénal OHADA, op.cit. p. 203.

[63] E. Assepo Assi, La cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA : un troisième degré de juridiction ? Revue internationale de droit comparé, volume 57, n° 4, 2005, p. 946.

[64] Ibid.

[65] E. Kitio, « Le contentieux du droit pénal des affaires devant les hautes juridictions nationales et devant la CCJA », Communication au Séminaire de formation de l’ERSUMA à Porto Novo (24 au 27 juillet 2012) sur le thème : « L’état de l’application du Droit pénal des affaires OHADA dans les États-Parties ».

[66]« La centration des pouvoirs d’édicter des incriminations et des sanctions entre les mains d’une seule institution nous semble être le sésame », A. Foko, Analyse critique de quelques aspects du droit pénal OHADAPenant n° 859, p. 198. 

[67] M. Mahouve, Le système pénal OHADA ou l’unification à mi-chemin, op. cit. p. 96.

[68]H. M. Moneboulou Minkada, « L’expression de la souveraineté des États membres de l’OHADA, une solution-problème à l’intégration juridique » in revue de l’ERSUMA-n° 3 septembre 2013, p. 212.

[69]A. Foko, Analyse critique de quelques aspects du droit pénal OHADAPenant n° 859, p. 205.

[A la une] Et si l’OHADA s’étendait au Burundi ?
par La rédaction Lexbase Afrique

Du 15 au 17 mai 2024, Secrétaire permanent de l’OHADA, le Professeur Mayatta Ndiaye MBAYE, a effectué une mission diplomatique à Bujumbura, capitale économique de la République de la République du Burundi.

Le Burundi est un pays d’Afrique de l’Est sans accès à la mer. Localisé dans la région des Grands Lacs, il possède néanmoins un grand rivage sur le lac Tanganyika. Le pays est entouré par le Rwanda au nord, par la Tanzanie à l’est, par la République Démocratique du Congo à l’ouest et bordé par le Lac Tanganyika au sud-ouest. En 2023, le Burundi comptait 13,2 millions d’habitants, dont 50,6 % de femmes et 41,5 % de jeunes âgés de moins de 15 ans. Il reste pourtant l’un des pays à plus haute densité de population avec un ratio de densité de 442 habitants par kilomètre carré (source Banque mondiale). 

Le pays a connu une situation politique et économique difficile au cours des dernières décennies. Toutefois, avec le changement de régime politique intervenu en 2020, sa situation s’améliore progressivement. Un rapprochement avec la communauté internationale, illustré par le retour des bailleurs bilatéraux et multilatéraux, s’observe particulièrement avec un programme de la FMI conclu en juillet 2023. Cet appui vise à contribuer à sortir le pays de son isolement politique, économique et financier.

L’activité économique burundaise repose essentiellement sur l’agriculture, qui représentait en 2021 29 % du PIB et plus de 80 % des emplois. L’industrie représente 10 % du PIB, et les services 44 %. Il n’en demeure pas moins que le secteur minier, d’une grande richesse en métaux rares (or nickel), représente une opportunité importante pour la reprise économique.

L’environnement des affaires reste cependant un obstacle de taille au développement du Burundi. Le dernier rapport Doing business (en ligne) le classe 166, place qui est restée relativement stable depuis 2020.

En 2023, la croissance économique s’est accélérée pour atteindre 2,7 %, contre 1,8 % en 2022, soutenue par des investissements publics et privés dynamiques et par une pluviométrie favorable. La croissance économique devrait atteindre 3,8 % en 2024, grâce à la reprise graduelle des investissements dans le secteur minier, des investissements publics stratégiques. Il convient également de relever l’effet d’entraînement suscité par les réformes liées aux politiques budgétaire, monétaire, et des changes.

Dans cette dynamique d’assainissement et de renforcement de la vie des affaires, la marche de ce pays vers l’OHADA paraît donc entièrement justifiée. L’Organisation sera justement en mesure d’offrir un cadre juridique et juridictionnel propre à restaurer la confiance des opérateurs économiques et des investisseurs nationaux et étrangers sur le territoire burundais. 

Au cours de sa visite, le Secrétaire permanent a été reçu en audience par Mme Domine BANYANKIMBORA, Ministre de la Justice de la République du Burundi. L’occasion a été saisie pour tenir d’importantes séances de travail avec plusieurs personnalités publiques, notamment, le Secrétaire permanent du Ministère du Commerce, de l’Industrie, des Transports et du Tourisme ainsi que le Secrétaire permanent du Ministère des Finances, du Budget et de la Planification économique. 

Des rencontres ont également été organisées avec le secteur privé et les professions juridiques. Le Secrétaire permanent a eu de fructueux échanges avec le Bâtonnier du Barreau de Bujumbura et le Secrétaire général de la Chambre fédérale de Commerce et d’Industrie du Burundi (CFCIB). Il a, par ailleurs, été reçu en audience par l’Ambassadeur de France au Burundi.

Outre ces différentes rencontres, le Secrétaire permanent de l’OHADA a donné une conférence de presse le vendredi 17 mai 2024 à l’Hôtel Source du Nil, résumant les fructueux échanges et conclusions des différentes séances de travail. Ces activités ont donc été l’occasion de présenter l’OHADA et les atouts de son système juridique, dont l’apport peut être déterminant pour l’amélioration du climat des affaires au Burundi et l’attraction des investissements dans ce pays. 

Une étude commanditée par le Gouvernement burundais devrait, du reste, démarrer dans les prochaines semaines, à l’effet d’évaluer la faisabilité d’une adhésion du pays à l’OHADA.

Le Secrétaire permanent a réitéré son entière disponibilité pour « accompagner les efforts du Burundi dans sa marche vers la grande famille de l’OHADA ». 

Le contexte géopolitique plutôt favorable devrait faciliter l’intégration de ce pays dans l’espace OHADA à la suite de son grand voisin, la République démocratique du Congo (RDC), qui est partie à l’organisation depuis le 12 septembre 2012 (date d’entrée en vigueur du traité dans ce pays. 

 

[Le point sur...] Le nouveau règlement intérieur de la CCJA en matière d’arbitrage : un secrétariat général renforce et un comité de suivi des procédures pour un arbitrage plus efficace
par Yawo GAGBEME, Magistrat au Togo, Arbitre et Médiateur du CIAM, DU Droit de l’arbitrage de l’Université de Montpellier

Plus de vingt-quatre années après son adoption, le Règlement intérieur de la CCJA en matière d’arbitrage[1]a été remplacé. Ce nouveau règlement intérieur en matière d’arbitrage a été adopté par l’assemblée générale de la CCJA réunie le 20 septembre 2023. Par la suite, il a été approuvé le 17 octobre 2023 par le Conseil des ministres de l’OHADA à Kinshasa, en marge des travaux du trentième anniversaire de l’OHADA. 

Il est tout à fait naturel, pour toute institution, de procéder de façon périodique, à une relecture et à une modification de ses instruments légaux pour les paramétrer aux nouvelles donnes de son environnement en perpétuelle mutation. La révision du Règlement intérieur de la Cour en matière d’arbitrage n’en demeurait pas moins une nécessité, tant certaines de ses dispositions étaient l’objet de réflexions et critiques. L’arbitrage institutionnel régional prévu dans le Traité révisé de l’OHADA, en son article 21[2], a une originalité qui ne se retrouve nulle part ailleurs au monde. En fait, le Centre d’arbitrage est logé au sein de la Cour qui administre ledit Centre et qui sert en même temps de juge d’appui, de juge de l’exequatur et de juge de l’annulation.

 L’avantage principal de ce système d’arbitrage régional résulte de l’exequatur communautaire unique que la CCJA délivre et qui facilite l’exécution forcée de la sentence arbitrale CCJA sur le territoire des dix-sept États partis. Mais il se trouve, comme déjà relevé, que la CCJA qui est le juge des recours contre les sentences arbitrales est également chargée de l’administration des procédures du Centre d’arbitrage. Certes, l’organigramme du centre d’arbitrage prévoit un Secrétaire général. Mais la lecture combinée des dispositions du Traité et du Règlement intérieur [3] de la Cour en matière d’arbitrage laisse dire que ce dernier n’a aucun pouvoir de décision, toute la gestion du Centre d’arbitrage étant dévolue à la Cour. 

Le mécanisme plaçant le Secrétariat général du Centre d’arbitrage sous la tutelle de la Cour a été critiqué. Certains y voient une possibilité de confusion entre la Cour, administratrice de l’instance arbitrale et la Cour, juridiction des recours. D’autres s’interrogent sur l’indépendance du Centre d’arbitrage vis-à-vis des États membres qui pourraient être parties[4] à l’arbitrage alors même que leurs ressortissants seraient des Juges à la Cour. Ce mélange de genres a pu faire dire aux voix critiques que l’arbitrage institutionnel CCJA a les défauts de ses qualités. Le mécanisme n’est d’ailleurs pas conforme aux standards des grands centres internationaux [5] d’arbitrage auxquels le Centre de la CCJA avait l’ambition de ressembler. Dans lesdits centres, le Secrétaire général est une véritable institution, chef d’orchestre de l’administration du Centre et du contrôle de la procédure arbitrale. D’aucuns ont supposé que ce problème fût l’un des freins à l’essor de l’arbitrage devant la CCJA. Celle-ci enregistre moins d’affaires que certains centres des États membres[6]. Il était donc utile de se demander si le statut du Secrétaire général du Centre a évolué avec le nouveau Règlement intérieur et s’il y a eu d’autres innovations.

À ces questions, la réponse affirmative s’impose à l’évidence. Répondant aux critiques, la CCJA s’est séparée de ses missions d’administration de l’arbitrage. Pour ce qui est du Secrétaire général, ses attributions ont changé et un nouvel organe a été créé. Afin de pouvoir s’apercevoir de ces différences, il convient, dans une première partie, d’exposer les dispositions relatives à l’administration de l’arbitrage dans l’ancien Règlement intérieur N° Lexbase : A34874YS (I) avant de parler des innovations intervenues (II). 

I. Les dispositions relatives à l’administration de l’arbitrage dans le règlement intérieur du 02 juin 1999

À travers la lecture du Règlement intérieur de 1999 N° Lexbase : A34874YS, on s’aperçoit que l’administration des procédures arbitrales engagées sous son égide était entièrement dévolue à la Cour, le Secrétaire général (A) n’étant, à la limite, qu’un « secrétaire ou un assistant ». Cette situation n’a pas manqué de soulever des critiques (B).

A. Les attributions de la cour et le rôle du secrétaire général en matière d’administration de l’arbitrage

Il n’est pas superflu de rappeler, au préalable, que la compétence du centre d’arbitrage CCJA est fixée par l’article 21 alinéa 1er du Traité N° Lexbase : A9997YS3. Il ressort de ce texte que l’arbitrage CCJA ne peut avoir lieu qu’en présence d’un différend contractuel et si l’une des parties à son domicile ou sa résidence dans l’un des États Parties, ou que le contrat en cause sera exécuté en tout ou partie sur le territoire de l’un desdits États.

Lorsqu’une demande d’arbitrage est introduite à la Cour, elle accomplit ses attributions telles que définies à l’article 1 du Règlement d’arbitrage de la CCJA[7]. Le point 1 de cet article 1er dispose en ses trois premiers alinéas que :

« La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, ci-après dénommée “la Cour”, exerce dans les conditions ci-après définies, les attributions d’administration des arbitrages dans le domaine qui lui est dévolu par l’article 21 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, ci-après dénommé “Traité”. 

Les décisions que la Cour prend à ce titre, en vue d’assurer la mise en œuvre et la bonne fin des procédures arbitrales et celles liées à l’examen de la sentence, sont de nature administrative.

Dans l’administration des procédures arbitrales, la Cour est assistée d’un Secrétaire général ». 

Alors que l’article 2.2 du Règlement d’arbitrage rappelle que la Cour ne tranche pas par elle-même les différends, mais qu’elle nomme ou confirme les arbitres, qu’elle est tenue informée du déroulement de l’instance et examine les projets de sentence, l’article 2.3 rappelle pour sa part que le fonctionnement de la Cour en la matière est régi par son Règlement intérieur. 

Avant même d’évoquer le contenu du Règlement intérieur, les articles du Règlement d’arbitrage précités montrent bien la place du Secrétaire général par rapport à la Cour. 

Pour preuve l’article 6 du Règlement intérieur dispose, concernant le Secrétariat général de la Cour, que : 

« 6.1 Les demandes d’arbitrage sont enregistrées par le Secrétaire général sur un répertoire général où sont inscrites toutes les affaires dont la Cour est saisie. Y sont mentionnés : la date de dépôt, le numéro d’inscription, les noms et prénoms des parties, et éventuellement ceux des mandataires, la nature de la demande, les pièces produites par les parties et les actes administratifs accomplis par le secrétariat au fur et à mesure du déroulement de la procédure.

6.2 En cas d’absence ou d’empêchement du Secrétaire général, le Président désigne par ordonnance un Secrétaire général intérimaire.

6.3 Le Secrétaire général peut, avec l’approbation de la Cour, établir des notes et autres documents destinés à l’information des parties et des arbitres ou nécessaires à la conduite de l’arbitrage ». 

Il infère clairement de ces dispositions que tous les actes à accomplir par le Secrétaire général sont des actes matériels qu’il pose sous la supervision de la Cour ou de son Président. Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que de l’ouverture du Centre d’arbitrage jusqu’en 2008, les fonctions du Secrétaire général ont été assurées par le Greffier en chef de la CCJA. Ce cumul de fonctions était à l’époque incompatible avec la diligence qui était attendue dans la gestion d’une institution d’arbitrage de référence.

Le Règlement organise les formations de la Cour (article 2), en assemblée plénière, en formation restreinte. Il prévoit également qu’en cas d’urgence, le Président peut prendre seul des décisions nécessaires à la mise en place et au bon fonctionnement de la procédure arbitrale et qui ne nécessitent pas un arrêt de la Cour. À charge pour lui d’en informer la Cour à la prochaine réunion[8]. Le Secrétaire général n’était pas impliqué dans les décisions importantes notamment la confirmation ou la nomination des arbitres, le pouvoir de faire droit ou non à la demande de récusation formulée contre un arbitre par l’une des parties. Ces décisions sont de l’apanage de la Cour. On était donc dans un système de tout pouvoir pour la Cour et rien pour le Secrétariat général.

Ce qui était encore plus problématique, c’est qu’il était possible que tous les Juges de la Cour[9] soient impliqués dans l’administration du Centre. En effet, il aura suffi que la Cour prenne une décision d’administration en Assemblée plénière [10] pour que ce soit le cas. Dans ce cas de figure, il y a une identité parfaite entre la composition de la Cour, administratrice de l’arbitrage et la Cour, juridiction communautaire, juge du recours post-arbitral. Si l’originalité de l’arbitrage CCJA tenant à la délivrance d’un exequatur communautaire était tant appréciée, son autre spécificité tenant à l’unicité de ses organes d’administration et de juridiction était décriée.

B. Les critiques sur le fonctionnement du centre d’arbitrage 

Il était fondamentalement reproché deux choses à l’organisation de la CCJA : celle de favoriser des conflits d’intérêts et le peu de place accordé au Secrétariat général. Pour ce qui est du premier reproche, il a été supposé que les juges qui ont eu à gérer la procédure d’arbitrage dans sa phase administrative pourraient ne pas avoir la hauteur d’esprit nécessaire pour se départir de leurs premières décisions lorsqu’ils seront ensuite saisis pour statuer comme juridiction d’annulation.

L’on peut prendre à cet égard l’exemple d’une demande de récusation contre un arbitre, rejetée par l’Assemblée plénière en tant qu’organe du centre d’arbitrage. La question s’était posée de savoir si, au terme de l’arbitrage, la Cour pourra se départir des raisons qui avaient motivé le rejet de la demande de récusation pour s’appesantir sur les moyens soulevés dans le cadre du recours en annulation formé sur le motif de constitution irrégulière du tribunal arbitral[11].

Cette question ne manque pas d’intérêts. Même si elle ne soulève pas une problématique de conflits d’intérêts, elle revêt une importance au regard de l’impératif d’une bonne administration de la justice.   On pourrait faire un parallèle entre le cas de la CCJA et la justice étatique où, pour éviter tout reproche lié à la connaissance antérieure des faits, les juridictions de cassation, après cassation, renvoient les affaires devant une autre Cour d’appel ou à défaut, devant la même juridiction « autrement composée ».   Certes dans le cas de la CCJA, il ne s’agit pas de deux décisions juridictionnelles, mais cet élément, a priori, importe peu.

Ce qui est contesté, c’est le fait que ce soient les mêmes membres de la Cour qui décident pendant l’arbitrage et qui décideront à l’occasion des recours juridictionnels sur la sentence. L’on a pu faire ressortir que cette situation n’était pas de nature à rassurer des opérateurs économiques. Elle expliquerait aussi le peu d’attrait pour l’arbitrage CCJA surtout que ledit centre n’était pas en terrain conquis, mais avait pour finalité de capter une partie des arbitrages en lien avec l’espace OHADA, mais qui sont accomplis par les centres comme la CCI et la LCIA, loin de l’Afrique. 

La CCJA a eu l’occasion de démontrer qu’elle ne faisait pas un mélange de genres et qu’elle tenait à la séparation de ses fonctions juridictionnelles de celles d’administration des arbitrages. Toutefois, il n’est pas sûr que cela ait pu rassurer les opérateurs économiques. En effet, s’il faut reconnaître, au regard de ses statistiques, que la Cour a eu plus de dossiers dans les années récentes que les premières années, il serait prétentieux de dire que le Centre d’arbitrage a atteint sa vitesse de croisière. Il n’en reste pas moins que la CCJa a régulièrement annulé des sentences rendues par des tribunaux arbitraux qu’elle a elle-même mise en place. 

C’est pour parer à ces critiques et rendre le centre d’arbitrage plus efficace que monsieur Gaston KENFACK DOUAJNI, l’un des grands arbitragistes de l’espace communautaire, proposait dans une présentation[12] que :

« en ce qui concerne l’amélioration de ses prestations dans sa fonction d’administration des arbitrages, il est impératif que la CCJA renforce l’autonomie de cette fonction par rapport à la fonction juridictionnelle. Dans ce contexte, elle veillera à ce que ceux des juges qui ont composé sa formation chargée de l’administration d’un arbitrage ne se retrouvent pas, à la phase post-arbitrale, dans sa formation chargée d’examiner les recours juridictionnels éventuels intentés contre la sentence intervenue. L’application effective de cette proposition suppose un accroissement du nombre des membres de la CCJA ».

Enfin, il se posait le problème de la disponibilité des Juges de la Cour et de leur compétence en matière d’arbitrage. Disponibilité tout d’abord, dans le sens où ils étaient partagés entre leurs missions de juridiction communautaire de cassation et d’administrateurs de procédures. Compétence ensuite, car même s’ils sont de grands juristes dont les compétences en matière juridique[13] ne font l’ombre de doute, il n’est pas évident qu’ils le soient également en matière d’arbitrage et surtout d’administration de procédures, un domaine très technique.

La deuxième critique était liée au fait que le Secrétariat général a pu être considéré comme une coquille vide qui n’exécuterait que des tâches matérielles pour le compte de la Cour, alors que généralement pour les centres d’arbitrages, le Secrétaire général est un personnage clé.

Le nouveau règlement a définitivement apporté des solutions aux deux griefs sus évoqués. 

II- Les innovations apportées par le nouveau règlement intérieur

Le nouveau Règlement intérieur de la CCJA en matière d’arbitrage marque un allègement de l’influence de la Cour de l’administration du Centre d’arbitrage. Dans le Règlement intérieur du 20 septembre 2023, le Secrétaire général a été renforcé comme le maillon central de l’administration de l’arbitrage CCJA. Un comité de suivi des procédures a par ailleurs été créé (A). Ces ajustements ont pour finalité de marquer davantage le cloisonnement entre les organes juridictionnels de la Cour et les organes d’administration des procédures arbitrales. Toutes ces nouveautés offrent de nouvelles perspectives d’avenir à l’arbitrage CCJA (B).

A. Le renforcement du secrétariat général et la création d’un comité de suivi des procédures 

Le Règlement de 2023 a redéfini les attributions du Secrétaire général. L’importance du rôle de ce dernier a conduit à prévoir par ailleurs un poste de Secrétaire général adjoint et à renforcer le personnel du Secrétariat général.  

Sous le Titre 2 consacré aux fonctions du Centre d’arbitrage, on retrouve deux articles, le premier consacré aux deux principaux organes qui assurent le fonctionnement du Centre à savoir l’article 6 intitulé « Les attributions du secrétaire général » et l’article 7 consacré aux « Attributions du comité de suivi des procédures ». 

Le nouveau Règlement a le mérite de la clarté. Concernant le Secrétaire général, l’article 6.1 a rappelé sa fonction avant de donner le détail de ses missions. Il est ainsi écrit que « Le Secrétaire général est le responsable administratif et financier du Centre dont il assure la gestion quotidienne (…) ». Une pareille disposition ne se retrouvait pas dans l’ancien Règlement. Le nouveau texte donne une autonomie de décision au Secrétaire général par rapport à la Cour contrairement à l’ancien. 

 Au titre des innovations, il y a lieu de remarquer que dans l’ancien texte, les missions du Secrétaire général sont détaillées en trois (3) sous articles soit les articles 6.1 à 6.3. Le nouveau texte renforce substantiellement ses attributions (6.1, 6.1-1) à 6.1-15) et 6.2). Voici quelques attributions importantes nouvellement et clairement reconnues au Secrétaire général qui désormais : (…) 

« 6.1-4) gère le personnel administratif du Centre ;

6.1-5) élabore le rapport financier annuel du Centre ;

6.1-6) assure la coordination des activités d’arbitrage du Centre ; à ce titre, avec l’assistance du Comité de suivi des procédures, à la bonne administration et au bon déroulement des procédures d’arbitrage ;

6.1-14) initie et assure l’exécution ainsi que la promotion des activités du Centre ;

6.1-15) prend une part active aux conférences et rencontres nationales et internationales portant sur les modes alternatifs de règlement des différends »

Comme on peut le constater, une partie des attributions que la Cour exerçait en matière d’administration du Centre et des procédures arbitrales est transférée au Secrétaire général.

Enfin, dans son souci de recherche de plus de transparence et de visibilité, la Cour a mis une obligation de reddition de comptes à la charge du Secrétaire général lorsque. En effet, le nouveau règlement intérieur prévoit à son article 6.2 qu’« au cours de l’audience de rentrée solennelle de la Cour, le Secrétaire général fait un exposé des activités du Centre durant l’année écoulée ». Cette disposition vient corriger le défaut de publication des données du centre et donc, le défaut de visibilité dont il souffrait. Il est dorénavant instauré un exposé du rapport d’activités qui pourrait être publié régulièrement comme le fait la Cour d’arbitrage de la CCI. Dans son effort de modernisation, la Cour a créé un Comité de suivi des procédures. 

Dans le Règlement intérieur de 2023, la CCJA a créé un Comité de suivi des procédures[14]. Ce Comité est à l’image du Comité de médiation et d’arbitrage dans l’arbitrage institutionnel de la Cour d’Arbitrage, de Médiation et de Conciliation de la Chambre du commerce et d’industrie du Togo (CATO). Selon l’article 7.1 du nouveau règlement intérieur de la CCJA en matière d’arbitrage, « le Comité de suivi des procédures a pour mission de :

7.1-1) vérifier, après réception de la demande d’arbitrage, l’existence ou non d’une convention d’arbitrage entre les parties ;

7.1-2) confirmer ou nommer les arbitres lors d’une instance arbitrale ;

7.1-3) transmettre au tribunal arbitral les dossiers ayant satisfait entièrement aux prescriptions de l’article 11.2 du Règlement d’arbitrage de la CCJA ;

7.1-4) assurer le bon déroulement des procédures arbitrales ;

7.1-5) statuer sur les incidents de procédures ;

7.1-6) statuer sur la recevabilité et le bien-fondé de la demande de récusation des arbitres (…) ;

7.1-7) examiner les projets de sentences conformément aux dispositions de l’article 23 du Règlement d’arbitrage de la CCJA ;

7.1-8) proposer le cas échéant, à la Cour, des modifications de son Règlement d’arbitrage ». 

La création de ce comité marque de façon définitive l’abandon de l’administration du Centre par la Cour. En effet, ce sont les missions que la Cour assurait qui sont ainsi reconnues comme relevant de la compétence du Comité. Le Comité de Suivi des Procédures comprend cinq membres au moins et est présidé par le Secrétaire général et à défaut, par le Secrétaire général adjoint[15].  

Le Centre a été enrichi de mécanismes importants censés préserver la neutralité qui existe déjà en droit comparé[16]. Il s’agit notamment de l’obligation de déport imposée aux membres du Comité dont l’État de nationalité serait impliqué dans une procédure arbitrale. Le Centre a également été délocalisé du siège de la CCJA pour un autre quartier afin de mieux symboliser l’indépendance et la séparation avec cette dernière. Enfin bien que le siège du Centre d’arbitrage soit confirmé à Abidjan en Côte d’Ivoire, le Règlement intérieur a prévu la possibilité de création des Bureaux dans les autres pays. Il convient de préciser que même si le Règlement intérieur n’a pas prévu les modalités de désignation des autres membres du Comité en dehors du Secrétaire général, l’accent est toutefois mis sur le fait qu’ils sont recrutés parmi les spécialistes en arbitrage et en administration des centres d’arbitrage des pays de l’espace OHADA. Toutes ces nouveautés offrent de nouvelles perspectives à l’arbitrage institutionnel communautaire.

B. Les nouvelles perspectives pour le centre d’arbitrage CCJA 

Comme constaté au tout début de cette réflexion, le Centre d’arbitrage de la CCJA pouvait mieux faire en termes de captation du marché. Ce sont les reproches faits à sa structuration qui ternissaient son image. Avec le nouveau règlement, tout a été corrigé. On peut dès lors espérer un changement dans l’appréhension du Centre par les opérateurs économiques. 

Mais les choses ne seront pas aussi simples. Il faudrait d’abord que ces utilisateurs réticents soient informés qu’il y a eu des changements. C’est l’une des raisons de cette publication tout comme celle déjà parue dans le Bulletin ERSUMA[17]. Gageons que beaucoup d’autres interviendront sur le sujet pour une meilleure connaissance du Centre et pour la correction des préjugés. 

Du reste, des combats restent à mener. D’une part, il y a le combat pour une meilleure formation des arbitres. En effet, au-delà des critiques sur l’organisation du Centre, les opérateurs économiques étrangers à l’espace OHADA (mais qui commercent avec lui), ont tendance à considérer qu’il y a un déficit de compétences en matière d’arbitrage dans ledit espace. Ce préjugé les conduit également à préférer des centres d’arbitrages hors du continent africain et donc loin du lieu de l’exécution des contrats litigieux. Si on peut supposer que cette réflexion a pu être vraie dans le passé, tel n’est plus le cas aujourd’hui. 

L’espace OHADA regorge de compétences en matière d’arbitrage. Cela est rendu possible par l’engagement des Organisations de la sous-région qui offrent une panoplie de formation en la matière. À ce titre, l’ERSUMA, l’École Régionale Supérieure de Magistrature, reste un acteur majeur de formation dans le domaine. Elle organise régulièrement des formations, conférences et colloques en droit et pratique de l’arbitrage. Mieux, à partir du mois de septembre 2024, elle débute une formation académique pour des diplômes de spécialité notamment un Certificat en Arbitrage OHADA (CFO). Il y a également l’Université EDGE située à Dakar au Sénégal qui forme depuis quelques années en Master droit de l’arbitrage. De même, les centres d’arbitrage ne sont pas en marge de cette dynamique de formation. C’est ainsi qu’à titre d’exemple, le CMAG du GECAM au Cameroun, organise régulièrement des « Rencontres Autour de l’Arbitrage » (RAA)[18] et le CIAM de Lomé au Togo qui propose des « Matinée-débat »[19] et bien d’autres rencontres[20], où d’éminents spécialistes de la matière sont invités pour entretenir les arbitres et autres acteurs. 

Le plus grand défi à notre avis, reste celui qui doit tendre à changer les habitudes des grandes sociétés occidentales qui opèrent en Afrique. En effet, ces dernières qui sont les parties fortes dans les contrats qu’elles concluent avec les opérateurs africains imposent systématiquement les centres d’arbitrage dont elles sont familières (CCI, LCIA, AFA, Chambre maritime arbitrale de Paris…). Ces clauses compromissoires qui sont pour ainsi dire, des clauses d’adhésion, désavantagent les parties africaines qui n’ont souvent pas les capacités financières pour faire face aux frais d’un arbitrage à Paris ou à Londres, tant les barèmes de ces centres ainsi que les taux horaires des avocats sont élevés. Il faut dès lors, à l’occasion des conclusions des contrats d’affaires, que les avocats et conseils des parties africaines soient à l’avenir plus prudents et plus subtils pour proposer les centres africains d’arbitrage et en particulier le Centre de la CCJA en vantant ses mérites. À ce titre, les avocats[21] d’origine africaine qui ont su s’imposer sur les places européennes et qui représentent habituellement ces grands groupes ont un rôle à jouer pour convaincre leurs clients à faire confiance au Centre CCJA. 

 

[1] Règlement intérieur de la CCJA en matière d’arbitrage du 2 juin 1999 N° Lexbase : A34874YS

[2] Article 21 alinéa 1er du Traité révisé de 2008 N° Lexbase : A9997YS3: « en application d’une clause compromissoire ou d’un compromis d’arbitrage, toute partie à un contrat, soit que l’une des parties ait son domicile ou sa résidence habituelle dans un des Etats-parties, soit que le contrat soit exécuté ou à exécuter en tout ou partie sur le territoire d’un ou plusieurs Etats-Parties, peut soumettre un différend d’ordre contractuel à la procédure d’arbitrage prévue par le présent titre »

[3] Articles 21 alinéa 2 et 39   du Traité révisé de 2008 N° Lexbase : A9997YS3 et 6 du Règlement intérieur

[4] Le Centre d’arbitrage de la CCJA peut administrer des procédures d’arbitrage d’investissement (Article 2.1 alinéa 2 du Règlement d’arbitrage) 

[5] CCI de Paris et LCIA de Londres.

[6] Exemple le CAMCO de Ouagadougou a enregistré 22 demandes d’arbitrages en 2007 contre 8 pour la CCJA, 16 en 2008 contre 2 pour la CCJA, 15 en 2018, 16 en 2020 et 09 au 1er semestre 2023, données statistiques régulièrement publiées par le CAMCO.   

[7] Le règlement d’arbitrage de la CCJA actuellement applicable est celui du 23 novembre 2017 N° Lexbase : A0137YTA

[8] Article 2.4 du Règlement intérieur de 1999 N° Lexbase : A34874YS

[9] A sa création, la CCJA était composée de sept juges jusqu’en 2008  à l’occasion de la révision du Traité où leur nombre avait  été porté à neuf(9). Depuis la Décision N°04/2014/CM/OHADA du 24 juillet 2014, leur nombre a été porté à treize. 

[10] L’article 2.3 alinéa 1er du Règlement de 1999 N° Lexbase : A34874YS énonce que « l’Assemblée plénière comprend le Président, les Vice-Présidents et les Juges. Elle est présidée par le Président et en son absence par le Premier Vice-Président ou à défaut par le second-Président ».

[11] Article 26-b de l’acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage AUA N° Lexbase : A0091YTK

[12] Communication faite sur le thème « l’expérience internationale de la CCJA à l’occasion d’un évènement de l’association africaine des hautes juridictions francophones 

[13] Article 31 du Traité Révisé N° Lexbase : A9997YS3 : la Cour est composée des Magistrats, Avocats et Professeurs de Droit ayant aux moins 15 années d’expérience professionnelle

[14] Aux termes de l’article 3 du nouveau Règlement intérieur : « Le Centre comprend un Secrétariat général et un Comité de suivi des procédures ».

[15] Articles 5.1 et 5.2 du Règlement.

[16] Pratique constante de la Cour d’arbitrage de la CCI où au nom du principe de neutralité, il est proscrit de désigner les arbitres des pays de nationalité dont sont ressortissantes les parties à l’arbitrage.

[17] « L’arbitrage CCJA s’offre des habits neufs » de Théo BITHO paru dans le Bulletin N°68 ERSUMA de Pratique Professionnelle. 

[18] La 24ème RAA a eu lieu le 15 mars 2024 sous le thème : «L’ordre public et l’arbitrage en droit OHADA ». 

[19] La prochaine Matinée-débat aura lieu le 25 mars 2024 sous le thème : «  Le devoir d’impartialité et d’indépendance : interactions avec la notion d’amitié arbitrale » avec comme invité Me Marc Henry, Président de l’AFA.

[20] Récente formation en arbitrage OHADA organisée par  Juris Intélligence. 

[21] Le Cabinet ASAFO et Co et autres.

[Jurisprudence] Recours en annulation d’une sentence arbitrale : dessaisissement du juge d’appel et computation du délai de saisine de la CCJA
par Ibrahim ABDOURAOUFI, Docteur en Droit de l’Université Jean Moulin Lyon 3, Chargé d’enseignement à l’Université de Ngaoundéré (Cameroun)
Réf:CCJA, Ass. plén., 23 mars 2023, n° 049/2023 N° Lexbase : A69962WZ

CCJA, Ass. plén, 29 mars 2023, n° 049/2023

 

ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Assemblée plénière

 

Audience Publique 23 mars 2023

Recours : n° 60/2022/PC du 03/03/2022

Arrêt N° 049/2023 du 23 mars 2023

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Assemblée plénière, a rendu l’Arrêt suivant, en son audience publique du 23 mars 2023 (…)

Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans le 3 mars 2022, sous le n° 60/2022/PC (…)

en annulation de la sentence arbitrale rendue le 20 mai 2021, sous l’égide du Centre d’arbitrage, de Médiation et de Conciliation de la Chambre de Commerce, d’Industrie et d’Agriculture de Dakar et dont le dispositif est le suivant :

« Statuant en matière arbitrale, en premier et dernier ressort ;

En la forme :

Vu l’article 39 du Contrat de travaux en date du 3 octobre 2017 portant convention d’arbitrage ;

— Se déclare compétent ;

— Au fond :

— Vu les dispositions des articles 8, 12, 19, 96, 97, 105 et 129 du Code des obligations civiles et commerciales (COCC) du Sénégal, 31 et 48 du

Règlement d’arbitrage du Centre d’arbitrage, de Médiation et de Conciliation de la Chambre de Commerce, d’Industrie et d’Agriculture de

Dakar, 24 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, 2, 5, 10, 41 et 42 du contrat de construction du 3 octobre 2017 ;

— Vu l’acte de cession de contrat signé entre les sociétés BOROSSA S.A.U. et GETRAN S.A. et approuvé par le sieur Ibou FALL ;

— Ordonne la résolution du contrat de construction du 3 octobre 2017 ainsi que tous actes s’y rattachant ;

— Alloue au sieur Ibou FALL la somme de six cent cinquante millions

(650 000 000) FCFA, à titre de manque à gagner de revenus locatifs, et celle de quatre-vingt-seize millions cinq cent vingt-cinq mille (96 525 000)

FCFA, à titre de remboursement des frais de commission sur caution de la lettre de garantie ;

— Condamne la société GETRAN S.A. à lui payer cette somme ;

La condamne également au paiement des frais de la procédure d’arbitrage ;

Dit que les intérêts de droit courent à compter de la présente sentence arbitrale ;

— Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision sur la totalité des montants alloués… » ;

La requérante invoque à l’appui de son recours les deux moyens d’annulation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent Arrêt ;

Sur le rapport de Monsieur Armand Claude DEMBA, 1er Vice-Président ;

Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

Attendu qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure qu’en date du 3 octobre 2017, le nommé Ibou FALL concluait un contrat de construction d’un immeuble avec la société VERLUNE, agissant en qualité de maître d’œuvre, et la société BOROSSA S.A.U. en tant qu’entrepreneur ; que suite à plusieurs mésententes sur l’exécution dudit contrat, et en raison des conséquences financières qui en découlaient, Ibou FALL, se fondant sur la clause de leur convention relative aux règlements des différends, initiait une procédure d’arbitrage devant le Centre d’Arbitrage, de Médiation et de Conciliation de la Chambre de Commerce, d’Industrie et d’Agriculture de Dakar (CCIAD) aux fins de paiement de diverses sommes d’argent ; que, par une sentence rendue le 20 mai 2021, le tribunal arbitral faisait droit à ses demandes ; que saisie le 14 juillet 2021 d’un recours en annulation de ladite sentence, la Cour d’appel de Dakar, n’ayant pu rendre sa décision dans le délai imparti par l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, rendait un arrêt de dessaisissement le 21 février 2022 ; que la société GETRAN portait alors ce recours devant la CCJA, juridiction au profit de laquelle le dessaisissement est prévu par l’Acte uniforme susvisé ;

Sur la recevabilité du recours

Attendu que, dans son mémoire en réponse reçue au greffe de la Cour de

céans le 11 avril 2022, Ibou FALL soulève l’irrecevabilité du recours au motif qu’il est tardif pour avoir été initié plusieurs mois après le délai de quinze (15) jours qui est imparti à la requérante par l’article 27 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage ; que dans sa réplique datée du 16 mai 2022, la société GETRAN soutient que « le dessaisissement (étant) un acte juridictionnel par lequel le juge épuise sa saisine ou son pouvoir juridictionnel », la seule obligation qui lui incombait était celle de porter son recours à la CCJA dans les quinze jours qui ont suivi le dessaisissement prononcé par la Cour d’appel de Dakar ;

Mais attendu que l’article 27 susmentionné dispose que, saisie d’un recours en annulation de sentence arbitrale, « la juridiction compétente statue dans les trois (3) mois de sa saisine. Lorsque ladite juridiction n’a pas statué dans ce délai, elle est dessaisie et le recours peut être porté devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage dans les quinze jours suivants. » ; qu’en l’espèce, il est établi que la Cour d’appel de Dakar avait été saisie par la société GETRAN le 14 juillet 2021 ; qu’il s’en déduit que, conformément aux exigences de l’article 27 sus visé, cette juridiction se devait de vider sa saisine avant la date limite du 14 octobre 2021 ; que ne l’ayant pas fait, elle était dessaisie au profit de la Cour de céans, et ce, non à compter du 21 février 2022, date à laquelle elle a rendu son arrêt, mais bien depuis le 15 octobre 2021 ; que par conséquent, en portant son recours devant la CCJA le 3 mars 2022, alors qu’elle aurait dû le faire dans les quinze jours suivant le 14 octobre 2021, la société GETRAN l’a exposé à l’irrecevabilité pour tardiveté ; qu’il échet de déclarer le recours irrecevable ; 

Sur les dépens

Attendu que la Société Générale des Travaux Publics et Négoce, dite GETRAN S.A. ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

Déclare le recours irrecevable ;

Condamne la Société Générale des Travaux Publics et Négoce, dite

GETRAN S.A. aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

Commentaire :

Le domaine de l’arbitrage tient une place de choix dans la quête d’attractivité ou dans les signes d’attractivité du droit OHADA[1]. C’est donc tout naturellement que ce domaine fasse l’objet d’une constance sollicitude de la doctrine et finalement du législateur communautaire[2]. Le dernier effort d’importance en ce sens est la rénovation opérée lors du 45e Conseil des ministres tenu à Conakry en Guinée les 23 et 24 novembre 2017[3]

Le crédo en la matière semble être toujours plus de célérité dans la conduite des procédures arbitrales, particulièrement lors de l’intervention du juge étatique. C’est l’objectif affiché par l’article 27 alinéa 2 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage N° Lexbase : A0091YTK qui dispose que « la juridiction compétente statue dans les trois mois de sa saisine. Lorsque ladite juridiction n’a pas statué dans ce délai de trois mois, elle est dessaisie et le recours peut être porté devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage dans les quinze (15) jours suivants ».

Malgré la clarté apparente de cette disposition, des questions subsistent, notamment sur le point de départ de certains délais par exemple. L’arrêt sous commentaire a été l’occasion d’apporter au moins une précision sur cet aspect[4].

Les faits de l’espèce sont relativement simples : à la suite des désaccords entre un maître d’œuvre et un entrepreneur dans le cadre d’un contrat de construction, le maître d’œuvre a initié une procédure d’arbitrage devant le centre d’arbitrage de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Dakar (CCIAD) sur le fondement de la clause contractuelle relative aux règlements des différends. Par une sentence du 20 mai 2021, le tribunal arbitral a fait droit aux demandes du maître d’œuvre en prononçant la résolution du contrat, outre la réparation du préjudice subi. Saisie le 14 juillet 2021 d’un recours en annulation de ladite sentence, la cour d’appel de Dakar a rendu un arrêt de dessaisissement le 21 février 2022 au profit de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. L’une des questions générées par cet arrêt de dessaisissement que devait trancher la Cour commune de justice et d’arbitrage est celle relative au point de départ du délai de saisine.

En d’autres termes, le dessaisissement évoqué par l’article 27 alinéa 2 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage fait-il courir le délai quinzaine pour saisir la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage avant même que le juge étatique ne constate expressément son dessaisissement ?

À cette question, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage a répondu par l’affirmative, réaffirmant et matérialisant clairement l’ambition de la révision des 23 et 24 novembre 2017 N° Lexbase : A0091YTK (I). Outre la clarté de l’arrêt, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage n’a voulu laisser transparaître aucune hésitation en le faisant émaner de l’Assemblée plénière. Il reste que le revers de ce positionnement limite sérieusement le recours du justiciable (II).

I. La réaffirmation de l’ambition de la révision des 23 et 24 novembre 2017

Les nouvelles règles issues de la révision visant la célérité de l’arbitrage, il aurait été incohérent que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage se laisse prisonnière des lourdeurs de l’intervention du juge étatique. Il est essentiel que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage veille au respect des obligations de célérité en sanctionnant les comportements dilatoires des parties, mais également la lenteur des juges des États membres qui interviennent dans la procédure. Ce faisant, les juridictions des États membres se trouvent dépouillées de tout pouvoir retardateur (A) de la même manière que les parties se trouvent amputées de leur capacité dilatoire (B).

A. Les juridictions des États membres dépouillées de leur pouvoir retardateur

La justice étatique dans l’espace OHADA (et au-delà) est trop lente, c’est l’un des griefs qui lui est constamment adressé[5]. Cette lenteur judiciaire qui n’est pas l’apanage de l’Afrique, tant s’en faut, est même ironiquement sublimée par une auteure, y voyant l’« art judiciaire », évoquant une temporalité judiciaire distincte du temps social, loin de l’idée d’une justice lente et paresseuse[6].

Mais seulement, le temps de l’arbitrage n’est pas celui d’une justice lente même s’il s’agit d’une sublime lenteur. Ce temps de la justice sublimement lente n’est pas davantage celui de l’OHADA qui poursuit l’objectif de corriger, entre autres, cette lenteur. D’où les dispositions précitées mises en application par l’arrêt sous observations. Le juge étatique saisi d’un recours contre une sentence arbitrale a un délai de trois mois pour se prononcer sur ce recours. Passé ce délai, il est dessaisi et l’affaire peut être portée devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage par la partie la plus diligente. 

La Cour commune de justice et d’arbitrage a tenu à l’application stricte de cette disposition en privant de tout effet la décision que prendrait le juge étatique au-delà de ce délai trimestriel strict.

Du point de vue de l’objectif de célérité poursuivi par les modes alternatifs de résolution des litiges, cette application stricte par la Cour commune de justice et d’arbitrage est la seule qui s’impose. Il serait en effet mal compris que, contourné par l’option pour un arbitrage, le juge étatique retrouve sa capacité de « nuisance » dans le cadre de ce même arbitrage. D’une certaine manière, tout au moins pour ce qui est du calendrier, le juge étatique a pieds et poings liés et ses actes ne peuvent ni suspendre, ni proroger ce délai de trois mois.

Plus que sur les incidents susceptibles d’affecter le cours normal de la procédure et d’impacter le respect du délai trimestriel, le présent arrêt a principalement fixé le point de départ de ce délai. D’après tout, la meilleure manière de s’assurer de la bonne computation d’un délai est de fixer clairement son point de départ, c’est ce à quoi s’est attelée la Cour commune de justice et d’arbitrage. 

Dans cette espèce, la Cour commune de justice et d’arbitrage rappelle que le point de départ pour saisir la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage court à compter de la date de dessaisissement constatable de la cour d’appel et non celui de la décision de cette cour actant ce dessaisissement. En conséquence, l’on se retrouve dans une situation ubuesque dans laquelle une affaire est inscrite au rôle d’une cour d’appel alors même que ladite cour est dessaisie de cette affaire (période entre l’expiration du délai de trois mois et la décision expresse de la cour).

Telle est la position de la CCJA, a priori d’une clarté certaine. Cependant, une décision subséquente de cette même Cour commune de justice et d’arbitrage est venue atténuer cette impression de clarté.

En effet, dans un autre arrêt du 13 juillet 2023, n° 171/2023 N° Lexbase : A35432EX, elle a rappelé que « la notion de date de saisine prévue par l’article 27 AUA doit être entendue, en République de Côte d’Ivoire, comme celle à laquelle la juridiction nationale peut légalement commencer l’instruction de son dossier, à savoir la date de la première audience ». En conséquence de cette interprétation, le point de départ du délai de trois mois peut être différent en fonction des dispositions de l’État dans lequel la procédure au fond se tient et de fait il pourrait y avoir une différence d’un État membre à l’autre[7].

Sur un tout autre point, on pourrait également questionner le caractère strict de ce délai en cas de survenance des incidents d’instance qui suspendent ou interrompent, quelques fois de plein droit, les procédures en cours.

Le droit judiciaire privé ne faisant pas l’objet d’un acte uniforme, ces incidents ne sont pas les mêmes dans tous les États membres et n’impactent pas nécessairement de la même manière la procédure en cours. Mais surtout quelle sera la position de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage dans ces hypothèses où un incident d’instance affecterait une procédure post arbitrale devant une cour d’appel ?

L’ouverture de certaines procédures collectives nécessite la mise en cause des organes de la procédure, voire le dessaisissent du débiteur. L’interruption d’instance du fait de l’ouverture d’une procédure collective est en effet un principe que la Cour de cassation française par exemple considère comme relevant de l’ordre public interne et international[8]. Dans une telle hypothèse, un accroissement du délai est en principe inéluctable, mais, cet accroissement serait-il sans effet sur le délai imparti au juge saisi de la procédure post-arbitrale ?

Cette hypothèse pourrait être rapprochée à celle du décès d’une partie dans le cas où l’action est transmissible. De manière générale, l’interrogation porterait sur tous les cas de figure où une partie viendrait à perdre sa capacité d’ester en justice. La survenance d’un tel évènement aura pour effet de faire obstacle à la poursuite des débats et à l’impossibilité d’accomplir le moindre acte.

La rigueur de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ne semble pas distinguer ces cas et imposerait une application stricte du respect du délai trimestriel, alors même que par ailleurs, le juge étatique saisi de la contestation post ou péri arbitrage se trouve obligé par ces incidents.

Mais le juge n’est pas le seul concerné. Les parties se trouvent également amputées de leur capacité dilatoire.

B. Les parties amputées de leur capacité dilatoire

Outre la stricte application de l’article 27 alinéa 2 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage N° Lexbase : A0091YTK, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage a sans doute voulu donner son plein sens à la version révisée des articles 14 de l’Acte uniforme et 16 alinéa 2 du règlement d’arbitrage N° Lexbase : A0137YTA dont les dispositions rappellent que « les parties agissent avec célérité et loyauté dans la conduite de la procédure et s’abstiennent de toutes mesures dilatoires ».

Cette double obligation, positive de célérité et négative de s’abstenir de toutes manœuvres dilatoires, résulte de la révision et n’est pas sans rappeler les articles 1464 [LXB=L2255IP9] [9] du code de procédure civile français et 22-1[10] du règlement de la CCI [LXB=L2977DYW]. Les articles 559 [LXB=L6811LEY] [11] et 32-1 [LXB=L6815LE7] [12]du Code de procédure civile français pourraient également s’y rapprocher.

Le recours au juge étatique dans le cadre du contentieux de l’annulation pourrait en effet être un moyen de retarder l’exécution d’une sentence, voire d’organiser en parallèle de ce retardement, son insolvabilité ; d’où la nécessité de prévoir des mécanismes de prévention et de sanction de ces attitudes dilatoires, voire frauduleuses[13].

Ces dispositions concernent toutefois moins l’irrecevabilité du recours consacrée par l’arrêt de la Cour commune de justice et d’arbitrage que les sanctions éventuelles des comportements dilatoires et fautifs des parties.

Une partie qui contreviendrait à cette disposition par un recours manifestement dilatoire ou par des manœuvres visant ce même objectif de retarder, pourrait se voir condamnée à des dommages et intérêts sur la base de ces dispositions (mauvaise foi, manquement à l’obligation de loyauté…), voire à une amende civile si le droit national concerné la prévoit. 

Même à supposer que le juge étatique vide son contentieux dans les délais de 3 mois, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage pourrait (et devrait) sanctionner (pécuniairement) à son niveau, les démarches dilatoires des parties sur la base ce texte, car l’obligation de célérité ne se limite pas à la phase de saisine du juge étatique.           

Dans l’espèce sous commentaire, il n’en a pas été question, car a priori le retard serait du fait de la juridiction saisie et rien ne permet de caractériser une manœuvre déloyale de la part de la partie demanderesse.

En tout état de cause, les deux possibilités de sanction se complètent dans l’objectif d’assurer la célérité, et les parties à l’arbitrage sont doublement averties. Elles s’exposent à la fin de non-recevoir de leur saisine de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et une potentielle faute sanctionnable si elles s’amusaient à jouer la montre. Une attention particulière doit toutefois être portée sur l’effectivité du droit au recours des justiciables.

II. Des limitations possibles à l’effectivité du recours au juge étatique

Il est vrai que la pertinence des recours contre les sentences arbitrales ne va pas de soi et qu’il « aurait pu être envisagé d’exclure tout recours », mais, « l’arbitre, comme n’importe quel juge, n’est pas infaillible ». Ainsi, il « faut au moins veiller à ce que soient respectés les principes fondamentaux de la procédure, inhérents à la composante juridictionnelle de l’arbitrage, et la volonté des parties, pierre angulaire de ce mode de résolution des litiges »[14].Surtout, à partir du moment où le principe de ce recours existe, il est indispensable de s’assurer de son effectivité. 

Le droit à un recours effectif peut s’analyser sous plusieurs angles et les limitations à ce droit se déclinent en autant d’angles. Poussées à l’extrême, la logique des dispositions de l’article 27 alinéa 2 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage N° Lexbase : A0091YTK et l’interprétation qui en a été faite par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage sont susceptibles de caractériser des limitations aussi bien théoriques (A) que systémiques (B) du point de vue de l’effectivité du recours.

A. Limitations du point de vue théorique 

Sur le plan de l’épistémologie juridique, plus d’une remarque pourraient être faites à la lecture de la décision de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. 

D’abord, en matière de contestation des décisions arbitrales devant la cour d’appel, la date de saisine de la cour d’appel se révèle plus importante que la date de la décision de cette cour. En effet, c’est en principe par rapport à cette date de saisine qu’est apprécié le délai au bout duquel la Cour commune de justice et d’arbitrage doit être saisie sous peine d’irrecevabilité. La date de la décision que prendrait la cour d’appel saisie se trouve ainsi reléguée au second plan. 

Au point strict du « purisme » juridique et procédural, ce mécanisme est susceptible de déranger, car, in fine, la saisine se révèle plus importante que la décision qui est prise en réponse à cette saisine.

Il est vrai que la primauté accordée à la date de saisine par rapport au devenir de la procédure n’est pas l’apanage des contestations des sentences arbitrales OHADA, mais les conséquences tirées dans d’autres situations ne sont pas aussi graves pour les parties. L’on peut citer l’exemple des différends comportant un élément d’extranéité, avec une possibilité de forum shopping où l’exception de litispendance se fonde sur le juge saisi en premier et finalement sur la date de saisine. C’est le cas par exemple des désunions et de responsabilité parentale[15]. Dans ce cas, la date est importante, mais elle n’est pas susceptible d’entraîner un anéantissement de la procédure comme dans l’espèce commentée, mais simplement à conférer compétence exclusive au juge saisi en premier.

L’autre « curiosité » de cette jurisprudence est la consécration de la décision implicite au détriment de la décision implicite.

En effet, si la cour d’appel ne rend pas sa décision au bout du délai imparti, l’appelant doit, d’une certaine manière, constater qu’une décision implicite est intervenue et soumettre cette décision implicite à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. Dans l’hypothèse où une décision explicite de la juridiction saisie intervient postérieurement à l’expiration du délai, cette décision se trouve privée d’effet par la décision implicite intervenue.

Enfin, et en conséquence de logique des deux points évoqués (primauté de la date de saisine sur la date de décision et primauté de la décision implicite sur la décision explicite), la décision de la cour d’appel se trouve privée de tout effet. 

Qu’il s’agisse de la décision au fond statuant hors délai sur les éléments de contestation soumis ou d’une décision actant le dessaisissement du fait de l’écoulement du délai, il n’en découle aucun effet. Il n’aurait pourtant pas été illogique de faire courir le délai de saisine de la Cour commune de justice et d’arbitrage à compter de cette décision explicite de la cour d’appel. Dans l’arrêt commenté, le délai de saisine de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage aurait commencé à compter de l’arrêt de la cour d’appel de Dakar actant son dessaisissement. Mais la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage a manifestement opté pour une célérité maximale, quitte à ce que le système limite en pratique l’effectivité du recours juridictionnel.

B. Limitations du point de vue pratique 

Le fait pour la Cour commune de justice et d’arbitrage et à travers elle, le droit OHADA, d’imposer une telle rigueur dans le contrôle du temps d’intervention du juge étatique saisi dans le cadre arbitral présente comme il a été dit, des vertus certaines pour le système arbitral OHADA. Mais du point de vue du droit d’accès au juge et de l’effectivité du recours, il pourrait arriver que le justiciable, même de bonne foi, soit privé de fait d’une voie de recours ou d’un degré de juridiction. Il est bien vrai que l’arbitrage étant « un mode de règlement des différends autonome par rapport à la justice étatique ; il ne s’agit pas d’un premier degré de juridiction »[16].

Mais « parce que l’arbitre est un juge, les considérations d’autonomie et de célérité de l’arbitrage doivent être conciliées avec l’impératif plus général de bonne justice, qui postule l’existence d’un recours »[17].

D’abord, une meilleure information de la partie qui saisirait le Juge de l’annulation l’aurait avertie et aurait atténué les conséquences de l’irrecevabilité en cas de dépassement du délai. Concrètement, dès sa saisine, la cour d’appel délivre au saisissant un accusé de réception du recours qui lui rappelle les délais de dessaisissement implicite et les voies de recours.

Ensuite, dans l’espèce commentée, saisie d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale, la cour d’appel de Dakar a rendu un arrêt de dessaisissement au profit de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage en raison du dépassement du délai à lui imparti. Le justiciable se trouve privé non pas seulement d’un degré de juridiction, mais de toute possibilité de recours alors même qu’il a initialement agi dans les délais[18]. La sanction consacrée par la Cour commune de justice et d’arbitrage consistant à déclarer son recours irrecevable n’est-elle pas disproportionnée pour une partie à laquelle il ne saurait être imputé le retard de la cour d’appel ?

À observer de près le fonctionnement des juridictions étatiques appelées à connaître en premier ressort des recours en annulation des sentences arbitrales, il ne peut qu’être constaté que l’engorgement de ces juridictions nationales n’est pas en adéquation avec l’ambition du droit communautaire. Persister à interpréter aussi strictement l’article 27 alinéa 2 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage N° Lexbase : A0091YTK pénaliserait le justiciable et risque de créer un système qui varie d’un État membre à un autre, en fonction du fonctionnement de la cour d’appel national de renvoi.

La question des moyens de cette politique communautaire se pose finalement au plan national. Faut-il aller vers la création des « chambres OHADA » au sein des cours d’appel avec des moyens renforcés pour permettre une juste application de ce droit de l’arbitrage qui se veut rapide et efficace ? Pour atteindre cet objectif de rapidité et d’efficacité, un renforcement systémique est assurément indispensable. Autrement, un obstacle de taille n’est pas à exclure : soit les dossiers bloquent au niveau des cours nationales et la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage se contentera de prononcer l’irrecevabilité des saisines qui lui parviendront, soit les cours d’appel nationales expédient les dossiers et l’engorgement se forme au niveau de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. Dans cette dernière hypothèse, la difficulté pour le justiciable réside dans le fait que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ne soit pas réellement tenue par un délai dont l’irrespect est assorti d’une sanction.

Paradoxalement, cette question de célérité et des procédures de contestation abrégées, déclarées irrecevables parce que dépassant de quelques jours un court délai de trois mois risque de se transformer en question de responsabilité du fait d’une durée excessive des procédures. Mais il s’agit là d’un tout autre débat.

 

[1] Sur l'ensemble de la question, Ph. Fouchard (dir.), L'OHADA et les perspectives de l'arbitrage en Afrique : Bruylant, Bruxelles, 2001. – G. Kenfack Douani, L'arbitrage OHADA : PUPPA, 2014.

[2] Pour le point d’étape voir par exemple, P. Meyer, « Le droit de l’arbitrage dans l’espace OHADA dix ans après l’Acte uniforme », (2010), 2010, Revue de l’arbitrage, Issue 3, pp. 467-494.

[3] Voir notamment G. Ngoumtsa-Anou, « OHADA - Brèves notes sur la réforme des modes alternatifs de règlement des différends dans les pays de l'OHADA », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 50, 14 décembre 2017, act. 896 ; G. Kenfack Douajni, Le nouveau droit de l'arbitrage et la médiation OHADA, Edition Pedone, 2021 ; E. Loquin, « L'accélération de la procédure d'arbitrage à l'intérieur de l'espace OHADA » Journal du droit international (Clunet) n° 2, avril-mai-juin 2019, doctr. 4

[4] A. Seïd Algadi [Brèves] « Délai pour exercer un recours en annulation contre une sentence arbitrale », Lexbase Afrique-OHADA, juin 2017 N° Lexbase : A4792WGL

[5] V. notamment J. du Bois de Gaudusson, « La justice en Afrique : nouveaux défis, nouveaux acteurs. Introduction thématique », Afrique contemporaine, vol. 250, no 2, 2014, pp. 13-28.

[6] E. Costa « Des chiffres sans les lettres » , AJDA 2010. 1623.

[7] Sur cet arrêt, voir F. Diop, « Computation du délai imparti à la juridiction nationale par l’article 27 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage (AUA) », Lexbase Afrique-OHADA, n° 71, février 2024 N° Lexbase : N8548BZM.

[8] Cass. 1ère Civ. 6 mai 2009, Bull. Civ. I, n°86 ; JCP G 2009, I, 462, n°6, obs. J. Beguin; Dalloz 2009, p. 2959, obs. Th. Clay; Revue de l’Arbitrage 2003, p. 211, obs. Ph. Fouchard. 

[9] « Les parties et les arbitres agissent avec célérité et loyauté dans la conduite de la procédure » [LXB=L2255IP9].

[10] « Le tribunal arbitral et les parties font tous leurs efforts pour conduire la procédure d’arbitrage avec célérité et efficacité en termes de coût, eu égard à la complexité et à l’enjeu du litige » [LXB=L2977DYW].

[11] « En cas d'appel principal dilatoire ou abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui lui seraient réclamés » [LXB=L6815LE7].

[12] « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés » [LXB=L6811LEY].

[13] Voir sur cette question, H. Lécuyer, « L’exercice abusif des voies de recours contre les sentences arbitrales : de quelques manifestations de l’ire du juge judiciaire », Revue de l’arbitrage 2006, p. 573.

[14] Ch. Seraglini, J. Orthscheidt, op cit, p. 947.

[15] Voir par exemple Règlement « Bruxelles II bis » (Règlement (CE) n° 2201/2003 Conseil, 27 novembre 2003)  désormais « Bruxelles II ter » (Règlement (UE) n° 2019/1111 du 25 juin 2019. 

[16] Ch. Seraglini, J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, LGDJ, 2ème édition, 2019, p. 467.

[17] Ch. Seraglini, Jérôme Ortscheidt, op cit p. 467

[18] C’est vrai qu’à titre de comparaison, l’équité de la procédure au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme des libertés fondamentales par exemple, n’exige pas en matière non-répressive, un double degré de juridiction. Voir en ce sens, S. Guinchard, « Convention européenne des droits de l’homme et procédure civile », Rép Dalloz, proc. civ. Mars 2003, spéc. n° 156 et s.

[Jurisprudence] Droit au renouvellement du bail à usage commercial OHADA et conditions d’octroi de l’indemnité d’éviction
par Cédric Yasser NZOUAKEU NYANDJOU, Docteur/Ph.D en droit privé, Enseignant chercheur — Université de Garoua/Cameroun
Réf:CCJA, 2e ch., 15 juin 2023, n° 137/2023, aff. La Société Elie Majahes et Fils SARL N° Lexbase : A69492WB

CCJA, 2e ch., 15 juin 2023, n° 137/2023

 

ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

Deuxième chambre

 

Audience publique du 15 juin 2023

Pourvoi : n° 466/2021/PC du 29/12/2021

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Deuxième chambre (…) a rendu en son audience publique ordinaire du 15 juin 2023 l’Arrêt dont la teneur suit, après délibération du collège de juges (…)

Sur le recours enregistré sous le n° 466/2021/PC du 29 décembre 2021, formé (…) en cassation de l’arrêt n° 056, rendu le 07 juillet 2021 par la Cour d’appel de Thiès, dont le dispositif est le suivant : 

« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;

En la forme :

Vu l’ordonnance n° 45 en date du 19 mai 2019 du conseiller de la mise en état déclarant tant les appels principal qu’incident recevables ;

Au fond :

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Fait masse des dépens entre les parties, chacune pour moitié. » ;

La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les quatre moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent Arrêt ;

Sur le rapport de Monsieur Armand Claude DEMBA, Premier Vice- président ;

Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

Attendu, selon les énonciations de l’arrêt attaqué, qu’en vertu d’un contrat de location à durée déterminée de deux ans en date du 12 novembre 2017, la Société ELIE MAJAHES et FILS SARL occupe un local appartenant à la dame X ; que par exploit d’huissier daté du 29 mars 2019, celle-ci signifiait au preneur un congé de six mois pour non-renouvellement dudit contrat ; qu’estimant que le congé qui lui était servi présentait des irrégularités, et qu’elle avait droit au renouvellement du bail les liant, la Société ELIE MAJAHES et FILS SARL assignait X par-devant le Tribunal de grande instance de Mbour en son annulation, et paiement, par conséquent, de la somme de 600 000 000 FCFA au titre d’indemnité d’éviction ; que sur appel de X, la Cour de Thiès, par l’arrêt n° 056 rendu le 07 juillet 2021, confirmait le jugement du tribunal ; que c’est cette décision qui fait l’objet du présent pourvoi ;

Sur les premier et quatrième moyens réunis

Attendu, en la première branche du premier moyen, qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir violé les dispositions de l’article 123 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, en ce qu’il a considéré que le preneur avait droit au renouvellement du bail à durée déterminée liant les parties, alors, selon le moyen, que les juges ont retenu que les parties étaient liées par ledit contrat à compter du 12 novembre 2017 et que son renouvellement n’était pas encore acquis en l’espèce ;

Qu’en la seconde branche du même moyen, la requérante fait grief à l’arrêt dont pourvoi la violation de l’article 126 de l’Acte uniforme précité, en ce qu’il a déclaré nul le congé servi sans ordonner l’expulsion du preneur ou mettre fin au bail à son expiration pour une éviction effective ; que de ce fait, il ne peut justifier la condamnation de X au règlement d’une indemnité d’éviction ;

Que dans le quatrième moyen, il est reproché à l’arrêt attaqué la dénaturation du contrat de bail à usage professionnel, en ce qu’il a énoncé que le preneur avait droit au renouvellement du bail, dès lors que la société intimée a exploité un magasin sur le lieu loué pendant plus de deux ans, alors, selon le moyen, que le contrat signé le 12 novembre 2017 n’excède nullement deux ans ; que de tout ce qui précède, la décision attaquée mérite cassation ;

Mais attendu qu’aux termes de l’article 123 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, « le droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée est acquis au preneur qui justifie avoir exploité, conformément aux stipulations du bail, l’activité prévue à celui-ci, pendant une durée minimale de deux ans.

Aucune stipulation du contrat ne peut faire échec au droit de renouvellement.

En cas de renouvellement exprès ou tacite, le bail est conclu pour une durée minimale de trois ans.

En cas de renouvellement pour une durée indéterminée, les parties doivent prévoir la durée du préavis de congé qui ne peut être inférieure à six mois » ;

Que l’article 126 ibidem prescrit, quant à lui, que « le bailleur peut s’opposer au droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée en réglant au locataire une indemnité d’éviction.

À défaut, d’accord sur le montant de cette indemnité, celle-ci est fixée par la juridiction compétente en tenant compte notamment du montant du chiffre d’affaires, des investissements réalisés par le preneur, de la situation géographique du local et des frais de déménagement imposés par le défaut de renouvellement » ;

Qu’en l’espèce et de première part, les pièces du dossier, et notamment l’article 3 du contrat de « bail à usage commercial », renseignent nettement qu’il « est conclu pour une période de deux (02) ans et prend effet à compter du 12 novembre 2017 pour arriver à terme le 12 novembre 2019 » ; que le droit au renouvellement du bail s’apprécie, non au moment où le preneur formule son droit au renouvellement, en l’occurrence le 31 juillet 2019, mais bien à l’expiration arrêtée d’accord commun au 12 novembre 2019 ; qu’il s’en déduit que c’est à bon droit que le juge d’appel s’est prononcé comme il l’a fait ;

Qu’ensuite, le droit au renouvellement au bail ayant été justement apprécié dans le temps, la cour d’appel n’a pas méconnu le sens et la portée des dispositions de l’article 126 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général en condamnant X à payer à la Société ELIE MAJAHES et FILS SARL une indemnité d’éviction ;

Qu’enfin, la dénaturation arguée par X n’est pas de mise, dès lors qu’il est constant que le droit au renouvellement du bail de la Société ELIE MAJAHES et FILS SARL s’est bien inscrit dans la période de deux ans allant du 12 novembre 2017 au 12 novembre 2019, un bail d’un an ayant par ailleurs précédemment lié les parties contractantes ;

Attendu qu’il s’en infère que le premier moyen, en ses deux branches, et le quatrième moyen sont infondés ; qu’il échet de les rejeter ;

Sur le deuxième moyen

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué de manquer de base légale, en ce que, sans résilier le bail liant les deux parties il a retenu que le preneur a droit au paiement de l’indemnité d’éviction, alors, selon le moyen, que la nullité du congé a pour conséquence le non avenu du congé, ce qui met les parties dans l’état antérieur pour poursuivre la relation contractuelle, et ce, sans éviction, aux termes de l’article 126 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général ;

Mais attendu qu’il est établi que la Société ELIE MAJAHES et FILS SARL avait formulé une demande de renouvellement du bail suivant exploit daté du 31 juillet 2019 ; que X y a répondu par exploit du 18 septembre 2019 en lui signifiant une lettre de non-renouvellement du bail ; que dès lors, aucune poursuite dudit bail ne pouvant être alléguée, la Cour d’appel a fait une correcte application de l’Acte uniforme en se prononçant comme elle l’a fait ; que ce deuxième moyen, aussi infondé que les précédents, est également rejeté ;

Sur le troisième moyen

Attendu que, par le troisième moyen, il est reproché à la cour d’appel une insuffisance de moyens, aux motifs, d’une part, que les juges n’ont pas permis à la Haute Cour d’exercer un contrôle sur le véritable chiffre d’affaires du commerce exercé par l’enseigne « Le Bon Coin » et, d’autre part, qu’ils n’ont pas ordonné la résiliation du bail ainsi que l’expulsion du preneur, avant d’allouer à la Société ELIE MAJAHES et FILS SARL une indemnité d’éviction ;

Mais attendu que ces deux branches du moyen tendent à remettre en cause l’appréciation souveraine des juges du fond ; que par conséquent, son irrecevable est de mise ;

Attendu qu’aucun des quatre moyens de cassation n’ayant prospéré, le pourvoi mérite rejet ;

Sur les dépens

Attendu que X ayant succombé, les dépens sont mis à sa charge ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré, Rejette le pourvoi ;

Condamne X aux dépens

 

 

Commentaire : 

  L’une des spécificités du droit des affaires de l’OHADA est la protection remarquable du bail professionnel garantie au commerçant. Le propriétaire de l’immeuble mis en location, ne peut de son propre chef décider des modalités de résiliation du bail commercial. Le contrat en cours doit, sauf en cas de manquement grave ou de reprise pour causes légitimes, être exécuté jusqu’à terme. À l’expiration du bail, le droit au renouvellement du bail est acquis au preneur qui justifie avoir exploité, conformément aux stipulations du bail, l’activité prévue à celui-ci, pendant une durée minimale de deux ans. La consécration du droit au renouvellement du bail commercial garantit ainsi la stabilité et la croissance de l’entreprise. Ces prérogatives ont bien été rappelées par l’arrêt n° 137/2023 du 15 juin 2023 rendu par la deuxième chambre de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA (CCJA) dans l’affaire n° 137/2023.

En l’espèce, la Société Elie Majahes et Fils SARL a, par un contrat conclu le 12 novembre 2017 pris à bail un local commercial. La propriétaire a, par exploit d’huissier du 29 mars 2019, signifié au preneur un congé de six mois pour non-renouvellement dudit contrat. Mais estimant que le congé qui lui était servi présentait des irrégularités, et qu’elle avait droit au renouvellement du bail les liant, la Société Elie Majahes et Fils SARL a assigné avec succès la propriétaire devant le Tribunal de grande instance de Mbour en son annulation, et paiement, par conséquent, de la somme de 600 000 000 FCFA au titre d’indemnité d’éviction. Le jugement rendu à cet effet a été contesté par la propriétaire qui a interjeté appel. Mais la Cour d’appel de Thiès va une fois de plus la condamner. L’arrêt confirmatif n° 056, rendu le 07 juillet 2021 par la Cour d’appel de Thiès, n’a pas suffi pour dissuader l’appelante de se pourvoir en cassation devant la CCJA.

La demanderesse au pourvoi fait valoir quatre arguments. Le premier est fondé sur deux branches, dont la première énonce la violation des dispositions de l’article 123 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général N° Lexbase : A9978YSD, en ce qu’il a considéré que le preneur avait droit au renouvellement du bail à durée déterminée liant les parties, alors que les juges ont retenu que les parties étaient liées par ledit contrat à compter du 12 novembre 2017 et que son renouvellement n’était pas encore acquis en l’espèce. Dans, la seconde branche, la requérante fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé les dispositions de l’article 126 de du même Acte uniforme N° Lexbase : A9978YSD, en ce qu’il a confirmé le jugement qui annule le congé servi sans ordonner l’expulsion du preneur ou la fin du bail à son expiration. Le requérant estime de ce fait que la cour d’appel ne peut justifier sa condamnation au règlement d’une indemnité d’éviction. Le deuxième argument est tiré de l’absence de base légale de l’arrêt attaqué, en ce qu’il a retenu que le preneur avait droit à une indemnité d’éviction, alors même qu’il n’a pas prononcé la résiliation du bail liant les deux parties. Or, selon la propriétaire, la nullité du congé aurait pour conséquence de mettre les parties dans l’état antérieur pour poursuivre la relation contractuelle et ce, sans éviction, aux termes de l’article 126 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général N° Lexbase : A9978YSD. Le troisième soutient une insuffisance de moyens, aux motifs, d’une part, que les juges n’ont pas permis à la Haute Cour d’exercer un contrôle sur le véritable chiffre d’affaires du commerce exercé par le preneur. D’autre part, il est reproché aux juges d’appel de ne pas avoir ordonné la résiliation du bail ainsi que l’expulsion du preneur, avant de lui allouer une indemnité d’éviction. Le quatrième argument relève de la dénaturation du contrat de bail à usage professionnel, en ce qu’il a énoncé que le preneur avait droit au renouvellement du bail dès lors que la société intimée a exploité un magasin sur le lieu loué pendant plus de deux ans. Or, selon le moyen, le contrat signé le 12 novembre 2017 n’excède nullement deux ans. Tous ces arguments ont été avancés afin d’obtenir la cassation de l’arrêt de la Cour d’appel de Thiès.

Dans l’ensemble, les juges de la CCJA ont été appelés à se prononcer sur deux questions intimement liées au bail commercial. La première était relative au moment d’appréciation du droit au renouvellement du bail commercial. Il fallait de toute évidence dire à quel moment s’apprécie le droit au renouvellement du bail commercial du preneur. La seconde était relative aux conséquences de l’irrégularité d’un congé de non-renouvellement du bail commercial. La bailleresse demandait si l’irrégularité entachant le congé de non-renouvellement du bail commercial devait être sanctionnée par la subsistance du droit au renouvellement du bail commercial et par l’allocation d’une indemnité d’éviction appréciée souverainement par les juges du fond ? Relativement à la première préoccupation, les juges précisent que le droit au renouvellement du bail s’apprécie, non au moment où le preneur formule son droit au renouvellement, mais bien à l’expiration arrêtée d’un commun accord. Pour ce qui est de la seconde question, les juges de la Haute juridiction communautaire en rejetant le pourvoi, répondent par l’affirmative. La CCJA précise que le renouvellement du bail commercial est acquis au preneur, sous certaines conditions (I). Ce dernier bénéficie par ailleurs d’une indemnité d’éviction en cas de congé irrégulier (II).

I. L’acquisition du droit au renouvellement du bail commercial

Le preneur qui exploite le local loué conformément aux stipulations contractuelles et aux dispositions légales peut, avant l’expiration du bail et sur la base d’un précédent contrat, demander son renouvellement (A). Ce droit lui est également acquis en cas d’annulation du congé irrégulier de non-renouvellement servi par le bailleur (B).

A.L’évaluation différée de la période d’exploitation

Aux termes de l’article 123 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général (AUDCG) N° Lexbase : A9978YSD : « Le droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée est acquis au preneur qui justifie avoir exploité, conformément aux dispositions du bail, l’activité prévue à celui-ci, pendant une durée minimale de deux ans. »[1]. Cette disposition énonce clairement la durée minimale requise pour exercer le droit au renouvellement du bail commercial. Le preneur doit avoir exploité le local loué pendant une durée minimale de deux ans. En l’espèce, c’est la mauvaise appréciation de cette durée qui a fait succomber la bailleresse dans l’affaire l’opposant à la Société Elie Majahes et Fils SARL. En revanche, le preneur avait bien évidemment compris que le renouvellement du bail commercial peut être demandé pour tout contrat conclu pour une durée de deux ans. La demande devant être faite avant l’échéance du contrat en cours. Cependant, la bailleresse a eu une autre compréhension de cette disposition. Selon elle, le droit au renouvellement du bail commercial n’était pas encore acquis en l’espèce, car la durée d’exploitation requise n’avait été atteinte. Le preneur ne pouvait pas avant l’expiration du bail commercial solliciter son renouvellement. Les parties étant liées à compter du 12 novembre 2017, il fallait forcément attendre le 12 novembre 2019 pour demander le renouvellement du bail commercial.

Cette erreur d’appréciation a été sanctionnée en instance, en appel et devant la CCJA. La Haute juridiction rappelle fort opportunément que le droit au renouvellement du bail s’apprécie, non au moment où le preneur formule son droit au renouvellement, mais bien à l’expiration arrêtée d’accord commun. Le décompte de la durée d’exploitation commence à courir au jour de la conclusion du contrat. Entre le jour de la conclusion du contrat et le jour de son échéance, il doit s’être écoulé deux années pleines. Ainsi, le preneur qui a droit au renouvellement de son bail peut demander le renouvellement de celui-ci, par signification d’huissier de justice ou notification par tout moyen permettant d’établir la réception effective par le destinataire, au plus tard trois mois avant la date d’expiration du bail. Il s’ensuit que la Société Elie Majahes et Fils SARL en formulant son droit au renouvellement, en l’occurrence le 31 juillet 2019 soit plus de trois mois avant l’échéance du contrat prévue au 12 novembre 2019, n’a pas méconnu les dispositions de l’article 124 de l’AUDCG N° Lexbase : A9978YSD. Elle pouvait donc légitimement prétendre au renouvellement de son bail.

La CCJA précise aussi que pour le calcul de la durée d’exploitation des lieux loués, le contrat antérieur à celui dont la prorogation est demandée doit également être pris en compte. Cette particularité avait échappé à la vigilance de la bailleresse qui prétendait à une dénaturation du droit au renouvellement du bail commercial. Malheureusement, cette inadvertance lui sera préjudiciable. Ce moyen avancé contre l’arrêt de la Cour d’appel de Thiès est donc infondé, puisque le juge d’appel a justement apprécié dans le temps le droit au renouvellement au bail commercial de la Société Elie Majahes et Fils SARL. En rejetant la dénaturation du droit au renouvellement du bail commercial avancée par la bailleresse, la CCJA tient à lever toute équivoque susceptible de compromettre les droits du preneur. En effet, l’appréciation de la période requise pour obtenir le renouvellement du bail commercial doit se faire en tenant compte de la date de conclusion et de la date d’échéance du contrat. Plus encore, la période échue précédant le contrat dont la prorogation est demandée doit également être prise en compte pour l’appréciation générale du temps passé par le preneur dans le local mis à sa disposition. Toutefois, le droit au renouvellement du bail commercial n’est pas absolu. Le preneur peut se heurter au refus du bailleur qui lui signifie un congé de non-renouvellement du bail commercial ; pourvu que celui-ci soit régulier.

B.L’annulation du congé irrégulier de non-renouvellement du bail commercial

L’annulation du congé de non-renouvellement du bail commercial peut être demandée en cas d’irrégularité manifeste. En effet, le bailleur qui veut récupérer son local doit signifier au preneur, un congé de non-renouvellement du contrat de location. Le congé servi doit être régulier. La signification par voie d’huissier de justice au moins six mois avant l’échéance du contrat n’est pas le seul élément permettant d’établir la régularité du congé. C’est en tout cas ce qui a été reproché à la bailleresse. Cette dernière avait bien évidemment servi à la Société Elie Majahes et Fils SARL un congé de six mois pour non-renouvellement de son bail commercial, mais le congé servi présentait des irrégularités. Le preneur ainsi que les juges n’ayant pas indiqué les irrégularités entachant le congé servi, il faut se référer aux dispositions de l’article 126 de l’AUDCG N° Lexbase : A9978YSD pour identifier les manquements susceptibles d’anéantir le congé de non-renouvellement du bail commercial. En principe, « le bailleur peut s’opposer au droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée en réglant au locataire une indemnité d’éviction ». Cette disposition prévoit clairement qu’une offre d’indemnité d’éviction doit être faite au locataire. Or, les faits de l’espèce ne précisent pas qu’une offre d’indemnité d’éviction a été faite au locataire ; ce qui est anormal au regard des prescriptions légales.

L’indemnité d’éviction peut même être refusée au locataire, mais ce refus doit être motivé[2]. Une fois de plus, aucune motivation de refus d’indemnité n’a été rapportée dans la présente affaire. Cependant, la bailleresse aurait pu justifier le congé servi par un motif grave et légitime à l’encontre du preneur sortant[3]. Les motifs évoqués pouvaient également porter sur la reprise des lieux en vue d’une rénovation[4], la reprise du lieu portant sur les locaux d’habitation accessoires des locaux principaux en vue d’y loger sa famille[5], le changement de destination des locaux reconstruits[6], le non-respect d’une clause essentielle du contrat par le preneur[7]. Mais en s’abstenant d’accomplir toutes ces exigences, la bailleresse s’est frontalement heurtée à l’opposition de la société Elie Majahes et Fils SARL. En effet, le congé servi par celle-ci dans le délai et selon la forme requise ne comportait pas une offre de règlement d’une indemnité d’éviction. En outre, il n’a pas été motivé. Ces irrégularités portées à l’attention des juges du fond ont été sanctionnées par l’annulation du congé de non-renouvellement du bail commercial. L’annulation confirmée par la juridiction communautaire a pour conséquences le maintien de la relation contractuelle entre les parties, mais surtout l’octroi d’une indemnité d’éviction.

II.  L’appréciation relative de l’indemnité d’éviction

Le bailleur peut s’opposer au droit au renouvellement du bail commercial en réglant au locataire une indemnité d’éviction. Mais lorsqu’il revient au juge de régler cette indemnité (A), il doit tenir compte des critères d’évaluation énoncés par le législateur. Cependant, l’évaluation souveraine de l’indemnité d’éviction est désormais consacrée par la CCJA (B).

A. Le règlement judiciaire perfectible de l’indemnité d’éviction

L’indemnité d’éviction est due au locataire, lorsque le bailleur s’oppose au droit au renouvellement du bail commercial à durée déterminée ou indéterminée[8]. Cette exigence est constamment rappelée par la CCJA qui précise que, le preneur ne peut renoncer par avance à l’indemnité d’éviction en cas de non-renouvellement[9]. En cas d’opposition au droit de renouvellement du bail commercial, le bailleur doit faire une offre conséquente à son locataire afin que celui-ci puisse dans les meilleurs délais trouver un autre local pour continuer son activité. Or, selon les faits de l’arrêt commenté, cette exigence n’a pas été respectée par la bailleresse. Le congé de six mois pour non-renouvellement qui avait été signifié au preneur n’était pas accompagné d’une offre d’indemnité d’éviction. En pareille circonstance, le montant de l’indemnité devait être fixé par la juridiction compétente. Il revenait donc au Tribunal de grande instance de Mbour d’octroyer l’indemnité d’éviction à la Société preneuse du bail. Toutefois, les juges auraient dû se prononcer sur l’opportunité de l’indemnité d’éviction octroyée à cette dernière, puisque les faits de l’espèce révèlent que le congé servi a été annulé. De plus, la résiliation du bail commercial ainsi que l’expulsion du preneur n’ont pas été ordonnées. La subsistance de l’indemnité d’éviction en dépit de l’annulation du congé irrégulier de non-renouvellement du bail commercial et en dehors de la résiliation du bail commercial et de l’expulsion du preneur suscite quelques interrogations. L’on peut se demander si l’indemnité d’éviction est toujours due en cas d’annulation du congé de non-renouvellement du bail commercial. En outre, l’indemnité d’éviction doit-elle être allouée sans qu’aucune décision ordonnant la résiliation du bail et l’expulsion du preneur n’ait été prononcée ?

Relativement à la première interrogation, il faut souligner que le législateur s’est exclusivement limité à énoncer les conditions d’octroi et de refus de l’indemnité d’éviction. En revanche, il n’aborde pas les effets de la nullité du congé irrégulier de non-renouvellement du bail commercial sur l’octroi de l’indemnité d’éviction. En principe, la conséquence directe de l’annulation du congé de non-renouvellement du bail commercial est le maintien du locataire dans les lieux loués. Cependant, les juges du fond, approuvés par la CCJA dans la présente affaire, étendent les conséquences de la nullité du congé de non-renouvellement du bail commercial OHADA à l’allocation d’une indemnité d’éviction. Cette solution est étonnante, dans la mesure où le droit au renouvellement du bail commercial subsiste à l’annulation du congé de non-renouvellement du bail commercial. Mais la démarche des juges pourrait également être salutaire si elle vise uniquement à réparer les troubles liés aux incursions répétées du bailleur dans les lieux loués.

En ce qui concerne la seconde interrogation, il faut dire qu’en principe l’indemnité d’éviction ne devrait être due qu’en cas de non-renouvellement du bail commercial. En effet, l’indemnité d’éviction n’est due qu’en cas de refus du droit au renouvellement du bail commercial. Autrement dit, cette indemnité ne doit être versée qu’en cas de cessation définitive de la relation contractuelle entre le bailleur et le preneur. La cessation définitive de la relation contractuelle suppose donc la fin du contrat de location et la libération des lieux loués. Or, en l’espèce, la bailleresse avait estimé qu’elle n’avait pas à payer cette indemnité puisque le locataire était resté dans les lieux. Mais les juges n’ont pas été sensibles à ce raisonnement. L’indemnité d’éviction a été allouée sans que les juges aient ordonné la résiliation du bail ainsi que l’expulsion du preneur. La Société preneuse du bail a donc bénéficié de l’indemnité d’éviction tout en demeurant l’occupante des locaux de la bailleresse condamnée.

Comme le juge français[10], les juges de l’OHADA considèrent que le fait que le locataire reste ou non dans les lieux est sans incidence sur les effets d’un congé irrégulier. Cependant, la position des juges de l’OHADA dans cette affaire est discutable. En effet, si la jurisprudence française prévoit que le locataire peut valablement réclamer le paiement d’une indemnité d’éviction tout en se maintenant dans les lieux en attendant qu’elle lui soit versée, le juge de l’OHADA estime, par contre, que le preneur peut réclamer l’indemnité d’éviction tout en bénéficiant de son droit au renouvellement du bail commercial. L’avantage octroyé au preneur est excessif dans la mesure où son droit au renouvellement du bail commercial a subsisté. Le contrat perdure, car le preneur reste dans les locaux loués. Le raisonnement développé par les juges dans cette affaire devrait donc être considéré comme un cas isolé. L’indemnité d’éviction doit normalement être suivie ou précédée de la cessation de la relation contractuelle et de la libération des lieux loués. Pour une meilleure justice contractuelle, l’on ne peut donc que recommander à la CCJA de revoir sa position sur cette question.

B. Le calcul souverain de l’indemnité d’éviction

L’indemnité d’éviction est calculée selon des critères arrêtés par le législateur. Lorsqu’il revient au juge de calculer cette indemnité, comme c’est le cas dans la présente affaire, il doit tenir compte notamment du montant du chiffre d’affaires, des investissements réalisés par le preneur, de la situation géographique du local et des frais de déménagement imposés par le défaut de renouvellement[11]. Cependant, le Tribunal de grande instance de Mbour n’a pas fourni les éléments de calcul de l’indemnité d’éviction octroyée. Tout porte à croire que la somme allouée au titre d’indemnité d’éviction a été calculée de manière souveraine. Or, l’appréciation souveraine de l’indemnité d’éviction n’est pas prévue par l’AUDCG. Le grief soulevé contre l’arrêt de la Cour d’appel de Thiès, pris de ce que les juges du fond n’ont pas permis à la Haute Cour d’exercer un contrôle sur le véritable chiffre d’affaires du commerce du preneur, aurait dû être pris en compte ; cependant, il n’a pas prospéré. La CCJA le déclare infondé. Le montant alloué n’a pas été modifié. La Haute juridiction n’a pas remis en cause la méthode d’évaluation utilisée par les juges du fond. Une telle démarche ne laisse pas la possibilité à la CCJA de contrôler la proportionnalité du montant alloué.

Ainsi, en confirmant la somme octroyée au titre d’indemnité d’éviction à la Société Elie Majahes et Fils SARL, la juridiction communautaire de l’OHADA admet l’évaluation souveraine de l’indemnité d’éviction en cas de non-renouvellement du bail commercial. La latitude est désormais offerte aux juges du fond de procéder à une évaluation souveraine de l’indemnité d’éviction. Or, le législateur a prévu des bases légales de calcul de l’indemnité d’éviction. L’approbation de l’évaluation souveraine de l’indemnité d’éviction est donc critiquable dans la mesure où elle crée une injustice contractuelle. Avec cette démarche, une partie pourrait spontanément s’enrichir au détriment de l’autre. Si les juges recourent constamment à cette méthode de calcul, le bailleur sera spolié, lui qui ne demande qu’à jouir des fruits de son immeuble. Loin d’être une opportunité ou une option, l’évaluation souveraine de l’indemnité d’éviction pourrait susciter la méfiance des bailleurs et conduire par conséquent à la raréfaction des baux commerciaux. Pour que l’évaluation soit des plus équitables, la CCJA doit contrôler les bases légales du calcul de l’indemnité d’éviction.

 

[1] Le droit au renouvellement du bail commercial est aussi reconnu au sous-locataire. Selon l’article 130 de l’AUDCG N° Lexbase : A9978YSD : « Le sous-locataire peut demander le renouvellement de son bail au locataire principal dans la mesure des droits que celui-ci tient de la personne investie par la loi ou une convention du droit de donner en location. Ce droit est soumis aux dispositions des articles 118 à 122 du présent Acte uniforme. L'acte de renouvellement de la sous-location doit être porté à la connaissance du bailleur dans les mêmes conditions que la sous-location initialement autorisée. ».

[2] En principe, la théorie générale des obligations ne connaît pas d’obligation de motivation des actes juridiques. En ce qui concerne la résiliation unilatérale dans les contrats à durée déterminée, la solution semble moins nette. La jurisprudence française n’exige pas, pour qu’une résiliation soit valable, qu’elle soit motivée par son auteur. Pour autant, une partie de la doctrine considère que, compte tenu du pouvoir exorbitant de rompre unilatéralement le contrat et afin de ne pas nuire à sa force obligatoire, le contractant qui entend rompre le lien contractuel devrait être tenu d’une obligation de motiver sa décision, v. X. Lagarde, « La motivation des actes juridiques », La motivationTravaux de l’Association Henri Capitant, LGDJ, Paris, 2000, p. 73 ; M. Fabre-Magnan, « L’obligation de motivation en droit des contrats », Le contrat au début de XXIe siècle, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, Paris, 2001, p. 301.

[3] Ibid, art. 127-1. Ce motif ne peut être invoqué que si les faits se sont poursuivis ou renouvelés plus de deux mois après une mise en demeure du bailleur, par signification d'huissier de justice ou notification par tout moyen permettant d'établir la réception effective par le destina taire, d'avoir à les faire cesser, v. CCJA, 26 fév. 2009, n° 006/2009, Aff. Seywa Antoinette c/ Zouzoua Nathalie, Ohadata J-10-16 ; CCJA, 30 décembre 2008, 062/2008 du, Aff. Monsieur Neil Rubin c/ Atlas Assurances S.A, Juridata n° J062-12/2008.

[4] AUDCG, art. 127 (2) N° Lexbase : A9978YSD, v. également T. Toumodi, jugement n° 09 du 18 janvier 2001 : Ohadata J-04-391.

[5] AUDCG, art. 128 N° Lexbase : A9978YSD. Cette reprise ne peut être exercée lorsque le preneur établit que la privation de jouissance des locaux d'habitation accessoires apporte un trouble grave à la jouissance du bail dans les locaux principaux, ou lorsque les locaux principaux et les locaux d'habitation forment un tout indivisible.

[6] C.A Dakar, n° 186/2005 du 18 février 2005, Ohadata J-06-186 ; CCJA,  26 mai 2005, n° 033/2005 Ohadata J-06-13

[7] C.A Douala, 5 mai 2008, n° 077/CC, Ohadata J-09-130 ; CCJA, 30 décembre 2008, n° 062/2008, Ohadata J-10-36, C.A Yaoundé, 23 juin 2004, n° 282/Civ/03-04, Ohadata J-06-89 ; CCJA, 18 mai 2017, n° 125/2017, Lexbase Afrique-OHADA, n° 2, 2017, N° Lexbase : A7221WLZ, note A. Didot-Seïd Algadi, LXB=N9178BWT. En pareille circonstance, le locataire n'est pas seulement fondé à obtenir une indemnité d'éviction préalable à son expulsion, mais à demeurer dans les locaux jusqu'au début des travaux, en ce sens v. CCJA, 26 mai 2005, n° 033/2005

[8] AUDCG, art. 126-1 N° Lexbase : A9978YSD

[9] V. CCJA, 22 novembre 2007, n° 030/2007, Aff. S.C.I. Golfe De Guinee c/ Marina Atlantic SARL ; CCJA, 26 octobre 2006, n° 017/2006, Aff. Société Nationale des Télécommunications du Sénégal dite sonatel, Juridata n° J017-10/2006.

[10] Cass. Civ., 3e, 28 juin 2018, n°17-18756, N° Lexbase : A1599XUR

[11] AUDCG, art. 126-2 N° Lexbase : A9978YSD.

[A la une] Mise en place du secrétariat exécutif de la Commission de Normalisation pour la Profession Comptable (CNPC-OHADA)
par La rédaction Lexbase-Afrique

« l’installation de ce secrétariat exécutif devrait donner l’impulsion nécessaire aux activités de la CNPC, mieux arrimée au système institutionnel de l’OHADA et ouverte à de nouvelles missions dans les domaines de la responsabilité sociétale des entreprises, de la finance verte, ainsi que de la lutte contre la corruption, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ».

 

Par une décision du 16 mai 2024, le Secrétaire permanent de l’OHADA a mis en place le secrétariat exécutif de la Commission de Normalisation pour la Profession Comptable (CNPC). Cette commission, instituée par le règlement n° 002/2009/CM/OHADA du 22 mai 2009, est présentée comme un outil technique d’appui au secrétariat permanent pour l’élaboration, l’interprétation, l’harmonisation et l’actualisation des normes comptables dans les États parties.

Le secrétariat exécutif nouvellement installé auprès du Secrétariat permanent vient parachever donc le dispositif d’encadrement de la profession comptable dans l’espace OHADA. Il est composé d’un secrétaire exécutif, d’un assistant juriste et d’un secrétaire. Cette unité de travail accompagnera la CNPC dans l’exécution de son mandat, conformément aux dispositions de son règlement intérieur adopté en assemblée générale le 8 août 2022 et approuvé par le Conseil des ministres en sa session du 22 décembre 2022 N° Lexbase : A61952KN.

La CNPC a joué un rôle déterminant dans l’élaboration de l’Acte uniforme relatif au droit comptable et à l’information financière N° Lexbase : A0025YT4, ainsi que dans celle du nouvel Acte uniforme du 22 décembre 2022 relatif au système comptable des entités à but non lucratif N° Lexbase : A82069NA.

Depuis sa réforme par le règlement n° 02/2022/CM-OHADA du 22 décembre 2022 N° Lexbase : A61952KN, la Commission de Normalisation pour la Profession Comptable (CNC) dans l’espace OHADA est composée de trois représentants par pays : le président en exercice de l’institution ordinale de chaque État partie, un expert-comptable désigné par l’ordre national des experts-comptables ou l’organe national équivalent, et un expert-comptable désigné par l’autorité nationale chargée de la normalisation comptable. Seuls les membres de la première catégorie sont éligibles au poste de président.

La révision de 2022 N° Lexbase : A61952KN, a également renforcé les missions de la commission de normalisation comptable. Désormais, en plus de ses missions classiques relatives à la normalisation comptable, elle traite des questions concernant l’audit, l’assurance qualité et l’éthique professionnelle. Plus généralement, la commission est habilitée à intervenir sur toutes autres questions présentant un intérêt pratique pour la profession comptable. Sous l’impulsion de la CNPC, plusieurs Codes de déontologies de la profession comptable ont été adoptés au niveau des États membres N° Lexbase : A64953XT

L’élargissement du périmètre d’intervention de cette commission s’inscrit dans la logique du règlement n° 01/2017/CM/OHADA du 8 juin 2017, qui vise à harmoniser les pratiques des professionnels de la comptabilité et de l’audit dans les pays membres de l’OHADA. La CNPC répond à l’impératif d’encadrer la profession comptable afin de la conduire à relever les défis de l’assainissement de la vie des affaires. En effet, cette profession est appelée à jouer un rôle décisif dans la responsabilité sociale des entreprises, l’éthique des affaires. Ainsi, selon un communiqué du secrétariat permanent, « l’installation de ce secrétariat exécutif devrait donner l’impulsion nécessaire aux activités de la CNPC, mieux arrimée au système institutionnel de l’OHADA et ouverte à de nouvelles missions dans les domaines de la responsabilité sociétale des entreprises, de la finance verte, ainsi que de la lutte contre la corruption, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ».

[Point de vue...] Essai d’une détermination du fondement de la responsabilité civile des intermédiaires d’internet du fait de la mise en ligne d’un contenu illicite au regard du droit camerounais
par Gaorang WANGKARI WAIROU, Docteur/Ph. D. en Droit privé de l’Université de Maroua, Enseignant vacataire à l’Université de Garoua, Enseignant associé à l’IFPST de Maroua (Cameroun)

INTRODUCTION

Aujourd’hui, Internet est considéré comme un moteur de croissance économique et comme un critère de développement des pays[1]. Formidable « espace de réalisation des libertés fondamentales »[2], dont les démocraties modernes ont besoin, le réseau internet est très vite devenu le siège de la publication de nombreux contenus illicites. Toute chose qui met à contribution les règles de la responsabilité civile. En effet, toute personne peut être victime de la mise en ligne d’un contenu illicite. La réparation du dommage s’obtient par une action en responsabilité civile à l’encontre de l’internaute qui a mis en ligne le contenu illicite sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil camerounais. Cependant, la victime peut buter sur l’anonymat et pseudonymat ou sur l’insolvabilité de cet internaute, dans ce cas, elle pourra engager son action à l’encontre des acteurs qui rendent matériellement possible la diffusion du contenu illicite à savoir les intermédiaires d’internet[3]. En l’absence d’un texte spécifique applicable à la responsabilité civile des intermédiaires d’internet du fait de la mise en ligne d’un contenu illicite en droit camerounais, on ne peut rien dire de plus précis à propos du fondement d’une telle responsabilité. En attendant que le Cameroun ne se dote d’un texte spécifique à la matière, il faut nécessairement recourir au droit commun de la responsabilité civile pour déterminer le fondement d’une telle responsabilité. C’est pourquoi cette réflexion se propose de déterminer le fondement de la responsabilité civile des intermédiaires d’internet au regard du droit commun camerounais de la responsabilité civile. Avant tout autre développement, il convient de clarifier les notions d’intermédiaires d’internet, d’internet, de contenu illicite et de responsabilité civile.

Par intermédiaires d’internet, il faut entendre les personnes n’ayant pas de lien direct avec le contenu illicite, mais leur faute sera prétendue parce qu’elles ont autorisé la survenance du dommage sur Internet par les auteurs directs des faits dommageables. Il en est ainsi des fournisseurs d’accès à internet tels que Afrikanet, Yoomee, Matrix Telecoms, Ipersat, Waza télécoms, Gosat Cameroon ou Creolink, les opérateurs de communications électroniques comme Camtel, Orange Cameroun et Mtn Cameroun, les fournisseurs de contenus à l’instar de Netflix Cameroun et YouTube, les fournisseurs d’hébergement, les gérants des cybercafés et les promoteurs des réseaux sociaux[4].

Le réseau internet est défini en droit camerounais comme un ensemble de réseaux mondiaux interconnectés qui permet à des ordinateurs et à des serveurs de communiquer efficacement au moyen d’un protocole de communication commun[5]. Monsieur le Professeur Michel VIVANT définit internet comme un « réseau mondial associant des ressources de télécommunication et des ordinateurs serveurs et clients, destinés à l’échange de messages électroniques, d’informations multimédias et de fichiers »[6]. Les caractéristiques juridiquement importantes de l’Internet peuvent être regroupées en trois thèmes principaux, à savoir, 1'interactivité, la délocalisation ou l’ubiquité et la dématérialisation ou la virtualité[7].

Le terme « contenu » renvoie à un ensemble d’informations relatives aux données appartenant à des personnes physiques ou morales, transmises ou reçues à travers les réseaux de communications électroniques et les systèmes d’information. Ce contenu devient illicite lorsqu’il porte atteinte à certains droits. La loi camerounaise sur la cybercriminalité apporte une définition sur le contenu illicite en disposant que c’est un contenu portant atteinte à la dignité humaine, à la vie privée, à l’honneur ou à la sécurité nationale[8]. La nature de ces contenus peut être particulièrement variée, et peut par exemple prendre la forme d’une incitation à la haine, d’une atteinte au droit de propriété ou aux droits de la personnalité d’un tiers[9]. Plus généralement, il peut s’agir de tout contenu qui outrepasse le droit à la liberté de communication des internautes. Les contenus illicites sont finalement ceux qui tombent sous le coup d’une infraction légale[10].

Quant à la responsabilité civile, elle se définit comme : « L’obligation de réparer le préjudice résultant de la violation du devoir général de ne causer aucun dommage à autrui, soit par son fait personnel, soit du fait des choses dont on a la garde, soit du fait des personnes dont on doit répondre (responsabilité du fait d’autrui). La responsabilité est délictuelle quand le fait dommageable illicite est intentionnel, quasi-délictuel dans le cas contraire lorsqu’il y a simple imprudence ou négligence »[11]. Le but de la responsabilité civile est de rétablir l’équilibre détruit par le dommage et de remettre la personne lésée dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit[12].

Le travail de clarification des notions étant fait, il apparaît opportun de faire une brève précision sur le cadre de la réflexion afin de mieux la circonscrire. À cet effet, il convient de noter qu’il n’y a pas eu d’intervention législative spécifique au Cameroun concernant la responsabilité civile des intermédiaires d’internet du fait de la mise ligne d’un contenu illicite, malgré le grand nombre de dommages causés sur ce réseau. L’absence totale d’intervention législative au Cameroun concernant la responsabilité civile des intermédiaires d’internet du fait de la mise ligne d’un contenu illicite impose de faire appel au droit commun afin de trouver des solutions pour les victimes des dommages subis sur ce support. Par ailleurs, dans le souci d’approfondir l’analyse, cette réflexion va fortement s’inspirer du droit français.Le recours au droit français et l’accent singulier qui y sera mis se justifient par l’intense débat doctrinal qui existe actuellement en France sur la matière[13]. L’emphase qui sera mise sur le droit français est la bienvenue notamment dans un contexte où le droit français exerce une influence considérable et offre certaines solutions intéressantes en matière de détermination des régimes de responsabilité civile du fait de la mise sur internet d’un contenu illicite.

Cette réflexion est d’une actualité indéniable. En effet, au regard des questions juridiques pertinentes et des préoccupations sociales qu’elle recèle, l’intérêt de lui consacrer une réflexion spécifique se justifie pleinement. Sur le plan théorique, cette réflexion constitue notre contribution, modeste soit-elle, au débat qui a cours sur le fondement de la responsabilité civile des intermédiaires d’internet du fait de la mise ligne d’un contenu illicite. Ce d’autant que ce débat reste encore aujourd’hui, peu exploré par les juristes camerounais. En effet, la doctrine camerounaise n’offre pas une littérature abondante sur le sujet. D’un point de vue pratique, cette étude contribue à faciliter la réparation du dommage en cas de mise en ligne d’un contenu illicite, à travers notamment une meilleure détermination du fondement de la responsabilité civile des intermédiaires d’internet du fait de la mise en ligne d’un contenu illicite. Car, l’existence de plusieurs intervenants sur la toile rend complexe la réparation du dommage en cas de mise en ligne d’un contenu illicite[14]. Aussi, elle contribue à la lutte contre l’impression d’absence de droit qui est souvent décriée sur internet[15]. Cette impression doit pourtant être largement dépassée[16]. Car, comme l’affirme Monsieur Vincent Tilman, « dès qu’il est lieu social, il y a de place pour le droit »[17].

L’intérêt de cette réflexion étant précisé, il faut dire que l’acceptation d’une responsabilité des intermédiaires d’Internet n’a pas entraîné un consensus au sein de la doctrine. Cette question a même suscité un grand débat doctrinal. Certains auteurs ont refusé d’engager la responsabilité civile de ces prestataires sous prétexte que ces derniers ne peuvent pas contrôler toutes les informations diffusées par leur canal[18]. D’autres auteurs ont quant à eux suggéré de pouvoir engager de la responsabilité civile de ces intermédiaires. Il en est ainsi de Monsieur Michel VIVANT qui énonce que « L’irresponsabilité de principe est inadmissible non seulement d’un point de vue juridique, mais encore d’un point de vue éthique comme sociétal. Mais la responsabilité “mécanique” “par défaut” (…) l’est tout autant »[19]. Nous soutenons également que la responsabilité civile des intermédiaires d’internet soit retenue. Ce d’autant que l’extension de la responsabilité civile aux intermédiaires techniques présente beaucoup d’avantages pour les victimes d’Internet. Celui qui subit un préjudice d’un contenu litigieux diffusé sur Internet peut trouver un responsable à qui demander la réparation de son préjudice. Agir contre un professionnel peut être plus avantageux pour la victime du fait de sa solvabilité. De plus, la possibilité de recours contre les intermédiaires d’Internet peut instaurer un climat de sécurité et de confiance sur Internet. En effet, le recours contre un intermédiaire connu peut rassurer la victime, surtout lorsqu’il se trouve face à un auteur, inconnu ou anonyme, d’un contenu lui portant préjudice. 

Si la responsabilité civile des intermédiaires d’internet doit être admise, il va se poser la question du fondement d’une telle responsabilité au regard du droit commun de la responsabilité civile. Dès lors, sur quel fondement peut-on engager la responsabilité civile des intermédiaires d’internet du fait de la mise en ligne d’un contenu illicite en droit camerounais ?

En guise de réponse à cette interrogation, notre réflexion postule que la responsabilité civile des intermédiaires d’internet peut être engagée aussi bien sur le fondement de la faute (I) qu’en l’absence de la faute (II)

I. La responsabilité civile des intermédiaires d’internet fondée sur la faute personnelle 

La responsabilité civile fondée sur la faute est régie par l’article 1382 et 1383 du Code civil camerounais N° Lexbase : A767247B. Il faut d’emblée relever que les intermédiaires peuvent commettre des fautes délictuelles considérées comme permettant ou facilitant l’acte litigieux, ou multipliant la diffusion et l’impact du contenu illicite sur Internet[20]. L’existence d’un lien suffisant entre l’activité de l’intermédiaire d’internet et la survenance de l’acte litigieux (mise en ligne d’un contenu illicite), suffit à entraîner l’intermédiaire dans la chaîne de responsabilité, dès lors que peut être caractérisée sa faute ou, plus largement, son implication dans la réalisation du dommage. Ainsi, qu’il s’agisse des intermédiaires intervenant dans la communication de l’information illicite (A) que des intermédiaires intervenant dans le contenu illicite (B), leur responsabilité civile peut être engagée sur la base de la faute.

A. Responsabilité civile des intermédiaires intervenant dans la communication de l’information illicite

La communication de l’information litigieuse est faite par les opérateurs de communications. Il s’agit d’intermédiaires qui fournissent un service de la société de l’information consistant à transmettre, sur un réseau de communication, des informations fournies par le destinataire du service ou à fournir un accès au réseau de communication. Pour pouvoir naviguer sur Internet, la personne doit avoir un ordinateur ou un téléphone et un abonnement à Internet. Cet abonnement est établi par le fournisseur d’accès (1). Une fois connecté, pour trouver les informations qu’ils lui sont utiles, l’internaute fait appel à des outils de recherche (2) qui le dirigent vers les informations souhaitées.

1- La responsabilité civile du fournisseur d’accès à Internet

Le droit camerounais définit le fournisseur d’accès à Internet comme « toute personne physique ou morale qui assure l’accès au réseau internet »[21]. Cette définition est proche de celle donnée par Monsieur Michel VIVANT qui définit le fournisseur d’accès à Internet comme « l’organisme offrant à des clients l’accès à Internet, ou plus généralement à tout réseau de communication »[22]. Les fournisseurs d’accès offrent à leurs clients les ressources techniques permettant à ces derniers d’accéder aux services d’Internet. Leur rôle se limite à relier l’internaute à un contenu avec lequel le fournisseur n’a aucun rapport. Sa fonction est purement technique, il n’a aucun contrôle sur le contenu diffusé sur ses infrastructures. La question de la responsabilité civile du fournisseur d’accès à Internet sur le fondement de la faute fait l’objet d’un intense débat doctrinal.

Une partie de la doctrine a considéré que ces fournisseurs bénéficient d’immunité de la responsabilité : « immunité relative »[23], ou une « quasi-immunité de responsabilité »[24] ou plus directement un régime de « non responsabilité »[25]. Pour bénéficier de cette présomption d’irresponsabilité, le fournisseur d’accès ne doit intervenir d’aucune manière dans l’information transmise. Il doit être totalement neutre pour que sa responsabilité civile ne puisse pas être engagée[26]. La jurisprudence française a engagé la responsabilité d’un fournisseur d’accès n’ayant pas respecté le principe de neutralité qui lui est imposé[27]. Ce dernier, par sa sélection ou sa modification, est passible de responsabilité civile s’il interfère avec des contenus illégaux ou est à l’origine de transmissions préjudiciables. Le fournisseur d’accès va donc être exempté de sa responsabilité s’il reste neutre envers le contenu répréhensible diffusé sur Internet[28]

Cependant, pour un grand nombre d’auteurs, la neutralité du fournisseur d’accès envers le contenu illicite diffusé n’exclut pas totalement sa responsabilité civile[29]. Nous adhérons à la position de cette doctrine majoritaire, car, il serait malvenu de consacrer l’irresponsabilité absolue du fournisseur d’accès alors que c’est par le biais de son office que le dommage a pu être réalisé. Sans les prestations de cet opérateur de communication, l’internaute ne pourrait pas accéder ni à Internet ni au contenu illicite diffusé sur ce réseau.

Ainsi, la responsabilité civile du fournisseur d’accès peut être engagée dans l’hypothèse où, bien qu’il avait connaissance de l’illégalité du contenu diffusé sur Internet, il n’y a pas interdit l’accès. Sa connaissance de l’existence d’un contenu illicite sur Internet est présumée lorsqu’un tiers, par exemple, l’a informé des informations qu’il considère préjudiciables[30]. Aussi, la victime d’un contenu illicite sur Internet peut demander des dommages et intérêts au fournisseur d’accès lorsqu’elle l’a informé de l’existence de contenu et que, malgré ça, il n’y a pas interdit l’accès.

Aussi, la responsabilité civile du fournisseur d’accès à internet peut être engagée lorsqu’il fait un usage abusif des données personnelles de ses clients. L’exemple qui tend à devenir classique est celui de la fourniture par le fournisseur d’accès à internet, de certaines données tels le numéro de téléphone ou l’e-mail d’un client, à une société de publicité. Rappelons que le fournisseur d’accès à internet est tenu de stocker temporairement les données de connexion des internautes afin d’assurer leur transmission « dans l’instantanéité et sans possibilité de contrôler le contenu de ce qui transite par son service »[31]. L’utilisation de ces données peut représenter une faute engageant la responsabilité des fournisseurs d’accès.

Il n’existe pas encore une décision des juridictions camerounaises sur la question. L’admission de la responsabilité civile des fournisseurs d’accès à internet par les juridictions camerounaises permettrait certainement de réduire la mise en ligne des contenus illicites. Car, les fournisseurs d’accès se sachant potentiellement responsables en cas de mise en ligne d’un contenu illicite, prendront toutes les mesures nécessaires pour empêcher la diffusion de tels contenus.

Au final, en dépit du rôle technique du fournisseur d’accès et sa neutralité de principe, il peut se trouver responsable de la réparation des dommages et intérêts à la victime. Sa responsabilité civile est fondée sur la faute qui peut se manifester à travers soit le non-respect de la vie privée des internautes, l’utilisation de leurs données personnelles, le non-retrait des contenus illicites après qu’il ait été informé. Qu’en est-il donc des outils de recherche, autre intermédiaire intervenant dans la communication de l’information illicite ?

2. La responsabilité civile des outils de recherche

Les outils de recherche « sont des mécanismes fournissant ou utilisant des index pour retrouver les documents correspondants à une requête qu’on lui fournit ou collection structurée et thématique de répertoires résultant d’une compilation d’un domaine d’information »[32]. Les moteurs de recherche comme Google et les annuaires comme Yahoo sont considérés comme des outils de recherche sur Internet. Ils sont en principe neutres, c’est pourquoi certaines juridictions françaises ont refusé d’engager la responsabilité des outils de recherche[33].

Mais, cette neutralité demeure artificielle, car, les outils de recherche ne sont pas totalement neutres. En effet, les résultats de recherche affichés sont indexés puis hiérarchisés par ces intermédiaires afin de classer ceux qu’ils estiment les plus pertinents en premier[34]. Ils peuvent aussi exclure certains contenus de l’indexation par des fichiers robots ou par des logiciels spéciaux. Les outils de recherche ont donc un rôle actif dans l’affichage des résultats. Dès lors, il se pose la question de savoir si un outil de recherche référence dans sa base de données des mots-clés portant atteinte aux personnes ou aux biens ou encourageant à la haine ou au racisme…, sa responsabilité civile peut-elle être engagée ?

En principe, la responsabilité des outils de recherche peut être engagée lorsque ces intermédiaires suggèrent automatiquement des termes péjoratifs ou diffamatoires aux recherches des internautes. Cette responsabilité civile fait l’objet de divers débats. Une juridiction française affirme que : « les propos incriminés ne sont pas le fruit de l’expression humaine, mais de résultats mathématiques, automatiquement produits par une machine »[35], c’est-à-dire des robots et des logiciels du moteur de recherche. Il se pose alors le problème de la responsabilité du moteur de recherche en tant que robot. Les algorithmes du moteur de recherche peuvent fonctionner en toute autonomie et peuvent dans ce sens causer des préjudices à autrui, par l’ajout d’adjectifs diffamatoires aux suggestions écrites par les internautes dans la barre de recherche ou par la redirection vers un site litigieux, etc. À cet égard, il faut noter que, quel que soit le niveau d’autonomie de ces algorithmes, « l’homme doit toujours être responsable en dernier ressort de la prise de décision »[36]. Dans ce sens, les personnes doivent programmer ces algorithmes de telle manière qu’ils ne constituent pas de comportement fautif[37]. La responsabilité des outils de recherche peut également être engagée lorsque, ayant connaissance de l’illégalité d’un site, ils n’ont pas en empêché l’accès[38]. Enfin, la responsabilité civile des outils de recherche peut également être engagée, s’ils ont été notifiés (par le biais d’un jugement par exemple) des caractères illicites d’un site et qu’ils refusent de le retirer[39].

Quoi qu’il en soit, s’il n’existe pas au Cameroun des décisions de justice sur cette question, il ne fait aucun doute que le juge camerounais aura à se prononcer sur cette question à l’avenir tant il est facile de constater la récurrence des dommages sur internet du fait des outils de recherche. Dans cette optique, nous espérons que le juge camerounais admettra la responsabilité civile des outils de recherche, car, cela contribuera à mieux protéger la victime.

Au final, en dépit de leur neutralité de principe, la responsabilité civile des intermédiaires intervenant dans la communication de l’information illicite peut être engagée sur le fondement de la faute. D’autres intermédiaires ont un rôle direct avec le contenu illicite diffusé sur Internet que ce soit dans sa diffusion ou son contrôle, ce qui pourra permettre l’engagement leur responsabilité civile.

B. La responsabilité civile des intermédiaires intervenant dans le contenu illicite

Les intermédiaires d’internet intervenant dans le contenu illicite sont les fournisseurs d’hébergement d’une part (1) et les fournisseurs de services de partage de contenu en ligne d’autre part (2).

1- La responsabilité civile des fournisseurs d’hébergement

L’hébergement informatique comprend le stockage d’informations en mémoire, c’est-à-dire le stockage de données et la connexion de sites Web à Internet. Il consiste en la conservation en mémoire d’informations, c’est-à-dire le stockage de données, et la connexion d’un site web à Internet[40]. Le fournisseur d’hébergement fournit à ses clients « un espace de stockage d’informations et un mécanisme de maintenance dans le cadre d’un contrat de prêt octet… »[41].

La question de la responsabilité du fournisseur d’hébergement Internet n’est pas encore évoquée devant les tribunaux camerounais. Par contre, cette question n’a pas cessé de soulever de grandes discussions doctrinales et jurisprudentielles en droit français. En effet, si une partie de la jurisprudence française[42] avait admis l’irresponsabilité de cet intermédiaire[43], il faut dire qu’aujourd’hui, la responsabilité civile des fournisseurs d’hébergement est consacrée par les juges[44]. Cette responsabilité peut-être fondée soit sur une faute d’abstention, soit sur une faute de commission.

L’hébergeur peut être tenu responsable du préjudice causé à autrui par sa faute d’abstention. C’est le cas quand il a eu connaissance de l’illicéité du contenu transmis sur Internet et qu’il n’a pas réagi[45]. En général, les fournisseurs d’hébergement disposent de moyens techniques pour faire cesser les atteintes ou pour supprimer les contenus illicites. Il y a lieu de signaler que cette faute d’abstention découle de l’obligation de contrôle de l’hébergeur. Elle peut résulter aussi d’une mauvaise réaction après un contrôle de sa part. La responsabilité de l’hébergeur est également engagée dès que le délai de retrait du contenu illicite fixé par le tribunal est écoulé sans qu’il ait retiré ce contenu[46]. Il n’est pas nécessaire que ce contenu illicite sur Internet cause préjudice à autrui. La responsabilité de l’hébergeur est engagée par la simple non-exécution de l’obligation de retrait lorsqu’il s’agit d’une action en cessation[47].

L’hébergeur peut également être tenu responsable du préjudice causé à autrui par sa faute de commission. En effet, lorsqu’un hébergeur a un doute sur la licéité d’un contenu mis sur Internet, il peut le retirer afin d’écarter sa responsabilité. En contrepartie, nous pouvons constater que l’hébergeur est engagé envers celui qui a déposé un contenu par un contrat d’hébergement de publier le contenu objet du contrat d’hébergement. Lorsque l’hébergeur décide de retirer un contenu sur Internet qui s’avère ultérieurement licite, il risque de se voir reprocher une inexécution contractuelle et sa responsabilité peut être engagée. L’hébergeur est donc doublement encadré. « Ne pas intervenir peut constituer une faute. Intervenir peut en constituer une également »[48]. Il ne doit pas trop peu agir, sous peine de voir sa responsabilité délictuelle engagée, mais il ne doit pas trop agir, sous peine de voir sa responsabilité contractuelle engagée[49].

2- La responsabilité des fournisseurs de services

Les fournisseurs de services sont des prestataires intermédiaires, car ils proposent un service d’intermédiation entre les utilisateurs qui désirent partager des contenus et les autres utilisateurs qui vont bénéficier de ces contenus[50]. Il s’agit des sites collaboratifs qui donnent l’opportunité aux internautes de mettre en ligne des textes, des vidéos, des produits, des œuvres, etc., en leur offrant un espace de stockage limité. Ce service d’intermédiation se fait via ce qu’on appelle des plateformes. La plateforme est « un système informatique caractérisé par son type de processeur et ses composants matériels, son système d’exploitation et les logiciels qu’il permet d’utiliser »[51]. Les plateformes peuvent être à l’origine de préjudices sur Internet, ce qui peut engager leur responsabilité civile. Il existe plusieurs types de plateformes, mais notre analyse va porter sur les plateformes de réseaux sociaux d’une part, et les plateformes de partage d’autre part.

Les réseaux sociaux sont le résultat de l’évolution d’Internet et plus précisément le web 2.0. Leur objectif est d’offrir « des moyens techniques pour mettre en relation des personnes »[52]. Nous pouvons trouver aujourd’hui divers réseaux sociaux comme Facebook, LinkedIn, Instagram, Twitter, etc.  Il y a lieu de signaler que l’utilisateur du réseau social doit être inscrit sur la plateforme pour bénéficier d’un espace gratuit et personnalisé appelé « profil ». Sur ce profil, l’utilisateur introduit ses informations personnelles (Nom, prénom, âge, sa photo, etc.). L’utilisation de ces données par ces plateformes de réseaux sociaux à des fins commerciales, telles que la revente de ces données aux sociétés de publicité engage la responsabilité de ces plateformes. Au regard du grand nombre de camerounais inscrits sur Facebook notamment, la responsabilité civile des plateformes de réseaux sociaux permettra de réduire le risque de l’utilisation de leurs données personnelles à des fins préjudiciables. À cet effet, confronté à une telle question, le juge camerounais devra avoir le courage de sanctionner ces mastodontes du numérique qui donnent du fil à retordre même aux plus grandes puissances.

Concernant les plateformes de partage, ils sont chargés de stocker et de permettre au public d’accéder à des œuvres ou d’autres objets protégés par le droit d’auteur, à des fins lucratives via des plateformes. Il y a lieu de remarquer que ce type de plateformes constitue une occasion pour les ayants droit (auteurs d’œuvres) de disposer d’un nouveau canal de distribution. Ces ayants droit vont bénéficier aussi des revenus attribués par le biais des publicités générées lors de l’accès à ces mêmes contenus protégés[53]. Notons qu’à la différence d’autres types d’intermédiaires, le fournisseur de services de partage de contenus en ligne intervient dans le contenu qu’il héberge. Par exemple, si un intermédiaire propose un contenu personnalisé à chaque utilisateur, pour que sa responsabilité civile soit engagée, cet intermédiaire fournisseur de service de partage de contenus doit avoir un rôle actif dans le traitement du contenu[54].

En l’absence d’une jurisprudence camerounaise, pour faire la lumière sur ce point, il convient de revenir à la jurisprudence européenne qui a engagé la responsabilité civile de ces intermédiaires de service de partage des contenus pour un acte de communication en public[55]. Constitue un acte de communication en public, la mise en ligne et l’autorisation d’accès donnée par les intermédiaires de partage de contenus aux utilisateurs des plateformes en ligne. En principe, cet acte n’est pas litigieux et ne constitue pas une faute en tant que telle, il le devient lorsque le contenu mis à la disposition du public est illicite ou préjudiciable.  

Pour illustrer cette idée, un exemple est donné lorsque ces intermédiaires accordent l’accès au public à des œuvres protégées par le droit d’auteur sans l’autorisation des ayants droit. Cet « acte de donner accès » constitue une faute engageant la responsabilité de cet intermédiaire. « Le modèle d’affaires même de ces acteurs économiques leur impose donc à présent l’obligation de principe d’obtenir une autorisation des titulaires de droits, sous peine d’engager leur responsabilité directe et objective »[56].

Dans le contexte camerounais, l’admission de la responsabilité des fournisseurs de services de partage de contenus paraîtrait logique et contribuerait à mieux protéger les auteurs d’œuvres qui se plaignent souvent d’être lésés par la mise en ligne de leurs œuvres sans leur consentement. En admettant cette responsabilité, les fournisseurs de service de partage de contenus n’auront pas d’autres choix que de fournir : « leurs meilleurs efforts, conformément aux normes élevées du secteur en matière de diligence professionnelle, pour garantir l’indisponibilité d’œuvres et autres objets protégés spécifiques pour lesquels les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires »[57].

Au final, tout au long des développements qui ont précédé, il a été démontré qu’en cas de mise en ligne d’un contenu illicite, la responsabilité civile des intermédiaires d’internet peut être engagée sur le fondement de leur faute personnelle. Par ailleurs, il convient de préciser qu’il est possible d’engager la responsabilité de ces intermédiaires sur d’autres fondements.

II. La responsabilité civile des intermédiaires d’internet sans faute 

La notion de responsabilité sans faute est apparue dans les années 1970[58]. Cette responsabilité se définit comme une règle qui régit les cas dans lesquels le fondement de la responsabilité est autre que la faute elle-même[59]. Il existe plusieurs types de responsabilités sans faute dite aussi responsabilité objective, que nous pouvons essayer d’appliquer aux intermédiaires d’internet du fait de la mise en ligne d’un contenu illicite. Il s’agit d’une part de la responsabilité du fait des choses et du fait d’autrui consacrés par l’article 1384 du Code civil camerounais N° Lexbase : A767247B (1) et de la responsabilité fondée sur la théorie du risque et de garantie qui sont des constructions jurisprudentielles et doctrinales d’autre part (2).

A. La responsabilité civile des intermédiaires d’internet du fait des choses et du fait d’autrui

En droit camerounais de la responsabilité civile, deux catégories de faits générateurs justifient que l’on puisse être responsable d’autre chose que de son fait personnel, le fait des choses (1) et le fait d’autrui (2)[60], et chacune de ces catégories peut être transposée à la situation des intermédiaires d’internet. 

1- La responsabilité civile des intermédiaires d’internet du fait des choses

La responsabilité du fait des choses est organisée par l’article 1384 du Code civil camerounais N° Lexbase : A767247B. Il faut d’emblée rappeler qu’en droit commun de la responsabilité civile, trois conditions doivent être réunies pour que la responsabilité du fait de la chose soit engagée : la chose, le fait de la chose et la garde de la chose. La principale question, pour ce qui est de son application à des intermédiaires d’internet, est de savoir si une chose peut être immatérielle. Des réponses négatives[61] ou positives[62] ont été apportées par la doctrine. Même si, en France, des juridictions du fond ont exclu que les conditions de la responsabilité du fait des choses puissent être réunies afin d’engager la responsabilité d’un hébergeur[63], avouons ne pas percevoir de réponse définitive dans l’évolution d’une matière guidée par l’opportunité. La solution n’est commandée par aucun élément décisif, elle s’inscrit avant tout dans un travail de droit prospectif[64].

Ainsi, il est possible de considérer que sur Internet, face à une erreur de paramétrage par exemple, un algorithme est susceptible de causer des dommages aux particuliers. À titre d’exemple, il peut suggérer des contenus illicites dans les résultats proposés par le moteur de recherche, ajouter des descriptions diffamatoires aux résultats de recherches ou mettre en avant des propos négationnistes, ou des faits diffamants, en discriminant, en associant des termes injurieux à une personne[65]. Cela peut causer des pertes financières importantes sur le plan économique et peut porter atteinte à la réputation des individus ou des communautés. Dans ce cas, qui sera responsable ? Et sur quel fondement ? Peut-on parler d’une responsabilité du fait de l’algorithme ? 

La responsabilité des moteurs de recherches[66] a été retenue dans plusieurs cas par la jurisprudence française[67]. Le moteur de recherche Google a ajouté dans la liste de suggestion au nom d’une assurance le mot « escroc », lorsqu’un internaute tapait « Lyonnaise de garantie » ou même « Lyonnaise de g », Google leur suggérait « Lyonnaise de garantie escroc ». L’assurance a poursuivi Google pour diffamation et injure publique. Pour s’exonérer, la réponse de Google a été « ce n’est pas nous, c’est l’algorithme »[68]. « Or un algorithme ne sait ni injurier ni diffamer »[69]. Il en ressort que la responsabilité du moteur de recherche du fait des choses sera retenue à condition qu’il ait un pouvoir d’usage, de direction et de contrôle sur la chose.

Dans le contexte camerounais, l’admission de la responsabilité des intermédiaires du fait choses est fortement souhaitée. En effet, en l’absence de faute des intermédiaires et compte tenu de la difficulté de poursuivre l’auteur du dommage en raison de l’anonymat que peut utiliser cet auteur et de la transnationalité du réseau internet, il est généralement difficile à la victime d’obtenir la réparation des dommages qu’elle a subis. Ainsi donc, la consécration de la responsabilité des intermédiaires sur ce fondement lui permettra d’obtenir la réparation du dommage. 

Au final, si la responsabilité civile des intermédiaires d’Internet du fait de la chose doit être retenue en droit camerounais, leur responsabilité du fait d’autrui doit également être envisagée.

2- La responsabilité civile des intermédiaires d’internet du fait d’autrui

La responsabilité civile du fait d’autrui est consacrée par l’article 1384 du Code civil camerounais N° Lexbase : A767247B. Pour engager la responsabilité du fait d’autrui[70], deux conditions doivent être réunies : le fait d’autrui et la garde d’autrui. Il convient d’emblée de dire que ce que l’on appelle la « garde d’autrui »[71] n’a pas les mêmes défauts que la garde de la chose pour que, conceptuellement, on rechigne à ce que le gardien d’autrui puisse être reconnu coresponsable de l’expression illicite d’autrui[72]. Par exemple, nous pouvons penser que sur Internet, le régime de responsabilité civile du fait d’autrui peut être appliqué à ceux qui fournissent un accès Internet à titre professionnel ou en tant qu’activité annexe, tels que les cybercafés. En effet, en se connectant via un cybercafé, l’internaute peut utiliser l’anonymat pour effectuer des actes illicites tels que le téléchargement illégal et le piratage d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou la publication de contenus portant atteintes à la vie privée ou autres droits d’autrui. La preuve de ces comportements illicites est très difficile à apporter. Avec des centaines d’internautes se connectant depuis le même poste sur le réseau public, les internautes qui sont les principaux auteurs de ces actions ne peuvent être identifiés, et les victimes tentent donc de rejeter la responsabilité de ces derniers sur les cybercafés. C’est une responsabilité de plein droit du fait d’autrui[73]. Aussi, la responsabilité des plateformes de commerce électronique du fait des commerçants publiant des produits illicites sur leurs plateformes en tant qu’un éditeur de service en ligne peut être engagée. Cette responsabilité a été retenue en droit français, dans un jugement datant de 4 juin 2008[74].

Il faut tout de même préciser qu’en droit camerounais, contrairement à la responsabilité du fait des choses, il n’y a pas un principe général de la responsabilité du fait d’autrui. En effet, les hypothèses pouvant fonder la responsabilité du fait d’autrui sont limitativement précisées par le Code civil[75]. Et l’hypothèse de la responsabilité des intermédiaires d’internet du fait de leurs utilisateurs n’y figure pas. Toutefois, il faut préciser qu’en France, la jurisprudence a procédé à la consécration d’un principe général de la responsabilité du fait d’autrui depuis le célèbre arrêt Blieck[76]. L’admission de ce principe par les juridictions camerounaises est fortement souhaitée, car, elle conduira à intégrer la responsabilité civile des intermédiaires d’internet dans le régime de la responsabilité du fait d’autrui. Cela permettra d’élargir les responsables potentiels des faits dommageables sur internet, toute chose qui contribuera à garantir la réparation des dommages subis par la victime.

En tout état de cause, malgré les objections qui peuvent être formulées, envisager la responsabilité des intermédiaires d’internet du fait d’autrui est nécessaire. Ce régime apparaît le plus adapté pour engager la responsabilité des intermédiaires techniques non pas pour leur propre fait, mais du fait des internautes qui utilisent les services de ces intermédiaires pour se connecter[77].

B. La responsabilité civile des intermédiaires d’internet fondée sur la théorie du risque et de garantie

Le statut de la faute civile, comme fondement traditionnel de la responsabilité civile, connaît un recul et un affaiblissement régulier. La responsabilité civile sur internet s’est d’abord développée par le truchement du droit commun de la faute, mais en ne trouvant pas toujours de fautif, il semble que la recherche d’autres fondements est nécessaire pour la protection de la victime et l’amélioration de ses chances d’obtenir une réparation des préjudices subis sur ce réseau. C’est dans cette optique que la responsabilité civile des intermédiaires d’Internet peut trouver son fondement sur la théorie du risque (1) et de garantie (2).

1- La responsabilité civile des intermédiaires d’internet fondée sur la théorie du risque

La théorie du risque est devenue un fondement pour la responsabilité civile, tendant à une indemnisation presque automatique des victimes[78]. Les fondateurs de cette théorie, Messieurs les Professeurs Saleilles et Josserand, estiment que l’usage de la chose créant un profit et en contrepartie créant un risque ferait naître la responsabilité. La théorie du risque se base sur plusieurs éléments : celui qui exerce une activité qui fait naître un risque pour autrui doit supporter les dommages qui peuvent être causés par cette activité. La responsabilité civile est la contrepartie du profit qu’une personne tire d’une activité qui peut se révéler dangereuse. La production de profits d’une activité peut justifier la réparation des dommages qu’elle provoque. Il existe deux types de théories risques : la théorie du risque-profit et la théorie du risque créé.

L’application de la théorie du risque-profit aux intermédiaires d’internet se justifie, car, ils tirent profit de leur activité, à travers des confortables recettes publicitaires et des revenus des abonnements que paient les internautes pour accéder à Internet[79]. En effet, l’intermédiaire a choisi d’exercer une activité génératrice de risque pour des tiers, il en tire généralement profit. Elle est la principale théorie à même de justifier l’application d’une responsabilité objective. Des travaux récents vont jusqu’à affirmer que la jurisprudence des intermédiaires techniques aurait été « inconsciemment construite autour de la théorie du risque-profit »[80]. En conséquence, ces intermédiaires doivent être responsables des dommages que cette activité engendre. Car, lorsqu’un service accessible à des milliers d’utilisateurs dans le monde fourni par un intermédiaire technologique aux internautes[81] devient le support d’un acte illégal, il pourrait sembler choquant que le fournisseur de tels services n’en soit pas tenu pour responsable, alors même qu’il en tire profit[82]. La Cour d’appel de Paris a ainsi retenu la responsabilité d’un hébergeur pour la diffusion de photos litigieuses sur ce fondement[83]. Elle a retenu : « qu’en offrant (…), d’héberger et en hébergeant de façon anonyme, sur le site altern.org qu’il a créé et qu’il gère, toute personne qui (…) en fait la demande aux fins de mise à disposition du public (…) de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère de correspondances privées », il avait « manifestement » excédé le rôle technique d’un simple transmetteur d’information et qu’il devait ainsi, « d’évidence, assumer à l’égard des tiers aux droits desquels il serait porté atteinte dans de telles circonstances, les conséquences d’une activité qu’il a, de propos délibéré, entrepris d’exercer dans les conditions susvisées et qui, contrairement à ce qu’il prétend, est rémunératrice et revêt une ampleur que lui-même revendique ».

La responsabilité civile des intermédiaires d’internet peut également trouver son fondement sur la théorie du risque créé. « Le risque doit être supporté par celui qui l’a créé » proclame Josserand en 1897[84]. Que le risque soit avant tout dû aux technologies modernes n’est pas un obstacle à l’application de cette théorie. Son ambition est justement de répondre à l’apparition de nouveaux risques. Elle pourrait, sur le plan théorique, très bien s’appliquer aux intermédiaires d’internet. En ce sens, il a été affirmé que « de manière générale, sur le plan des principes, il n’y aurait rien eu d’extravagant à faire une place à la notion de risque »[85]. Il est vrai que la responsabilité objective a été étendue à des domaines qui n’évoquent pas spécialement le risque[86]. Rien ne s’oppose donc définitivement à l’extension de la responsabilité objective aux intermédiaires d’internet. Ce d’autant qu’elle garantira la réparation des dommages subis par la victime du fait de la mise en ligne d’un contenu illicite.

2- La responsabilité civile des intermédiaires d’internet fondée sur la théorie de garantie

La théorie de garantie peut également être envisagée comme fondement de la responsabilité civile des intermédiaires d’internet. Selon cette théorie, le devoir de réparer les dommages causés par quelque chose incombe à la personne qui l’insère activement dans la circulation matérielle et légale, généralement dans le but d’en tirer profit. C’est la garantie contre toute activité nuisible de tiers, en particulier les activités qui se traduisent par l’utilisation de choses[87]. La théorie de garantie part du postulat que tout individu a le droit au respect de son intégrité corporelle et ses biens, droit qui doit être protégé en cas de lésion[88]

L’application de cette théorie aux intermédiaires d’internet est intellectuellement cohérente même si elle n’a trouvé que très peu d’écho en droit positif en français[89]. Rien n’interdit donc au juge camerounais, s’il est confronté à une affaire de mise en ligne d’un contenu illicite, de retenir la responsabilité civile des intermédiaires d’internet sur ce fondement.

CONCLUSION

En somme, la détermination du fondement de la responsabilité civile des intermédiaires d’internet est sujet qui fait l’objet d’une intense réflexion doctrinale dans le monde. En droit camerounais, en l’absence d’un texte spécifique applicable à la responsabilité civile des intermédiaires d’internet, il faut nécessairement recourir au droit commun de la responsabilité civile pour déterminer le fondement d’une telle responsabilité. Au regard du droit commun, la responsabilité civile des intermédiaires d’internet peut être engagée aussi bien sur le fondement de la faute qu’en l’absence de la faute. Cependant, malgré tout le mérite qu’on peut reconnaître à la transposition des fondements de la responsabilité civile de droit commun à la responsabilité des intermédiaires d’internet, il n’en demeure pas moins que cette transposition demeure complexe et lacunaire, toute chose susceptible de laisser libre cours à l’incertitude juridique. C’est pourquoi, au regard de la recrudescence des dommages subis sur internet du fait de la mise ligne d’un contenu illicite, il est nécessaire pour le Cameroun de se doter d’un texte spécifique applicable à la responsabilité civile des intermédiaires d’internet.

 

[1] N. Dreyfus, Marques et Internet : protection, valorisation, défense, éd. Lamy, 2011, France, p. 71.

[2] I. Falque –Pierrotin, « La constitution et l’Internet », Nouveaux Cahiers du conseil constitutionnel, 2012, n°36, p. 32.

[3] A. Kchaou, La responsabilité civile et Internet, Université Jean Moulin - Lyon III ; Université de Sfax (Tunisie), 2022, p. 119.

[4] G. Wangkari Wairou, « Regard sur la loi n° 2023/009 du 25 juillet 2023 portant charte de protection des enfants en ligne au Cameroun », La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, octobre 2023, p. 2.

[5] Article 3 de la Loi n°2023/009 du 25 juillet 2023 portant charte de protection des enfants en ligne.

[6] M. Vivant, Lamy Droit du numérique : Lexique relatif au vocabulaire informatique et à la terminologie des télécommunications et du réseau internet, Wolters Kluwer SAS, 2013, p. 1948.

[7] S. Guillemard, Le droit international privé face au contrat de vente cyberspatial, Thèse de doctorat présentée en cotutelle à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval Québec, 2003, pp. 84-195.

[8]  Article 4 al 26 de la loi n°2010/012 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et à la cybercriminalité au Cameroun.

[9] M. Saingr, La régulation des contenus illicites sur les réseaux sociaux, Mémoire de Master 2, Université de Montpellier,2019-2020, p. 7.

[10] Ibidem.

[11] S. Guinchard (dir.), Lexique des termes juridiques, 25ème éd., Paris, Dalloz, 2017-2018, p. 1807.

[12] Civ. 2ème, 28 octobre 1954, Bull. civ. II, n°328, p. 222 ; JCP 1955. II.8765, note R. Savatier ; RTD civ. 1955. 324, n°24, obs. H.  Mazeaud ; Cour de Cassation, Chambre civile 2, du 9 juillet 1981, 80-12.142.

[13] Malheureusement en droit camerounais, ce débat n’existe pas encore ou n’existe que peu.

[14] C. Feral Schuhl, Cyber droit : Le droit à l’épreuve de l’Internet, Dalloz, Paris, 8ème éd., 2021, p.127.

[15] G. Wangkari Wairou, Les règles de conflit de droit international privé camerounais et les atteintes à la vie privée par internet, Thèse de doctorat en droit privé, Université de Maroua, Octobre 2022, p. 22.

[16] W. Capller, « Un net pas très net. Réflexions sur la criminalité virtuelle », Arch. Phil. Droit, n° 43, 1999, p. 180.  

[17] V. Tilman, « Arbitrage et nouvelles technologies », R. Ubiquité, 1999, pp. 47-64.

[18] Voir notamment A. LUCAS et al., Droit de l’informatique et de l’Internet, Paris, PUF, 2001, p. 453 ; P. TRUDEL, « La responsabilité sur Internet », Séminaire Droit et Toile, organisé par l’UNITAR (Institut des Nations unies pour la formation et la recherche), en association avec OSIRIS (Observatoire sur les systèmes d’Information, les Réseaux et les Inforoutes au Sénégal) et l’INTIF (Institut francophone des nouvelles technologies de l’information et de la formation) de l’Agence intergouvernementale de la francophonie, Bamako, 27 mai 2002, p. 2 ; M. Lavanchy, La responsabilité délictuelle sur Internet en droit suisse, Thèse de licence, Université de Neuchâtel, faculté de droit, Session 2002.

[19] M. Vivant, « La responsabilité des intermédiaires de l’Internet », JCP, 1999, éd. G., p. 2021.

[20] A. Kchaou, La responsabilité civile et Internetop.cit., p. 187.

[21] Article 3 de la Loi n°2023/009 du 25 juillet 2023 portant charte de protection des enfants en ligne.

[22] M. Vivant, Lamy Droit du numériqueop. cit., p. 1946.

[23] L. Grynbaum, « LCEN. Une immunité relative des prestataires de services internet », Comm. com. Electr. 2004, étude n°28, p. 10.

[24] E. Montero, « La responsabilité des prestataires intermédiaires de l’Internet », in Cahiers du CRID, n°19, p. 288.

[25] C. Manara, Droit du commerce électronique, LGDJ, 2013, p. 65 ; C. Castets-Renard, Droit de l’internet : droit français et européen, Montchrestien, 2ème éd., 2012, p. 278.

[26] Cette neutralité a été inscrite en droit français par la loi LCEN.

[27] Il appartenait au FAI de « garantir la neutralité de ses services vis-à-vis du contenu des messages transmis sur son réseau et le secret des correspondances », T.com., réf., 5 février 2017.

[28] Ph. Le Tourneau, Contrats du numérique, 10ème édition, Dalloz, 2022, p. 421

[29] A. Kchaou, La responsabilité civile et Internetop. cit., p. 189.

[30] P. Trudel, « La responsabilité sur Internet », op. cit., p.26

[31] TGI Nanterre, 8 décembre 1999, Lynda N. épouse L., SARL France Cybermedia, SARL SPPI, Société Esterel /sté Multimania Production, CCE, 2000, n°3, comm. 40, note A. Lepage.

[32] P. Trudel, « La responsabilité sur Internet », op. cit., p.21.

[33] V. sur cette question : T.G.I. de Paris, Ordonnance du 31 juill. 2000 ; C. d’A de Paris, 14e ch. A, 15 mai 2002, Dalloz, 2003, n° 9, p. 621 avec les observations de C. Manara.

[34] E. Ricbourg-Attal, La responsabilité civile des acteurs de l’internet du fait de la mise en ligne de contenus illicite, Larcier, Bruxelles, 2014, p. 263.

[35] TGI Paris, ch. 17, 23 oct. 2013 : Légalis ; RLDI 2013/99 n° 3297 obs. L. C.

[36] Parlement européen, « Rapport sur une politique industrielle européenne globale sur l’intelligence artificielle et la robotique, (2018/2088(INI)) », 2019.

[37] S. Simonyan, Le droit face à l’intelligence artificielle : analyses croisées en droit français et arménien, thèse de doctorat, Université de Lyon, 2021, p. 275.

[38] V. sur cette question Cabinet M-I. Cahen et al. « La responsabilité des moteurs de recherche », disponible sur http://www.murielle-cahen.com/p-moteur.zsp, p. 2.

[39] A. Kchaou, La responsabilité civile et Internetop. cit., p. 198.

[40] H. Bitan, Droit des créations immatérielles : logiciels, bases de données et autres œuvres sur le web 2.0, Lamy Axe Droit, mars 2010, p. 14.

[41] V. affaire Valentin Lacambre. Exemple de contrat: tam-o-tam.com: Article 1, le fournisseur propose la location d'un service d'hébergement de page web... article 2, le fournisseur propose au client la possibilité de disposer d'une adresse web et et d'un espace disque dur sur un serveur performant.

[42] Cass. Crim. 17 nov. 1992, LPA 12 avril 1993, n°44, p. 4. Selon la cour, l’hébergeur n’est pas tenu de vérifier le contenu de l’information qu’il met en ligne.

[43] Comme dans le jugement du tribunal d’instance de Puteaux du 28 septembre 1999, Axa Conseil lard (Sté) a. C/ Monnier a. Dans cette affaire, le juge a refusé toute assimilation du fournisseur à un directeur de publication, considérant qu’il « n’intervient en aucune façon sur l’émission des données », qu’il ne peut pas même « en déterminer le thème ni le sujet », qu’il ne peut « ni sélectionner ni modifier les informations avant leur accessibilité sur l’internet » et que dans ces conditions, il ne dispose d’ « aucune maîtrise dur le contenu des informations avant que celles-ci ne soient disponibles sur l’internet ». 

[44] TGI Nanterre, ord. Réf., 31 janvier 2000, RG n°00/00222, Les trois suisses a. c/Axinet Communication (SARL) a., D. 2001. 292, note M-A. Gallot Le Lorier et V. Varet. Dans cette affaire, le juge a estimé non seulement la responsabilité du déposant des noms de domaine mais également la responsabilité de l’hébergeur du site sur lequel s’est déroulée la vente litigieuse.

[45] A. Kchaou, La responsabilité civile et Internetop. cit., p. 201.

[46] Ou d’éliminer toute possibilité d’accéder à ces contenus.

[47] A. Kchaou, La responsabilité civile et Internetop. cit., p. 202.

[48] M. Vivant, «La responsabilité des intermédiaires de l’internet », op. cit., p. 180.

[49] A. Tourette, Responsabilité civile et neutralité de l’internet : Essai de Conciliation, thèse, Nice, 2015, p. 265.

[50] K. Grisse, « After the storm—examining the final version of Article 17 of the new Directive (EU) 2019/790 », Journal of Intellectual Property Law & Practice, novembre 2019, vol. 14, n° 11, p. 896.

[51] A. Rey, (dir) Dictionnaire culturel en langue française, Le Robert, 2005, p. 1792.

[52] J. Larrieu, Droit de l’Internet, Ellipses, Coll. Mise au point, 2ème éd., 2010, p. 150.

[53] F. Brison et al., Actualités législatives en droit d’auteur, Larcier, Bruxelles, 2019, p. 40.

[54] A. Kchaou, La responsabilité civile et Internetop. cit., p. 209.

[55] V. Cassiers, « Arrêt « Ziggo » : la plate-forme YouTube sera-t-elle bientôt hors-la-loi ? », Journal de droit européen, n°243, 2017, p. 360.

[56] C. De Callataÿ et al., « La responsabilité des intermédiaires à la lumière de la nouvelle Directive « Digital Single Market » », in Les droits intellectuels, entre autres droits, UB3 – Éditions Larcier, Bruxelles, 2019, p. 161.

[57] Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE.

[58] N. Forster et al., La responsabilité sans faute de l’union européenne, Bruylant, Bruxelles, 2021, p. 21.

[59] Ibid., p. 29.

[60] « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde » (article 1384 du code civil camerounais).

[61] A. Lucas, « La responsabilité civile du fait des choses immatérielles », in Le droit privé français à la fin du XXe siècle. Études offertes à Pierre Catala, Litec, 2001, pp. 817-826, spé. n° 12-14, pp. 220-221 ; Ph. Le Tourneau, Contrats informatiques et électroniques, Dalloz Référence, 8ème éd., 2014-2015, n° 10.12 – Brun, n° 359, jugeant qu’ « une vision « dématérialisée » de la chose justiciable de l’article 1384 alinéa 1er, susciterait sans doute plus de difficultés qu’elle n’en résoudrait, en soumettant ces « choses », d’un genre si particulier à un régime juridique qui n’est en rien adapté à leur spécificité. ».

[62] E. Tricoire « La responsabilité du fait des choses immatérielles », in Libre droit. Mélanges en l’honneur de Philippe le TOURNEAU, Dalloz, 2008, pp. 983-1002 ; W. Duhen, La responsabilité extra-contractuelle du fournisseur d’accès à Internet, PUAM, 2013, pp. 238-239, concluant toutefois à l’impossibilité de mettre en cause la responsabilité d’un FAI sur ce fondement, faute de direction et de contrôle (nos 240-243) ; E. Ricbourg-Attal (dir. J. Julien), La responsabilité civile des acteurs de l’internet du fait de la mise en ligne de contenus illicitesop. cit., p. 415 considérant que « le critère de contact entre le fait de la chose et le siège du dommage semble difficile à transposer aux choses immatérielles » (n° 420), mais que « ce serait l’illicéité du contenu qui pourrait révéler l’anormalité » (n° 421). – Pour une étude d’ensemble favorable à l’immatérialité des choses, voir F. Zenati, « L’immatériel et les choses », Arch. phil. Droit, 1999, t. 43, pp. 79-95.

[63]  « Les dispositions de l’article 1384 du Code civil n’ont pas vocation à s’appliquer, [l’hébergeur] n’ayant ni la garde des ordinateurs sur lesquels sont stockées les données permettant les actes de contrefaçon incriminés, ni la direction, l’usage et le contrôle du site litigieux » (TGI Paris, ch. 1, 23 mai 2001, Serge P. et a. C/ sté. Free et a.. : Légalis ; Comm. Com. électr. n° 11, nov. 2001 , pp. 21-22).

[64] Voir la proposition d’Élise Ricbourg-Attal dans sa thèse (op. cit.), concluant qu’« il ne paraît pas utopique d’imagine que le XXIe siècle donnera naissance à un régime de responsabilité du fait des choses immatérielles. » (p. 436).

[65] Z. Jacquemin, « Les sanctions civiles comme outils de régulation de l’activité numérique » In Enjeux internationaux des activités numériques entre logique territoriale des États et puissance des acteurs privés, Larcier, 2020, p. 183.

[66] Google en particulier.

[67] Cass. Fr. (1er civ.), 19 février 2013, n°12-12798, Bull., 2013, I, n°19. Et Cass. Fr. (1er civ.), 19 juin 2013, n°12-17591, Bull., 2013, I, p. 130.

[68] Z. Jacquemin, « Les sanctions civiles comme outils de régulation de l’activité numérique », op. cit., 2020, p. 184.

[69] Ibidem.

[70] La responsabilité du fait d’autrui désigne le fait de répondre du fait d’autrui, à savoir le fait qui, ayant pour cause les agissements dommageables d’un sujet de droit, justifie qu’un autre sujet de droit, en raison du lien qui l’unit à l’auteur direct du dommage, voie sa responsabilité être engagée.

[71] J. Julien, « Responsabilité du fait d'autrui – Responsabilité générale du fait d'autrui », Rép. civ. Dalloz, 2019, pp. 54 et s.

[72] Il est parfaitement envisageable, par exemple, qu’un « animateur de communauté » (community manager), chargé de veiller à la bonne réputation de son employeur sur les réseaux sociaux, en vienne par excès de zèle à dénigrer un concurrent sur l’espace graphique d’une plateforme. Un jugement du Tribunal de grande instance de Marseille du 11 juin 2003 fut précurseur en ce qu’il retint pour la première fois la responsabilité d’un employeur du fait de la publication d’un contenu illicite en ligne d’un de ses salariés (TGI Marseille, 11 juin 2003 : CCE2003, n°85, p. 30, obs. L. Grynbaum ; D. 2003, p. 2825, obs. CH. Le Stanc ; JCP E 2004, I, p. 624, note Luot N. Martinod ; Expertises 2003, n° 274, p. 351, note S. Voisin).

[73] T. Verbiest, « Les cybercafés à la recherche d'un statut juridique », in CIPRUT (M) Les Echos, 2003.

[74] Dans cette affaire, le tribunal de grande instance de Troyes a estimé que les éditeurs de service en ligne sont tenus d’une obligation conduisant à ce que leurs sites ne soient pas utilisés à des fins illicites. Ils sont tenus par conséquence de mettre en place des mesures techniques de prévention et ils doivent également rechercher le contenu illicite publié par autrui sur leurs sites.

[75] L’article 1384 du code civil camerounais dispose que Le père et la mère, après le décès du mari, sont responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ; Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ; Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance.

[76] Plén., 29 mars 1991, n° 89-15231, Blieck : JCP 1991 II 21673, concl. Dontenwille, note J. Ghestin ; RTD civ. obs. P. Jourdain ; GAJC, 12e éd., 2008, t. II, nos 227-229.

[77] A. Kchaou, La responsabilité civile et Internetop. cit., p. 289.

[78] R. Bellayer-Le Coquil, « Le droit et le risque », «Au bonheur du risque ?», ATALA n° 5; 2002, p.129.

[79] A. Kchaou, La responsabilité civile et Internetop. cit., p. 226.

[80] É. Ricbourg-Attal (dir. J. Julien), La responsabilité civile des acteurs de l’internet du fait de la mise en ligne de contenus illicitesop. cit., p. 418.

[81] Comme la vente en ligne, le partage des œuvres, etc.

[82] F. Terre, « Être ou ne pas être… responsable : A propos des prestataires de services par Internet », JCP G 2011, p. 1944.

[83] CA Paris, 10 février  1999,  Lacambre  /  Estelle  Hallyday,  D.,  1999,  jur.  389, note N.  MalleT-PouJol, et JCP G, 1999, II, 10101, note F. OliVier et E. Barbry.

[84] L. Josserand, De la responsabilité du fait des choses inanimées, Rousseau, 1897, p. 123.

[85] A. Lucas, « La responsabilité des différents intermédiaires de l’internet », in L’internet et le droit. Droit français, européen et comparé de l’internet. Actes du colloque organisé par l’École doctorale de droit public et de droit fiscal de l’Université Paris I les 25 et 26 septembre 2000, Victoire Éd., coll. Légispresse, 2001, pp. 239-240.

[86] J.-S. Borghetti, « La responsabilité du fait des choses, un régime qui a fait son temps », RTD Civ., 2010, pp. 12-13.

[87] B. Starck et al., Droit civil : Les obligations, Litec, Paris, 6ème éd., p. 641.

[88] Ibidem.

[89] B. Tourette, Responsabilité civile et neutralité de l’internet : Essai de Conciliationop. cit., p. 133.

[Jurisprudence] Conditions de recevabilité d'un recours en interprétation d'un arrêt de la CCJA
par Hervé Martial TCHABO SONTANG, Maître de Conférences, Droit des Affaires, FSJP — Université de Dschang
Réf:CCJA, Ass. plén., 26 octobre 2023, n° 174/2023, Société Béninoise d’Energie Électrique dite SBEE / État du Bénin C/ Société Innovent Benin SA N° Lexbase : A45662ET

CCJA, Ass. plén., 26 octobre 2023, n° 174/2023

 

ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE

ET D’ARBITRAGE

(CCJA)

Assemblée plénière

Audience publique du 26 octobre 2023

Recours : n° 050/2023/PC du 20 février 2023

(…)

Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans le 20 février 2023, sous le n° 050/2023/PC et formé (…) en interprétation de l’Arrêt n° 105/2022 rendu le 23 juin 2022 par la Cour de céans dont le dispositif suit :

« Statuant publiquement, après en avoir délibéré, déclare recevable le recours formé par la Société Béninoise d’Energie Électrique (SBEE) et l’État du Bénin ;

Annule la sentence partielle rendue le 05 mars 2021 ; Condamne la société INNOVENT BÉNIN SA aux dépens. » ;

Les requérants invoquent à l’appui de leur recours, les motifs d’interprétation tels qu’ils figurent dans la requête annexée au présent Arrêt ;

Sur le rapport de Madame Esther Ngo MOUTNGUI IKOUE, Présidente ;

Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

Attendu que, par requête reçue au greffe de la Cour de céans le 20 février 2023, la SBEE et l’État du Bénin ont formé un recours en interprétation de l’Arrêt n° 105/2022 rendu le 23 juin 2022 par la Cour ; que cet arrêt annulait une sentence partielle rendue par le Tribunal arbitral, dans la cause qui oppose les requérants à la société INNOVENT Bénin SA ; qu’au succès de ce recours, ils font valoir que les parties divergent sur le sens et la portée de l’Arrêt dont l’interprétation est demandée ; qu’en effet, si pour les requérants, la Cour a parfaitement affirmé dans les motifs de l’arrêt l’incompétence du tribunal arbitral à connaître du litige qui oppose les parties, et que ledit arrêt postule donc la fin de la procédure arbitrale, la société INNOVENT Bénin SA, suivie par le Tribunal arbitral, en fait une lecture différente ; que dans ce sens, une ordonnance de procédure n° 12 a été rendue par ledit tribunal, afin que la procédure arbitrale se poursuive ; que face à cette divergence de lecture, il importe que le sens de l’arrêt précité soit explicité par la juridiction qui l’a rendu ;

Sur la recevabilité du recours, 

Attendu que la société INNOVENT Bénin SA soulève l’irrecevabilité du recours, motifs pris, d’une part, de l’irrégularité de la notification de la requête faite, non à la SCP Chauveau, conseil constitué depuis le début de la procédure d’arbitrage, mais à ses conseils parisiens, étrangers à ladite procédure et, d’autre part, de l’autorité de la chose jugée, en ce que, si l’autorité de la décision de la CCJA emporte nullité de la clause compromissoire, la même cour ne peut plus connaître du présent recours, sous peine de méconnaître l’autorité de sa propre décision ;

Attendu qu’il résulte de l’article 45 bis du Règlement de procédure de la Cour que toute partie peut demander l’interprétation du dispositif d’un arrêt dans les trois ans qui suivent son prononcé ; que la demande en interprétation est présentée conformément aux dispositions des articles 23 et 27 dudit Règlement ;

Qu’il résulte de la lecture de ces dispositions que la notification du recours à la partie adverse n’est pas une condition de recevabilité de celui-ci ; que du reste, la société INNOVENT Bénin SA ayant été mise en mesure de présenter ses observations et l’ayant fait, c’est à mauvais droit qu’elle formule le premier grief, qui doit être rejeté ;

Que s’agissant de l’autorité de la chose jugée, le grief touche à la portée de l’arrêt, et constitue le motif même de la demande d’interprétation ; que ce faisant, le second grief au soutien de la fin de non-recevoir ne peut prospérer, et doit également être rejeté ;

Attendu, en revanche, que la portée de l’Arrêt n° 105/2022 du 23 juin 2022 de la Cour de céans est sujette à débats entre les parties en cause ;

Que, dans ces conditions, c’est à bon droit qu’une interprétation a été demandée par la SBEE et l’État du Bénin ; qu’il convient de déclarer recevable le présent recours, qui obéit aux dispositions pertinentes du Règlement de procédure de la Cour ;

Sur le bien-fondé du recours

Attendu que la défenderesse conclut au rejet du recours, lequel a pour objectif de faire dire à la Cour ce qu’elle n’a pas décidé, à savoir la fin de la mission de l’arbitre, d’autant que la Cour n’a nullement évoqué et statué sur le fond ; que c’est donc en toute régularité que la société INNOVENT Bénin SA a demandé la reprise de la procédure, et que par ordonnance de procédure n° 12, le Tribunal arbitral a estimé qu’il y’a lieu de tirer les conséquences de l’annulation de la sentence partielle, en tranchant les exceptions dont l’examen était différé ;

Attendu qu’il est reconnu que, seul le dispositif d’une décision de justice a une portée décisoire, à l’exclusion des motifs qui le soutiennent ; que dans l’arrêt, dont interprétation du dispositif, la Cour a fondamentalement reproché au tribunal arbitral d’avoir différé l’examen des exceptions d’incompétence fondées sur des motifs d’ordre public économique national béninois et communautaire de l’UEMOA à une phase ultérieure ;

Que lesdites exceptions, fondées ou non, posaient des questions relatives, non seulement à l’application des lois de police, dont l’examen, en arbitrage international, ne saurait être différé, mais aussi à la disponibilité des droits en cause et, donc, à l’aptitude même du litige à accéder à l’arbitrage, au sens de l’article 2 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage ;

Que la Cour a alors estimé que le Tribunal arbitral devait répondre à de telles exceptions « toute affaire cessante » ;

Attendu, par ailleurs, qu’aucune des parties n’ayant invité la Cour, dans ce cadre, à évoquer sur cette question litigieuse, elle n’a pas pu la trancher, et sa décision ne peut être lue comme ayant répondu à l’exception d’incompétence d’ordre public soulevée par l’État du Bénin et la SBEE, exception à laquelle, dans ce contexte, à ce stade et en vertu du principe compétence-compétence, le Tribunal arbitral est seul habilité à connaître ;

Attendu qu’au bénéfice de ce qui précède, il y a lieu, pour la Cour, d’inviter les parties à retenir le sens et la portée qui seront contenus dans le dispositif du présent Arrêt, lesquels sont les seuls attachés à son arrêt n° 105/2022 du 23 juin 2022 ;

Sur les dépens :

la SBEE SA et l’État du Bénin, succombant, seront condamnés

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

Déclare le recours recevable et fondé en son principe ;

Invite les parties à retenir le sens et la portée ci-dessous, lesquels sont seuls attachés à son arrêt n° 105/2022 du 23 juin 2022 :

1° La Cour, en annulant la sentence partielle du 05 mars 2021 pour le motif que le Tribunal arbitral ne pouvait différer l’examen des exceptions d’incompétence fondées sur des motifs d’ordre public national béninois et communautaire de l’UEMOA, sans évoquer au fond et décider de cette incompétence, a laissé le soin au tribunal arbitral d’y satisfaire lui-même ;

2° Les parties sont placées dans l’état où elles se trouvaient avant le prononcé de la sentence partielle, et il appartient au tribunal arbitral de veiller aux suites de droit qui conviennent ;

Condamne la SBEE SA et l’État du Bénin aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois, et an que dessus et ont signé :

 

Commentaire :

On considère en général que les parties qui ont conclu une convention d’arbitrage ont délibérément évité le juge étatique[1]. Mais, cet effet attaché à l’existence d’une clause arbitrale n’est pas absolu, l’éviction du juge étatique étant un principe objet de tempéraments. En droit de l’OHADA par exemple, l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle à ce qu’à la demande d’une partie, une juridiction étatique, en cas d’urgence reconnue et motivée, ordonne des mesures provisoires ou conservatoires dès lors que celles-ci n’impliquent pas un examen du différend au fond pour lequel seul le tribunal arbitral est compétent[2]. Le Tribunal étatique, saisi dans le cadre d’une procédure arbitrale en cours, doit donc s’interdire de se prononcer ou d’anticiper sur le fond du litige, sinon sa décision s’expose à la cassation de la CCJA[3]. Cette haute juridiction fait elle-même attention lorsqu’elle intervient dans ce cadre. L’enjeu est de respecter la volonté des parties et de ne pas perturber l’équilibre qu’elles ont souhaité établir entre elles. C’est la substance de l’arrêt interprétatif n° 174/2023, rendu le 26 octobre 2023 N° Lexbase : A45662ETLexbase Afrique OHADA, n° 72, mars 2024, obs., F. Diop, N° Lexbase : N8911BZ3 dans l’affaire opposant la Société Béninoise d’Energie électrique dite SBEE et l’État du Bénin d’une part, à la Société Innovent Benin SA d’autre part.

Il se trouve en effet que, dans le cadre du différend arbitral qui opposait ces parties, la SBEE et l’État béninois ont, en invoquant les ordres publics national béninois et communautaire UEMOA, demandé au tribunal arbitral de constater sa non-arbitrabilité et de se déclarer incompétent, en conséquence. Par une sentence partielle, ce tribunal a réservé l’examen de cette exception pour la joindre au fond. Cette sentence avant-dire-droit sera, sur recours des mêmes demandeurs, annulée par arrêt de la CCJA n° 105/2022 rendu le 23 juin 2022 N° Lexbase : A03758RC. La portée de cette annulation n’a pas été pas comprise de la même manière par les différents plaideurs. La SBEE et l’État béninois, requérants en interprétation, estiment que la Cour, par sa décision, a parfaitement affirmé dans les motifs de l’arrêt l’incompétence du tribunal arbitral à connaître du litige en cause, ce qui impliquerait alors la fin de la procédure arbitrale et le renvoi des litigants à mieux se pourvoir ; cependant, la société INNOVENT Bénin SA en fait une analyse différente, entérinée par le Tribunal arbitral qui a d’ailleurs, dans ce sens, pris une ordonnance de procédure n° 12 afin que la procédure arbitrale se poursuive. 

C’est donc en réalité pour s’opposer à la mise en œuvre de cette ordonnance n° 12 prescrivant la poursuite de l’instance arbitrale que les requérants ont saisi la Cour afin de l’entendre dire, en guise d’interprétation de son arrêt n° 105/2022 N° Lexbase : A03758RC, que le litige qui les oppose à la société Innovent ne pouvait être réglé par voie arbitrale. La société Innovent, défenderesse à l’instance en interprétation, a, quant à elle, dans un premier temps, demandé à la Cour de constater que le recours ne lui avait pas été régulièrement notifié, circonstance qu’elle considérait comme caractérisant un vice sérieux rendant le recours irrecevable. En second lieu, elle a demandé à la Cour de ne pas retenir le sens que les requérants se faisaient de l’arrêt litigieux, car dénaturant son esprit et contredisant le principe compétence-compétence du tribunal arbitral.

L’attention de la CCJA a donc spécialement porté sur ces deux points majeurs dont l’un est relatif aux conditions de recevabilité du recours en interprétation (I) et l’autre touchant à la portée du principe compétence-compétence (II).

I. L’appréciation stricte des conditions de recevabilité du recours en interprétation 

Il est évident que, pour être examinés au fond, les recours et moyens soumis à la CCJA doivent passer avec succès l’examen de leur recevabilité. Comme cette haute juridiction a déjà eu à le rappeler, cette recevabilité s’apprécie « principalement à la lumière des dispositions de son Règlement de procédure »[4]. En ce qui concerne spécifiquement le recours en interprétation, la Cour précise que ce texte n’exige point, comme condition de forme de recevabilité, la notification préalable du recours à l’adversaire (A). En revanche, elle rappelle et vérifie, dans le cas d’espèce, les conditions de fond consacrées (B).

A. La non-exigence de la notification préalable du recours en interprétation

Lorsqu’une formalité n’est pas requise par le règlement de procédure de la CCJA, elle n’impacte pas sur la recevabilité du recours. Ainsi, alors que la société Innovent Bénin SA souhaitait l’irrecevabilité du recours, en alléguant l’irrégularité de la notification de la requête faite, la Cour a répondu en observant qu’il résulte de la lecture des dispositions des articles 45 bis, 23 et 27 du Règlement de procédure de la CCJA « que la notification du recours à la partie adverse n’est pas une condition de recevabilité de celui-ci (…) ». On peut comprendre cette lecture faite par la Cour des dispositions susvisées puisque, dans le cadre de la procédure devant la CCJA, ce n’est pas le demandeur qui informe le défendeur de l’existence du recours, mais, le Greffier en chef. La requête devant la CCJA n’opère pas comme une assignation dont copie doit être notifiée à l’adversaire sur diligence du demandeur. D’ailleurs, et plus spécialement en matière de recours en interprétation, l’alinéa 4 de l’article 45 bis du règlement de procédure de la CCJA dispose bien que ce soit la Cour qui met « les parties en mesure de présenter leurs observations ». On peut aisément en déduire que c’est à la Cour d’assurer l’information des autres parties afin de leur permettre de formuler leurs observations. Partant, il ne serait pas logique de sanctionner le défaut de notification de la requête, ni, a fortiori, quelque irrégularité commise à cette occasion.

À côté de cette motivation fondée sur l’esprit des textes qui paraissaient déjà suffisante, la Cour développe un raisonnement subsidiaire, qu’on pourrait se fonder sur le principe « pas de nullité sans grief », pour justifier davantage le rejet de l’exception d’irrecevabilité. Elle relève en effet, « (…) que du reste, la société Innovent Bénin SA ayant été mise en mesure de présenter ses observations et l’ayant fait, c’est à mauvais droit qu’elle formule le premier grief, qui doit être rejeté ». En d’autres termes, semble dire la Cour, même si la notification du recours était légalement exigée, le défendeur ne pourrait plus se prévaloir de l’inobservation de cette formalité s’il n’en est pas résulté de préjudice à son égard. L’irrégularité qu’a semblé relever le défendeur en l’espèce ne l’a en tout cas pas empêché de produire ses observations en réponse. Cette motivation est un peu difficile à approuver dans la mesure où les textes régissant la procédure devant la CCJA ne subordonnent pas spécialement la sanction d’un manquement procédural à la preuve ou l’existence d’un grief subi par l’adversaire. On a plutôt l’impression, à l’examen de ces textes, que les formalités qu’ils prescrivent sont toutes substantielles et leurs inobservations sanctionnables en soi. Des arrêts de la CCJA confortent bien cette position. Ainsi, pour déclarer irrecevables des recours[5] ou des mémoires déposés hors délais[6], cette juridiction ne vérifie ni ne caractérise préalablement l’existence d’un grief. Il y a donc lieu d’estimer que la nullité aurait donc probablement été encourue en l’espèce si le règlement de procédure de la CCJA avait exigé la notification de la requête au défendeur par le demandeur. Si tel avait été le cas, cela aurait alors fait obstacle à l’examen des conditions de fond.

B.  La satisfaction des conditions de fond consacrées

La demande en interprétation n’est pas, au sens strict, une voie de recours puisqu’il ne tend pas à obtenir la rétractation, la réformation ou la cassation de ce qui a été préalablement décidé. La confusion a pu être entretenue dans la version originelle du règlement de procédure de la CCJA dont l’article 48 qui instituait cette procédure était logé sous le « Chapitre IX — Des voies de recours extraordinaires ». C’est certainement pour réparer cette erreur que lors de la révision de ce texte en 2014, cet article a été purement et simplement abrogé et l’article 45 bis créé puis placé sous le nouveau « Chapitre VII bis — Des rectifications et interprétations ».

 La demande en interprétation, loin de remettre en cause l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire normalement attachées à tout arrêt de la CCJA[7] a plutôt pour objet de les consolider en permettant de lever toutes les équivoques susceptibles de compromettre leur portée. Il faut en effet que la chose jugée soit bien comprise, sans aucune ambiguïté. Dès lors, il n’est pas pertinent de s’opposer, comme a tenté de le faire la société INNOVENT, à une demande d’interprétation, en tirant argument de l’autorité de la chose jugée de la décision concernée. D’ailleurs, comme l’avait déjà indiqué la Cour dans un arrêt antérieur, c’est bien le Règlement de procédure qui a « donné la possibilité aux parties figurant dans l’instance antérieure ayant abouti à l’arrêt, objet du recours, tant en qualité de demanderesse que de défenderesse, de demander l’interprétation dudit arrêt selon les modalités et conditions fixées par ledit article »[8]. Il est donc légitime pour les parties à l’instance de solliciter une interprétation de l’arrêt rendu par la Cour lorsque les conditions sont réunies.

La principale de ces conditions, bien relevée par la Cour dans son analyse, est l’existence d’une divergence de vues sur les sens du dispositif de l’arrêt concerné. Cette exigence consacre l’idée selon laquelle il n’y a pas toujours matière à interprétation. Seuls les textes ou dispositifs des arrêts obscurs nécessitent d’être interprétés. Il faut en effet que la compréhension de l’arrêt se heurte à une difficulté réelle, laquelle peut procéder d’une confusion dans les termes du dispositif ou d’un manque de précisions suffisantes de la part du juge. Cette difficulté doit se caractériser par des compréhensions antinomiques en fonction des parties. Cette condition est de rigueur puisque, comme l’a déjà rappelé la Cour, « il est de principe qu’un recours en interprétation ne peut être fondé que si l’arrêt dont l’interprétation est demandée présente quelques obscurité ou ambiguïté dans son dispositif »[9]

Par analogie à la règle selon laquelle lorsqu’un texte (auquel on assimile une clause contractuelle) est clair, le juge ne doit pas l’interpréter[10], mais se doit plutôt de l’appliquer directement, on peut alors dire que lorsque le dispositif de l’arrêt est clair, les parties se doivent de l’appliquer simplement. La maxime est bien connue : interpretatio cessat in claris[11]

En revanche, lorsque son contenu est flou, vague ou obscur, il peut s’avérer nécessaire, afin de ne pas travestir son esprit, de chercher son véritable sens. Dans ce cas, étant donné que ce n’est pas la décision en elle-même qui est contestée, mais, que la difficulté porte simplement sur sa compréhension, ce n’est pas une voie de recours qu’il faut exercer, mais, une interprétation qu’il faut demander. Ainsi, un dispositif obscur d’un arrêt de la cour d’appel ne donne pas lieu à pourvoi en cassation, mais plutôt à un arrêt interprétatif, qui doit être demandé à la juridiction qui l’a rendu[12]

En l’espèce, la CCJA, après avoir constaté qu’une divergence de vue sérieuse opposait les deux parties, a jugé opportun de recevoir le recours dont l’examen lui a permis de repréciser le sens véritable de son arrêt n° 105/2022 N° Lexbase : A03758RC dont la quintessence était relative à la vigueur du principe de « compétence-compétence » du tribunal arbitral.  

 

II. Le rappel des implications du principe « compétence-compétence » 

 

Si le droit de l’OHADA réserve au tribunal arbitral la compétence pour apprécier sa propre compétence (A), la CCJA juge toutefois que ce tribunal ne saurait ajourner l’examen de l’exception d’incompétence soulevée devant lui, surtout si elle est tirée de moyens d’ordre public international (B).

A.    L’appréciation par l’arbitre de sa propre compétence 

On le dit en général, le procès civil est la chose des parties. Il en est surtout ainsi lorsque les questions en cause portent sur des intérêts dont les parties ont la libre disposition. En ce cas, il leur est alors reconnu le pouvoir de choisir la voie à mettre en œuvre pour en obtenir le règlement. Si elles choisissent le mode arbitral, il s’ensuit en principe l’incompétence des juridictions étatiques à connaître, en première instance, des litiges concernés, si ce n’est seulement pour ordonner « des mesures provisoires ou conservatoires »[13]. C’est là l’effet négatif des conventions d’arbitrage dont le principe, posé à l’article 13 AUA, est constamment rappelé par la CCJA[14] comme elle l’a encore fait, malgré une petite hésitation, dans l’arrêt dont commentaire.

Selon ce texte, lorsqu’un différend faisant l’objet d’une procédure arbitrale en vertu d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction étatique, celle-ci doit, si l’une des parties en fait la demande[15], se déclarer incompétente indifféremment de la circonstance selon laquelle un tribunal arbitral aurait déjà été saisi ou non. Il reste cependant possible à la juridiction étatique saisie, certainement pour éviter tout risque de déni de justice, de retenir sa compétence dans ce dernier cas s’il lui apparaît que la convention d’arbitrage invoquée est « manifestement nulle ou manifestement inapplicable à l’espèce »[16]. Afin que cette petite ouverture ne prête le flanc à des dérives, la CCJA précise qu’il revient à la juridiction étatique, qui décide de retenir sa compétence, de caractériser la nullité ou l’inapplicabilité manifestes de la convention d’arbitrage concernée, lesquels motifs doivent procéder « de l’apparence de celle-ci ». Il est donc interdit au juge étatique de procéder à « un examen substantiel et approfondi de ladite convention »[17]. Cette position est confortée par la doctrine qui estime que « le juge national ne doit pas réali­ser un examen de fond de la sentence arbitrale »[18]. Ainsi, si la convention d’arbitrage n’est pas manifestement nulle, elle « doit produire ses effets »[19] dont, le principal, au plan procédural, est l’incompétence du juge étatique[20]. En ce sens, le contrôle pouvant être valablement effectué par le juge « devient une espèce d’examen prima facie dans lequel ne sont véri­fiées qu’une sorte de validité apparente et l’existence formelle de la convention »[21].

Cet effet conduisait logiquement à considérer comme erronée la compréhension des demandeurs en interprétation selon laquelle « la Cour a parfaitement affirmé dans les motifs de l’arrêt l’incompétence du tribunal arbitral à connaître du litige qui oppose les parties, et que ledit arrêt postule donc la fin de la procédure arbitrale ». Il ne revenait en effet pas à la Cour de prendre originellement une telle décision. Même en cas de nullité apparente, seule la juridiction étatique saisie de l’affaire, en première instance, peut le faire. La CCJA ne peut en effet s’y pencher que sur recours, soit contre la décision du tribunal arbitral se prononçant définitivement sur la question de sa compétence, soit contre la décision des juridictions étatiques ayant retenu leur compétence malgré l’existence d’une convention d’arbitrage. Tel n’était évidemment pas le cas en l’espèce, raison pour laquelle la Cour a préservé le pouvoir du tribunal arbitral de vider lui-même ces exceptions, en l’invitant seulement, au vu du caractère d’ordre public des questions qui sous-tendaient celles-ci, à y répondre « toute affaire cessante ». Il se trouve d’ailleurs qu’en droit processuel, l’exception d’incompétence est généralement vue comme une question préalable que le juge doit vider dans l’immédiat avant de poursuivre son office. Un juge ne doit normalement examiner les faits qui lui sont soumis qu’après s’être assuré d’en avoir la compétence.

            Dans l’arrêt sous commentaire, la CCJA a cependant utilisé un autre argument qui peut troubler la compréhension du lecteur. En affirmant « qu’aucune des parties n’ayant invité la Cour, dans ce cadre, à évoquer sur cette question litigieuse, elle n’a pas pu la trancher », elle laisse planer l’idée qu’elle aurait pu vider cette question au fond si l’une des parties le lui avait demandé. On se pose alors la question de savoir sur quel fondement textuel elle aurait pu le faire. Certes, l’alinéa 5 du Traité de l’OHADA [LXB=A9997Y] lui permet, en cas de cassation, d’évoquer et de statuer sur le fond ; mais, ce pouvoir d’évocation ne s’exerce pas de manière automatique. C’est ainsi que dans une espèce, la CCJA a logiquement estimé, après cassation, que « (…) rien ne restant à juger, il n’y a pas lieu d’évoquer »[22]. Par ailleurs, il s’agit d’un pouvoir qui participe plus de l’idée de la bonne administration de la justice que de l’intérêt particulier des parties, c’est pourquoi le Traité ne subordonne pas sa mise en œuvre à une demande des ou de l’une des parties. Par ailleurs, en restant dans l’esprit de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, il est difficile de comprendre que, dans une cause pareille, la CCJA, qui n’était pas saisie comme juridiction de recours contre la décision du tribunal arbitral vidant l’exception en cause, put évoquer et trancher la question de la compétence du tribunal arbitral. D’ailleurs, comme elle le rappelle elle-même par la suite, au stade où se trouve la procédure, « et en vertu du principe compétence-compétence, le Tribunal arbitral est seul habilité à connaître ». 

            C’est là, l’expression même de l’effet positif de la convention d’arbitrage qui se dégage de l’article 11 AUA en ce qu’il prévoit : « Le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur sa propre compétence, y compris sur toutes questions relatives à l’existence ou à la validité de la convention d’arbitrage ». Ce texte fonde la compétence exclusive en même temps qu’il « impose au juge arbitral, sous réserve d’un recours éventuel contre sa sentence à venir, d’exercer sa pleine compétence sur tous les éléments du litige, qu’il s’agisse de l’existence, de la validité ou de l’exécution de la convention »[23]. Donc, en présence d’une convention d’arbitrage, et si son incompétence est soulevée à temps, le juge étatique doit en principe se déclarer incompétent et laisser le tribunal arbitral se prononcer lui-même sur sa propre compétence[24]. Si plutôt, comme c’est le cas en l’espèce, c’est le tribunal arbitral saisi sur le fondement d’une convention d’arbitrage qui voit sa compétence contestée, il se doit de traiter la question en lui appliquant le régime procédural convenable.

B.   La précision du régime procédural de l’exception d’incompétence soulevée devant le tribunal arbitral 

Un autre apport de l’arrêt commenté est d’avoir fourni quelques précisions sur le régime procédural de l’exception d’incompétence soulevée devant le tribunal arbitral. En disant que son examen ne saurait être différé, la Cour conforte sa position selon laquelle l’exception d’incompétence soulevée devant le tribunal arbitral est une question de procédure. C’est évidemment sur la base d’une telle considération qu’elle décide par exemple que « l’exception d’incompétence doit être soulevée avant toute défense au fond, sauf si les faits sur lesquels elle est fondée ont été révélés ultérieurement[25] ». Par conséquent, la partie qui, en connaissance de cause, s’abstient d’invoquer sans délai une telle exception « et poursuit l’arbitrage, est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir »[26]. Cette position tend à suggérer que l’incompétence de l’arbitre serait simplement relative si bien que les parties peuvent y renoncer. Elle génère cependant une difficulté dans la mesure où elle laisse croire que les parties, pourraient, par leur volonté, expresse ou tacite, soumettre tout litige à l’arbitrage alors même que le domaine de l’arbitrage est objectivement limité aux litiges portant sur les droits dont elles ont « la libre disposition »[27]. Or, il ne semble pas déraisonnable de penser que cette condition est substantielle et implique un obstacle impérieux à l’arbitrabilité des litiges ne rentrant pas dans ce domaine. Dès lors, notamment lorsqu’elle est fondée sur une telle cause, l’exception d’incompétence de l’arbitre devrait être assimilée à une question de fond, invocable en tout état de cause. D’ailleurs en prévoyant comme cause d’annulation d’une sentence arbitrale sa contrariété « à l’ordre public international »[28] l’Acte uniforme admet probablement l’idée que l’incompétence de l’arbitre peut même être invoquée après le prononcé ce la sentence et sanctionnée par l’annulation de sa sentence.

En fonction des hypothèses donc, l’exception d’incompétence de l’arbitre pourrait prendre la nature d’une exception de procédure ou d’une question de fond. Bref, elle serait d’une nature mixte. C’est certainement ce caractère mixte que prend en compte le droit de l’OHADA lorsqu’il prévoit que « le tribunal arbitral peut statuer sur sa propre compétence dans la sentence au fond ou dans une sentence partielle sujette au recours en annulation »[29]. Il reçoit certainement ainsi la formule proposée à l’article 16, alinéa 3 de la loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international qui indique que le tribunal arbitral peut statuer sur l’exception d’incompétence soulevée devant lui « soit en la traitant comme une question préalable, soit dans sa sentence sur le fond ». 

Il ne s’agirait cependant pas d’une option totalement libre. Si la doctrine constate que sont moins fréquents les cas où « le tribunal arbitral combine sa décision en matière de compétence avec une sentence au fond »[30], elle explique surtout cela par le souci d’efficacité qui pousse le tribunal arbitral à faire preuve de « diligence »[31]. Cependant, invoquant le régime de l’arbitrage international, la CCJA juge que Cette diligence est particulièrement exigée lorsque l’exception d’incompétence est tirée de l’ordre public économique comme en l’espèce ou étaient concernés les ordres publics économiques, national béninois et communautaire UEMOA. La CCJA avait en effet annulé la sentence partielle parce que celle-ci différait à une phase ultérieure l’examen de telles exceptions d’incompétence qui pourtant, selon elle, constituent des questions préalables qu’il faut régler « toute affaire cessante ». Ainsi, le traitement de l’exception d’incompétence tirée du motif de l’ordre public international doit, malgré l’option conférée par l’article 11 AUA N° Lexbase : A0091YTK, être traitée sans différé, c’est-à-dire comme une question préalable.

*

Si de manière générale le message de rigueur qu’a voulu passer la CCJA est compris, il reste qu’il a pu être brouillé par quelques motifs surabondants et perturbateurs. La rigueur qui caractérise l’office de la CCJA ne commande-t-elle pas aussi de limiter la motivation à ce qui est justement nécessaire ? En l’espèce, il s’agissait précisément de comprendre d’une part que lorsqu’une formalité n’est pas exigée par le règlement de procédure de la CCJA, elle ne peut impacter la recevabilité d’un recours ; et, d’autre part que si les parties ont convenu d’une clause d’arbitrage, c’est le tribunal arbitral qui doit en principe apprécier sa propre compétence et, le cas échéant, vider sans délai l’exception de son incompétence lorsque celle-ci est tirée d’un motif d’ordre public.

 

[1] Azzali, S., « Avant-propos » in Francarbi, (dir.), L'arbitre international et l'urgence, 1ère édition, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 12.

[2] Art. 13, al. 4, AUA révisé N° Lexbase : A0091YTK.

[3] CCJA, n°47/2015 du 27 avril 2015, Liquidation société Cim Sahel Energie S.A c./ Société « les Ciments du Sahel dite CDS S.A. N° Lexbase : A6565WRL : « Attendu que la décision de résiliation ne saurait être considérée comme une mesure conservatoire ou provisoire ».

[4] CCJA, 24 février 2022, n° 043/2022, Aff.,  Société KPMG RDC / Eve Kim Lutondo Mahieu N° Lexbase : A45417W4

[5] CCJA, 26 décembre 2002, n° 21/2002, Société Mobil Oil Côte d’Ivoire c/ Soumahoro Mamadou, Recueil de jurisprudence de jurisprudence, numéro spécial, janvier 2003, p. 65, Ohadata J-03-12 ; CCJA, 22 octobre 2020, n° 309/2020, aff. Madame Ngu Aza Otay c./ Société Ecobank Cameroun SA, N° Lexbase : A49704IW

[6] CCJA, 17 juillet 2008, n° 043/2008,  aff. Mutuelle d’Assurances des Taxis Compteurs d’Abidjan dite MATCA N° Lexbase : N6622BZB.

[7] Cf. not. Art. 46 Règlement de procédure CCJA.

[8] CCJA, 31 janvier 2011, n° 01/2011, Aff. Société Sénégalaise de Matériel Electrique et de Téléphone dite Senematel S.A  et autres.

[9] Idem.

[10] Cour Suprême de Côte d’Ivoire, Chambre judiciaire, Formation civile et commerciale, 11 février 2010, arrêt n° 64, Aff. A. c/ D.- Le Juris-Ohada n° 2 / 2011, avril – juin 2011, p. 18 : « qu'il ressort de l'analyse de ces deux clauses contractuelles faisant de A emprunteur et débiteur que celles-ci sont claires, de sorte qu'aucune interprétation ne s'imposait ».

[11] Lorsque le texte est clair, le juge ne doit pas l’interpréter, mais l’appliquer purement et simplement. Encore faut-il que ce texte de loi ne soit pas totalement absurde ! Ainsi, les tribunaux ont eu à interpréter un décret qui interdisait aux voyageurs de monter ou de descendre « lorsque le train est complètement arrêté ». Le texte était clair mais le tribunal de la Seine a précisé : « attendu que toute recherche de volonté du législateur par voie d'interprétation est interdite au juge, lorsque le sens de la loi, tel qu'il résulte de sa rédaction, n'est ni obscur, ni ambigu, et doit par conséquent être tenu pour certain ; qu'il n'y aurait exception que si l'application du texte aboutissait à quelque absurdité » (24 avril 1952, J.C.P. 1952-II-7108)

[12] Cour suprême du Cameroun, 5 mars 1992, n° 52/CC, aff. SCI Ngankeu C. SCI du Centrejuridis info, n° 14, p. 56. 

[13] Art. 13, al. 4 in fine AUA N° Lexbase : A0091YTK

[14] CCJA, 29 juin 2023, n° 152/2023, La Société Canalbox Bénin SA c./ L’Etat du Bénin et La Caisse Autonome d’Amortissement dite CAA, N° Lexbase : A15992EX ; Revue Lexbase Afrique OHADA, n° 72, mars 2024, note F. Diop, N° Lexbase : A15992EX

[15] CCJA, 27 avril 2015, n° 47/2015, Liquidation société Cim Sahel Energie S.A c./ Société « les Ciments du Sahel dite CDS S.A

[16] Art. 13, al. 2, AUA N° Lexbase : A0091YTK

[17] CCJA, Arrêt n° 043/2008 du 17 juillet 2008, aff. Monsieur DAM SARR c./ Mutuelle d’Assurances des Taxis Compteurs d’Abidjan dite MATCA.

[18] J-C. Fernández Rozas, Le rôle des juridictions étatiques devant l’arbitrage commercial international : Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, Martinus Nijhoff, 2001, Tome 290, n° 118, p. 201.

[19] CCJA, Arrêt n° 47/2015 du 27 avril 2015, Liquidation société Cim Sahel Energie S.A c./ Société « les Ciments du Sahel dite CDS S.A, N° Lexbase : A6565WRL ; 

[20] CCJA, 29 juin 2023, n° 152/2023, La Société Canalbox Benin SA c./ L’Etat du Bénin et La Caisse Autonome d’Amortissement dite CAA, N° Lexbase : A15992EX ; Revue Lexbase Afrique OHADA, n° 72, mars 2024, note F. Diop, N° Lexbase : A15992EX

[21] J-C. Fernández Rozas, Le rôle des juridictions étatiques devant l’arbitrage commercial international, préc,  n° 39, p. 80.

[22] CCJA, 25 juin 2020, n° 214/2020, aff. Société JTBS SURL C./ Société Orange Centrafrique, N° Lexbase : A856033G

[23] CCJA, 24 avril 2008, n° 020/2008.

[24] CCJA, 29 juin 2023, n° 152/2023N° Lexbase : A15992EX ; Revue Lexbase Afrique OHADA, n° 72, mars 2024, note F. Diop, N° Lexbase : A15992EX

[25] Il pourrait par exemple en être ainsi lorsque l’exception est tirée de ce que la question litigieuse excédant les pouvoirs du tribunal arbitral est soulevée en cours du procès arbitral.

[26] CCJA, 30 mars 2017, n° 060/2017 , Société Camerounaise d’Opérations Maritimes dite Socomar S.A c./ Société Express Transport Khalifa dite Extra Khalifa Sarl N° Lexbase : A1735WLT

[27] Art. 2, al. 1, AUA N° Lexbase : A0091YTK

[29] Art., al 11, al. 3 AUA N° Lexbase : A0091YTK

[30] J-C. Fernández Rozas, Le rôle des juridictions étatiques devant l’arbitrage commercial international, préc, n° 52, p. 96.  

[31] J-C. Fernández Rozas, Le rôle des juridictions étatiques devant l’arbitrage commercial international, préc, n° 53, p. 96.

[Point de vue...] Regards croisés sur le cautionnement et la suspension des poursuites individuelles en droit OHADA des procédures collectives
par Crépin Giresse SIMO KAMGANG, Docteur en droit des affaires

 

            À chaque réforme du droit des procédures collectives, il est d’un intérêt sans cesse renouvelé d’évaluer la situation des sûretés. Le droit des sûretés et le droit des procédures collectives sont deux matières intimement liées[1]. Les sûretés ont pour but en règle générale de prémunir le titulaire contre les risques d’insolvabilité de son débiteur. Or, l’ouverture d’une procédure collective réalise justement le risque contre lequel le créancier a entendu se prémunir[2]. Dès lors, on peut considérer d’une part le droit des procédures collectives comme le laboratoire par excellence de jaugeage de l’efficacité des sûretés[3], d’autre part le droit des sûretés comme un satellite[4] du droit des procédures collectives. L’efficacité d’une sûreté se mesure en grande partie à l’aune de sa résistance face à une procédure collective[5].

            Le professeur CROCQ, parlant de l’intimité et du lien inextricable entre les deux droits pense plutôt que les sûretés sont censées devenir utiles pour le créancier au moment où le débiteur fait l’objet d’une procédure collective[6]. Malheureusement, tel n’est pas toujours le cas. Si prises de manière isolée, les sûretés, de par leur qualité, conditionnent le crédit[7], un des moteurs incontestables de l’économie libérale, associées aux procédures collectives, elles subissent de sérieuses atteintes. C’est plus ou moins, le cas du cautionnement, considéré à juste titre comme l’une des garanties les plus souvent usitées parmi les sûretés personnelles ou réelles

            Véritable institution du droit des sûretés[8], le cautionnement se distingue du dépôt de garantie pourtant couramment nommé « caution » qui représente une somme que le locataire verse au bailleur lors de son entrée dans les lieux, laquelle servira à couvrir les arriérés de loyers ainsi que les dégradations éventuelles constatées lors de la libération des lieux. En effet, au sens où l’entend le droit des sûretés, le cautionnement constitue une garantie, qui vise à renforcer la sécurité[9] du créancier en le protégeant contre l’insolvabilité de son débiteur. Si au quotidien, la plupart des rapports d’obligations s’exécutent instantanément, le débiteur réglant immédiatement sa dette au créancier ; il existe des situations où les contrats déploient leurs effets dans le temps. Le créancier repousse ainsi l’exigibilité de sa créance en accordant à son débiteur un certain temps pour régler sa dette. En d’autres termes, « il lui fait crédit » ; ce qui suppose une certaine confiance dans l’exécution de ladite obligation. Toutefois, cette confiance ne peut être aveugle. En effet, certains créanciers exigent un minimum d’éléments avant d’accorder de telles facilités financières[10], mais surtout d’autres, un peu plus diligents ou conscients de la fragilité du droit de gage général[11], vont réclamer à leurs débiteurs des garanties[12], qui peuvent être soit réelles[13], soit personnelles[14].

            Lorsqu’on tente d’appréhender le cautionnement, on a le sentiment d’avoir entre les mains tous les éléments nécessaires à sa compréhension. Pourtant, on est vite emporté dans un tourbillon de questionnements. En effet, définit, a l’article 13 de l’acte uniforme sur les sûretés comme un contrat par lequel la caution, s’engage envers le créancier à exécuter une obligation présente ou future contractée par le débiteur si celui –ci n’y satisfait lui-même. Le Code civil français en son article 2288 le décrit comme « celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation si le débiteur n’y satisfait pas lui-même », le cautionnement est soumis à de vives critiques. On s’interroge sur son efficacité, on doute de sa souplesse, de son aptitude à offrir la sécurité juridique attendue.

            Le droit des sûretés n’échappe pas aux effets réducteurs de droit commun du droit des procédures collectives. Certains auteurs[15] pensent même, et à juste titre que les premières manifestations du bouleversement et de la déformation des règles de droit commun portaient essentiellement sur le droit de créance, premier visé lorsque la procédure tendait prioritairement à l’apurement du passif. Les nécessités de discipline collective, même lorsque le paiement des créanciers était l’objectif premier poursuivi par le droit des procédures collectives, ont conduit les législations successives[16] à réduire au maximum les prérogatives des créanciers qui, ne pouvant plus obtenir paiement des créances antérieures à l’ouverture, étaient contraints d’interrompre toutes les poursuites contre le débiteur. 

            Classiquement, la suspension des poursuites individuelles est un effet automatique de la décision d’ouverture des procédures collectives et vise à assurer l’égalité entre les créanciers antérieurs à cette décision d’ouverture. En effet, une procédure dite collective ne peut s’accommoder de l’exercice désordonné ou anarchique de poursuites individuelles.

            En effet, l’ouverture d’une procédure collective entraîne les restrictions aux droits des créanciers à travers plusieurs mécanismes systématisés autour de la notion de discipline collective. Le cautionnement vise d’une manière générale à sécuriser l’exécution des obligations en prémunissant contre les risques d’insolvabilité du débiteur. Comme le relève à juste titre le professeur Minkoa She[17] le risque de non-paiement de la créance que la caution a précisément pour objet d’éviter, est plus grand en cas de procédures collectives.

Les changements opérés dans les orientations du droit des procédures collectives, passé d’un droit du paiement à un droit du redressement, ont davantage accentué l’atteinte aux droits des créanciers qu’ils soient chirographaires ou munis de sûretés. Les intérêts et les besoins que le droit des procédures collectives représente et défend font en sorte que le droit privé en général cède face aux impératifs socio-économiques. Ainsi, le moule traditionnel du droit privé, qui met à la disposition des créanciers des moyens de contraindre un débiteur qui vient à ne pas tenir ses engagements, paraît devenir mal adapté[18].

Certes, il faut protéger le créancier, en respectant la parole donnée et ne pas admettre le droit de ne pas payer ses dettes[19]. Mais, il faut aussi sauvegarder les entreprises en difficulté, afin d’éviter les désordres économiques et sociaux qu’entraînerait leur anéantissement. L’importance de cet objectif tient à la prise de conscience de l’impact négatif de la disparition des entreprises, surtout les plus grandes, sur l’économie nationale et africaine. En particulier, les licenciements économiques qu’elles entraînent nuisent au dynamisme de l’économie et aux équilibres macroéconomiques et perturbent notablement la paix sociale[20]. Dès lors, on voit mal comment on pourrait voler à la rescousse des débiteurs malheureux, sans imposer un lourd tribut à leurs créanciers armés pourtant de sûretés. Dans un tel contexte, les défaillances d’entreprises ne sont plus l’affaire des seuls créanciers. Elles intéressent aussi l’État. L’économie nationale ne peut se permettre de tolérer que des outils de production viables soient brisés pour des raisons uniquement juridiques[21].

            Si sous l’empire de l’AUPC originel du 10 avril 1998 N° Lexbase : A9970YS3, les cautions ne bénéficiaient guère des mesures de faveur telles que la suspension des poursuites individuelles octroyées au débiteur, depuis la réforme de l’AUPC intervenue le 10 septembre 2015 N° Lexbase : A0133YT4 la situation en est autre. En effet, l’AUPC révisé N° Lexbase : A0133YT4 élargit aux personnes physiques ayant consenti un cautionnement ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie des mesures de faveur accordée au débiteur principal en difficulté. À cet effet, la question centrale de la présente étude est celle de savoir à quel moment la suspension des poursuites individuelles influence le cautionnement dans les procédures collectives ? Cette interrogation qui ne manque pas d’intérêt remet au goût du jour, la préoccupation de la compatibilité entre la réalisation des sûretés lorsqu’une entreprise est en difficulté.

            L’affaiblissement du cautionnement dans les procédures collectives est avéré. Les créanciers titulaires d’un cautionnement ne peuvent le réaliser parce que les cautions personnes physiques bénéficient des mesures de faveur du débiteur principal, dont la suspension des poursuites individuelles. Cette dernière influence le cautionnement a un double niveau tant dans les procédures préventives (I), que dans les procédures de traitement (II).

I. La suspension des poursuites individuelles des créanciers contre les cautions personnes physiques dans les procédures préventives

            L’ouverture d’une procédure collective entraîne automatiquement, au profit du débiteur principal, la suspension provisoire des poursuites[22]. Toutes les actions diligentées par les créanciers antérieurs et tendant au paiement d’une somme d’argent ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent sont proscrites. La règle, qui concerne tous les créanciers antérieurs et certains créanciers postérieurs dans la mesure où il ne s’agit pas de créanciers privilégiés se justifie par l’égalité des créanciers. Elle vise une meilleure connaissance du passif et devrait faciliter l’élaboration d’un plan de continuation. Il s’agit d’un principe d’ordre public interne et international[23] qui ne concernait, à l’origine, que le débiteur principal[24].

            La suspension des poursuites individuelles des créanciers dans les mesures préventives s’aperçoivent tant dans la procédure de conciliation (A), que dans le Règlement préventif (B).

A. La suspension des poursuites individuelles dans la procédure de conciliation 

            Un bref aperçu de la procédure de conciliation (1) précédera le sens des dispositions qui suspendent les actions des créanciers dans cette procédure (2).

1- breve présentation de la procédure de conciliation 

            La conciliation est définie à l’article 2 de l’AUPC révisé N° Lexbase : A0133YT4 comme « une procédure préventive, consensuelle et confidentielle, destinée à éviter la cessation des paiements de l’entreprise débitrice afin d’effectuer, en tout ou partie, sa restructuration financière ou opérationnelle pour la sauvegarder. Cette restructuration s’effectue, par le biais de négociations privées et de la conclusion d’un accord de conciliation négocié entre le débiteur et ses créanciers ou, au moins ses principaux créanciers, grâce à l’appui d’un tiers neutre, impartial et indépendant dit conciliateur ». Elle vise à trouver un accord amiable entre le débiteur, ses principaux créanciers et cocontractants en vue de mettre fin aux difficultés de l’entreprise. Telle que conçue et organisée par le nouvel AUPC N° Lexbase : A0133YT4, la procédure de conciliation a certainement des mérites, des insuffisances, qui devraient être corrigées, afin de faire de celle-ci un outil efficace et attractif.

            S’agissant de l’ouverture, il est à observer que la conciliation est une procédure volontariste et libérale, puisqu’elle est laissée à la seule initiative du débiteur[25]. D’après l’article 5-2 de l’AUPC N° Lexbase : A0133YT4 révisé, le président de la juridiction compétente est saisi par une requête du débiteur. C’est vrai, que la même disposition donne la possibilité aux créanciers, par une requête conjointe de se joindre au débiteur pour saisir le président de la juridiction compétente. Mais, tout laisse penser que l’initiative officielle de la saisine viendrait toujours du débiteur. Une place importante est laissée à l’autonomie de la volonté du débiteur. 

            S’agissant du déroulement de la conciliation, on note que celui-ci reste à la maîtrise du débiteur et se caractérise par son aspect confidentiel et contractuel. En effet, l’ouverture de la conciliation n’affecte pas les droits du débiteur. En ce sens, ce dernier reste totalement maître de la gestion de ses affaires. Le conciliateur ne s’immisce guère dans la gestion de l’entreprise. Il a juste pour mission de favoriser la conclusion d’un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise. Tout au plus, il peut faire des propositions se rapportant à la sauvegarde de l’entreprise et à l’apurement du passif. Étant donné que la conciliation n’est pas une procédure imposée, mais choisie, il est prévu (article 5-8 de l’AUPC révisé N° Lexbase : A0133YT4) que le débiteur peut demander au président de la juridiction compétente à ce qu’il soit mis fin. Cela manifeste une fois de plus la maîtrise du débiteur sur le déroulement de la procédure.

            S’agissant de l’issue de la conciliation, seule, celle heureuse, qui donne lieu à la signature d’un accord entre le débiteur et ses principaux créanciers, le cas échéant ses cocontractants habituels va retenir l’attention. Ce qui est remarquable avec l’AUPC révisé N° Lexbase : A0133YT4 est la préservation du caractère contractuel et confidentiel de la procédure de conciliation de l’ouverture à son dénouement. Ces vertus préservent indéniablement le crédit de l’entreprise et la confiance des créanciers et cocontractants. L’accord ayant une nature contractuelle, rien n’empêche d’en rester là sans autre formalité judiciaire. L’accord n’a pas besoin, comme c’est le cas en droit français d’être constaté par le président du tribunal.

2-Une forme particulière de suspension des poursuites individuelles prévue par les articles 5-7 et 5-12 de l’AUPC révisé

            Le souci de préserver la crédibilité de l’entreprise aux yeux de ses partenaires a poussé le législateur de l’AUPC N° Lexbase : A0133YT4 à ne pas soumettre à la publicité, les informations échangées lors des négociations entre les protagonistes. Elle s’inscrit dans le cadre des procédures de « prévention-traitement » des difficultés des entreprises[26]. Elle vise donc à rendre la prévention amiable des difficultés des entreprises plus efficace et attractive, par conséquent elle fragilise le cautionnement.

            Le cautionnement est manifestement affaibli dans la procédure de conciliation OHADA par le fait qu’il est prévu à l’article 5-12 de l’AUPC révisé N° Lexbase : A0133YT4 que les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie et les coobligés peuvent se prévaloir des dispositions de l’accord conclu entre le débiteur et les créanciers. Le dernier alinéa de l’article 5-12 de l’AUPC N° Lexbase : A0133YT4 révisé dispose que « Les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie et les coobligés peuvent se prévaloir des dispositions de l’accord ». Cette disposition s’inscrit non seulement dans la logique de l’incitation au recours à la procédure de conciliation, mais aussi de la facilitation de l’exécution de l’accord amiable conclu. 

            Dans le sens de la stimulation de la recherche de l’accord de conciliation, une forme particulière de suspension des poursuites a été prévue à l’article 5-7 de l’AUPC révisé [27] N° Lexbase : A0133YT4. Cette dernière est applicable à tous les créanciers titulaires de sûretés ou non.

            La suspension des poursuites individuelles consacrée par les articles 5-7 et 5-12 de l’AUPC N° Lexbase : A0133YT4 n’est pas un effet automatique de la décision d’ouverture de la conciliation. Elle intervient postérieurement à cette décision d’ouverture. L’article 5-7 ne consacre d’ailleurs pas une suspension généralisée, mais ciblée des poursuites individuelles. Il dispose en effet : « Si le débiteur est mis en demeure ou poursuivi par un créancier appelé à la conciliation pendant la période de recherche de l’accord… le président du tribunal peut, à la demande du débiteur, et après avis du conciliateur, reporter le paiement des sommes dues et ordonner la suspension des poursuites engagées par un créancier ». Ces mesures prennent fin de plein droit lorsque la conciliation prend fin et, en tout état de cause, à l’expiration du délai prévu à l’article 5-3, alinéa 1er, ci-dessus. L’ordonnance du Président du tribunal prononçant ces mesures est déposée au greffe et ne fait l’objet d’aucune publicité. Elle est communiquée au créancier concerné, sans délai, et elle rappelle l’obligation de confidentialité à laquelle celui-ci est tenu ». 

            De plus L’article 5-12 quant à lui consacre une suspension générale des poursuites individuelles non pas à compter de la décision d’ouverture, mais à compter de l’accord de conciliation en ces termes : « Pendant la durée de son exécution, l’accord interrompt ou interdit toute action en justice et arrête ou interdit toute poursuite individuelle, tant sur les meubles que les immeubles du débiteur, dans le but d’obtenir le paiement des créances qui en font l’objet ».

            À rebours de ces analyses, l’idée centrale qui fonde ce traitement de faveur des garants de la dette autrui, parmi lesquels les cautions est d’encourager le chef d’entreprise à être diligent, à avoir recours très tôt à la procédure de conciliation à tout le moins, faire en sorte que sa fréquente qualité de caution des dettes de son entreprise ne l’en dissuade pas en lui faisant craindre que ses créanciers agissent alors immédiatement contre lui en paiement[28]. ». Cette disposition s’inscrit non seulement dans la logique de l’incitation au recours à la procédure de conciliation, mais aussi de la facilitation de l’exécution de l’accord amiable conclu. Les éventuelles poursuites intentées par les créanciers ou les garants de la dette autrui contre le débiteur auraient pour effet de rendre l’exécution de l’accord impossible.

            Qui de la suspension des poursuites dans le règlement préventif ?

B- La suspension des poursuites individuelles dans la procédure de règlement préventif 

            Le droit uniforme africain a opté, dans le cadre de la prévention des difficultés du débiteur principal, pour la procédure du règlement préventif. Procédure originale, inspirée du droit français antérieur, mais plus proche du droit libanais[29], le règlement préventif, aux termes de l’article 2 - 1, AUPC N° Lexbase : A0133YT4, « est une procédure destinée à éviter la cessation des paiements ou la cessation d’activité d’une entreprise et à permettre l’apurement de son passif au moyen d’un concordat préventif ». Cette procédure a des incidences sur la situation de la caution en raison des exigences relatives à son champ d’application, à la situation difficile du débiteur, ce dernier étant seul autorisé à la déclencher, mais aussi surtout à la nécessité de proposer un concordat sérieux. Cependant, parce que la caution ne peut se prévaloir des mesures concordataires, la conclusion du concordat préventif peut aggraver dans une large mesure son engagement. Or, la discrimination du champ d’application de la procédure préventive issue de l’acte uniforme, quant aux personnes, est un signe traduisant la subsistance implicite des pactes amiables fondés sur le droit commun des contrats.

            Pour permettre le maintien de l’activité d’une entreprise faisant l’objet d’une procédure collective, il faut inciter les acteurs de la vie économique à traiter avec elle et à lui fournir du crédit. C’est la raison pour laquelle les créanciers qui acceptent de financer la poursuite d’activité après le jugement d’ouverture de la procédure bénéficient d’un traitement de faveur par rapport aux créanciers dont les droits sont nés avant ce jugement. Cette restriction des droits individuels des créanciers antérieurs au jugement d’ouverture se traduit donc entre autres par la suspension des poursuites individuelles.

            Pour inciter les chefs des entreprises individuelles et autres dirigeants des sociétés commerciales cautions des dettes de celles-ci à saisir rapidement la juridiction compétente aux fins d’ouverture d’un règlement préventif. L’AUPC révisé N° Lexbase : A0133YT4 étend aux cautions personnes physiques aussi bien la suspension des poursuites individuelles de l’article 9 (1), que des dispositions du concordat préventif de l’article 18 (2).

1- l’extension aux cautions personnes physiques de la suspension des poursuites individuelles de l’article 9 de l’AUPC révisé

            Le domaine de la suspension des poursuites individuelles est très étendu. D’après l’article 9 du nouvel acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif : « La décision d’ouverture du règlement préventif suspend ou interdit toutes les poursuites individuelles tendant à obtenir le paiement des créances nées antérieurement à ladite décision pour une durée maximale de trois (03) mois, qui peut être prorogée d’un (01) mois dans les conditions prévues à l’article 13, alinéa 2, sans préjudice de l’application de l’article 14 alinéa 3 ci-dessous ».

            La suspension des poursuites a pour fondement de préserver le caractère collectif de traitement des difficultés des entreprises et d’éviter que le paiement ne soit « le prix de la course » c’est-à-dire que les créanciers les plus diligents peuvent obtenir le paiement au détriment des autres[30]. En outre, elle protège l’entreprise contre les initiatives individuelles qui pourraient faire échec aux tentatives de redressement enfin, en gelant le passif de l’entreprise pendant toute la période d’observation, elle permet de conserver les actifs nécessaires à son redressement. 

            Les personnes concernées sont tous les créanciers antérieurs, chirographaires ou titulaires d’une sûreté spéciale ou d’un privilège général, sauf les salariés qui sont soumis à un régime particulier. Quant aux poursuites arrêtées ou suspendues, il s’agit de celles dirigées contre le débiteur et tendant à la reconnaissance d’un droit ou d’un paiement d’une créance ou à la reconnaissance d’un droit ou d’un paiement d’une créance ou à l’exercice d’une voie d’exécution, c’est-à-dire des actes susceptibles de porter atteinte aux actifs du débiteur à savoir les actes et décisions judiciaires translatifs ou constitutifs de droits réels ou de droits de créances.

            D’autre part, l’article 9 poursuit en disant que « La suspension des poursuites individuelles concerne aussi bien les voies d’exécution que les mesures conservatoires, y compris toute mesure d’exécution extrajudiciaire. Elle s’applique à toutes les créances chirographaires et à celles garanties par un privilège général, un privilège mobilier spécial, un gage, un nantissement ou une hypothèque, à l’exception des créances de salaires et d’aliments. Elle ne s’applique pas aux actions tendant à la reconnaissance des droits ou des créances contestées ni aux actions cambiaires dirigées contre les signataires d’effets de commerce autres que le bénéficiaire de la suspension des poursuites individuelles ». En revanche, les actions en nullité ou en résolution ne sont pas suspendues. De même, les actions tendant uniquement à la reconnaissance des droits ou de créances contestées ou à en fixer le montant sont exercées ou reprises, de plein droit, par les créanciers après production si ces droits et créances ont été rejetés définitivement ou admis provisoirement par le juge-commissaire.

            En ce qui concerne les mesures de faveurs étendues aux cautions personnes physiques, le texte en son article 9 est clair. En effet, le texte dispose « Les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent se prévaloir des dispositions du présent article ». Par cette disposition, le législateur OHADA a voulu inciter les personnes physiques qui se portent caution des engagements des sociétés qu’elles dirigent à se mettre rapidement sous la protection de la justice, sans avoir à craindre une action des créanciers sociaux impayés sur leurs biens personnels. Rappelons que le règlement préventif est une procédure souple et attractive, elle se présente davantage comme une faveur pour le débiteur qu’une sanction. Malgré cela, le créancier bénéficiaire de la garantie peut prendre des mesures conservatoires. À cette fin, il doit engager une instance au fond dans le mois qui suit l’exécution de la mesure. L’instance demeure toutefois suspendue jusqu’au jugement qui arrête le concordat préventif. À ce terme, le tribunal peut encore accorder à la caution des délais ou un différé de paiement dans la limite de deux ans. Soulignons que la loi ne distingue pas : toutes les cautions personnes physiques, personnelles ou réelles, simples ou solidaires, bénéficient de ce régime protecteur. Seules les cautions personnes physiques sont visées. Il en va différemment dans le cadre de la procédure de conciliation où les cautions personnes morales (banques, établissements de crédit) sont aussi concernées. 

            En somme, il y a lieu de considérer que non seulement le jugement d’ouverture a pour effet de suspendre les actions déjà engagées par le créancier contre la caution, mais aussi d’empêcher l’introduction de nouvelles poursuites contre celle-ci jusqu’au jugement de la clôture de la procédure.

2- L’extension aux cautions personnes physiques des dispositions du concordat préventif de l’article 18 de l’AUPC révisé

            Le concordat préventif est une mesure protectrice qui permet à tout commerçant ou société commerciale rencontrant des difficultés financières de conclure un accord avec ses créanciers et d’éviter ainsi la mise en faillite. Le législateur OHADA de 2015 a procédé à l’extension aux cautions personnes physiques des dispositions du concordat préventif. 

            Aux termes des dispositions de l’article 18 de l’AUPC révisé N° Lexbase : A0133YT4, le concordat homologué est obligatoire pour tous les créanciers antérieurs au jugement. Il s’impose aux créanciers antérieurs dans la limite des délais et remises accordés par les uns et les autres. En effet, cet article dispose : « L’homologation du concordat préventif rend celui-ci obligatoire pour tous les créanciers antérieurs à la décision d’ouverture du règlement préventif que leurs créances soient chirographaires ou garanties par une sûreté dans les conditions de délais et de remises qu’ils ont consenties au débiteur sans préjudice des dispositions de l’article 15 ci-dessus ». L’homologation du concordat rend celui-ci également obligatoire pour les personnes coobligées ou qui ont consenti une sûreté personnelle ou affecté ou cédé un bien en garantie lorsqu’elles ont acquitté des dettes du débiteur nées antérieurement à cette décision… 

            À l’exception des personnes physiques, les coobligés ou les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou affectée ou cédé un bien en garantie ne peuvent se prévaloir des délais et remises du concordat préventif…». 

            Les dispositions qui précèdent imposent un double traitement aux cautions. Premièrement, les cautions ayant acquitté les dettes du débiteur nées antérieurement à la décision homologation sont tenues de respecter les dispositions du concordat préventif. Elles subissent le même sort que tous les créanciers antérieurs. La suspension des poursuites individuelles leur est applicable. 

.           Deuxièmement, les cautions personnes physiques, pour des raisons déjà évoquées peuvent se prévaloir des délais et des remises du concordat préventif. De par cette innovation introduite en droit OHADA, l’on se rend compte que le cautionnement est affaibli. Non seulement, il ne peut être réalisé pendant que la procédure collective est en cours, mais aussi, la créance du créancier est atteinte dans sa substance, parce qu’elle est diminuée. 

            Au vu de ce qui précède, nous constatons que la suspension des poursuites individuelle dans la procédure de règlement préventif est une réalité. La volonté législative d’augmenter les chances de redressement de l’entreprise en encourageant le dirigeant social à être diligent et proactif est perceptible. Les procédures collectives d’apurement du passif ne peuvent être couronnées de succès que si elles sont ouvertes le plus tôt possible dès la survenance des premières difficultés de l’entreprise. Un dirigeant social garant des dettes de son entreprise sera dissuadé de saisir rapidement le juge aux fins d’ouverture d’un règlement préventif avant que sa situation ne soit irrémédiablement compromise lorsqu’il sait qu’il sera immédiatement poursuivi en paiement par les créanciers à l’ouverture de la procédure collective.

II- La suspension des poursuites individuelles dans les procédures de traitement 

            De manière générale, on entend par procédures de traitement l’ensemble des procédures intervenant lorsque l’entreprise est en état de cessation des paiements qui, au terme de l’article 1-3 de l’AUPC N° Lexbase : A0133YT4 révisé est l’état où le débiteur se trouve dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, à l’exclusion des situations où les réserves de crédit ou les délais de paiement dont le débiteur bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face à son passif exigible. La déclaration de cet état de cessation est non seulement un acte de sauvegarde de l’entreprise pour éviter qu’elle ne continue à creuser son passif, mais aussi une obligation légale qui expose le dirigeant a des sanctions[31]. L’AUPC révisé N° Lexbase : A0133YT4 a conservé les deux procédures curatives que sont respectivement le redressement judiciaire et la liquidation des biens.

            La décision de suspension des poursuites individuelles tire sa base légale de l’article 8 AUPC N° Lexbase : A0133YT4 qui dispose : « Dès le dépôt de la proposition du concordat, celle-ci est transmise, sans délai, au Président de la juridiction compétente qui rend une décision de suspension des poursuites individuelles ». À compter de la décision de suspension des poursuites individuelles, les droits des créanciers envers le débiteur connaissent provisoirement des restrictions. Il en va ainsi de toute procédure de recouvrement par injonction d’une créance certaine, liquide et exigible à l’encontre du débiteur, prévu à l’article 2 de l’Acte uniforme. Portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution. 

            Nous présenterons donc le contenu de la règle de la suspension des poursuites individuelles (A), et ses implications (B).

A. Le contenu de la règle de la suspension des poursuites individuelles

            La suspension des poursuites individuelles est une règle classique du droit des procédures collectives que l’AUPC révisé N° Lexbase : A0133YT4 ne pouvait que maintenir. Selon l’article 75-1 de l’AUPC révisé N° Lexbase : A0133YT4, « La décision d’ouverture du redressement judiciaire suspend toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie à compter dudit jugement et durant 1'exécution du concordat de redressement judiciaire. Toutefois, les créanciers bénéficiant de ces garanties peuvent prendre des mesures conservatoires ». 

            Pour mieux appréhender cette disposition, il est judicieux de présenter d’abord l’énoncé de la règle (1), ensuite les justifications enfin son domaine (2)

1- L’énoncé de la règle de la suspension des poursuites individuelles 

            La suspension des poursuites individuelles est une mesure d’ordre public, à laquelle aucun acteur de la procédure collective ne peut déroger. Avec l’AUPC du 10 septembre 2015 N° Lexbase : A0133YT4, on semble être passé de la suspension à l’arrêt des poursuites individuelles. Inspirant de la loi française de sauvegarde des entreprises, le législateur OHADA du 10 septembre 2015 réécrit l’article 75 [32] de l’AUPC N° Lexbase : A0133YT4, en posant que « La décision d’ouverture du redressement judiciaire ou de liquidation des biens interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers composant la masse, qui tend : 

1° à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ; 

2° à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent. La décision d’ouverture arrête ou interdit également toute procédure d’exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n’ayant pas produit un effet attributif avant la décision d’ouverture [] ».

            À l’image de l’ancienne rédaction, la suspension des poursuites individuelles, telle que réécrite, apparaît comme un corollaire de la constitution des créanciers en une masse. Elle constitue un effet traditionnel du jugement ouvrant la procédure collective et est fondée sur l’égalité des créanciers. La volonté des auteurs de l’AUPC N° Lexbase : A0133YT4 est de soumettre l’ensemble des créanciers antérieurs aux mêmes règles. Mais, aujourd’hui, le souci est d’abord de protéger l’entreprise, en lui procurant un répit nécessaire pour son redressement.

             Les actions isolées des créanciers, bien que titulaires de causes de préférence, agissant en rang dispersé pourraient compromettre le redressement de l’entreprise. Ce choix est raisonnable, car, comme le relève à juste titre, le professeur GUYON[33], le démantèlement de l’entreprise serait irréversible tandis que, au contraire, les créanciers peuvent généralement subir un report d’échéance, sans qu’il en résulte pour eux un dommage irrémédiable. 

            La nouvelle rédaction de l’article 75 telle qu’issue du nouvel AUPC N° Lexbase : A0133YT4, qui préfère les expressions « d’interruption » et « d’interdiction » des poursuites individuelles paraît répondre à la volonté nouvelle du législateur OHADA de permettre au débiteur de reconstituer sa trésorerie pendant la période de continuation de l’activité en vue de son sauvetage

            La règle de l’arrêt des actions en justice vise explicitement d’abord « les poursuites individuelles tendant à faire reconnaître des droits et des créances ». La forme choisie par le créancier pour faire reconnaître ses droits ou obtenir paiement est sans importance. Ainsi, seront arrêtées, non seulement, les actions au fond, notamment, l’injonction de payer[34], mais aussi toutes les actions en référé[35]. De la même façon, l’objet de l’action importe peu dès lors qu’il s’agit d’obtenir le paiement d’une créance ou de reconnaître des droits en relation avec une créance. 

            À cet égard, seront également suspendues, les actions en répétition de l’indu[36], ou en dommages-intérêts [37]ou, enfin, d’une caution. La jurisprudence française a étendu la règle de suspension des actions à l’inexécution d’une obligation de faire, car les actions tendant à l’exécution d’une obligation de faire, en cas d’inexécution, se résolvent, aux termes de l’article 1142 du Code civil, en la condamnation du débiteur au paiement des dommages et intérêts[38]. Ces solutions peuvent, par utilité, être transposées en droit uniforme. Il s’ensuit que les engagements de faire cautionner, pris par le débiteur dans le concordat préventif, non exécutés, seront passibles d’une telle sanction. Mais l’action ne pourra point être intentée à ce moment précis de la procédure qui fige les droits des créanciers et de la caution. Quant aux actions en nullité ou en résolution, elles sont écartées du champ d’application de la règle d’interdiction des poursuites ; mais les actions relatives aux voies d’exécution sont interdites. 

                        Quid de ses justifications ?

2- les justifications et le domaine de la règle de la suspension des poursuites individuelles

            Il ressort de l’examen du contenu de l’article 75 de l’AUPC N° Lexbase : A0133YT4 que les actions en justice et les voies d’exécution[39] sont visées par la règle de la suspension des poursuites individuelles.

            La règle vise toutes les poursuites en cours et les demandes nouvelles. Même sous l’empire de l’AUPC du 10 avril 1998 N° Lexbase : A9970YS3, l’usage des verbes « suspendre » et « interdire » à l’article 75 traduisait déjà l’idée selon laquelle, la règle de la suspension des poursuites individuelles concerne les poursuites en cours (suspendre) et les demandes nouvelles (interdire). En effet, sont précisément visées par l’article 75 révisé : les actions en justice tendant au paiement d’une somme d’argent et celles visant à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent. 

            S’agissant des actions en justice[40] tendant au paiement d’une somme d’argent, on peut noter que toutes les demandes en paiement introduites par voie principale ou reconventionnelle sont concernées. Si les créanciers, ont introduit avant le jugement d’ouverture, des demandes, qui n’ont pas encore produit leur effet définitif, ils se trouveront dans l’obligation de les suspendre. Les affaires en cours qui n’ont pas encore fait l’‟objet d’une décision définitive seront interrompues. 

            La règle s’applique par exemple, aux jugements faisant l’objet de l’appel, parce que n’ayant pas encore acquis force de chose jugée[41]. Même devant la Cour de cassation, il avait été admis que la règle de la suspension des poursuites pouvait être soulevée[42]. Pour ce qui est des actions nouvelles, la règle empêche les créanciers de les intenter contre le débiteur sous redressement judiciaire ou liquidation des biens. Toutes les initiatives des créanciers antérieurs tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent sont interdites dès le jugement d’ouverture. Il est bien précisé que l’action en justice doit tendre au paiement d’une somme d’argent. Autrement dit, les actions en justice qui ne tendent pas à cette fin seraient dès lors exclues du champ de la suspension des poursuites de l’article 75 de l’AUPC N° Lexbase : A0133YT4

            De ce qui précède, on peut bien s’interroger sur le cas des actions tendant à la condamnation du débiteur à l’exécution d’une prestation en nature, pour défaut d’exécution d’une obligation de faire. Doit-on entendre la notion de paiement au sens large[43], comme celle impliquant les obligations de sommes d’argent et de faire ? Face à un tel questionnement, il est préférable de retenir que l’article 75 de l’AUPC N° Lexbase : A0133YT4, que ce soit la rédaction issue du 10 avril 1998 ou celle du 10 septembre 2015, n’exclut de son champ d’application que les actions en justice qui sont fondées sur le non-respect d’une obligation de faire, à condition que celles-ci n’aient pas indirectement pour objet de condamner le débiteur au paiement d’une somme d’argent. 

            En droit OHADA, il est souhaitable que le juge ait une approche large de la demande en paiement. En ce sens, l’arrêt des poursuites s’étendra à des actions qui ne tendent pas directement au paiement d’une somme d’argent, mais qui ont une incidence financière. 

            S’agissant des actions en justice tendant à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent, on peut d’ores et déjà se féliciter de la réécriture de l’article 75. Il résulte, en effet de la nouvelle rédaction de l’article 75 de l’AUPC révisé N° Lexbase : A0133YT4 que les actions en justice tendant à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent sont interrompues et interdites. Ainsi, si l’action en résolution a été introduite avant le jugement d’ouverture, elle ne peut être poursuivie. Seule une clause résolutoire acquise en raison du principe général des « droits acquis » avant le jugement d’ouverture ou une résolution judiciaire définitive échappe à la suspension des poursuites individuelles. 

            De même, les actions nouvelles tendant à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent ne peuvent être entreprises. Le législateur OHADA, de par cette innovation, s’inspire de son homologue français du 25 janvier 1985. Sous l’empire de la loi française du 13 juillet 1967, texte ayant substantiellement irrigué en grande partie l’AUPC du 10 avril 1998 N° Lexbase : A9970YS3, l’on considérait que la suspension des poursuites individuelles ne s’appliquait pas aux actions résolutoires et en résolution. Le législateur OHADA du 10 avril 1998, sans doute, nostalgique des législations antérieures orientées vers le paiement des créanciers, prohibait à l’alinéa 3 de l’article 75 l’application de la règle de la suspension des poursuites individuelles aux actions en nullité et en résolution. Cette exception, de l’avis du professeur SAWADOGO [44] était justifiée, car l’ouverture de la procédure ne peut empêcher de critiquer les contrats irrégulièrement formés ou simplement inexécutés. Mais, l’on semble oublier que la mise en œuvre de ces actions pourrait aboutir à la reprise par le cocontractant d’un bien indispensable à la poursuite des activités de l’entreprise. 

            À heure où la priorité est accordée à la nécessité du sauvetage de l’entreprise en difficulté, il est loisible de penser que l’innovation introduite au 2° de l’article 75 - nouveau est la bienvenue. Elle répond à la philosophie générale et à la logique de l’exécution des contrats en cours et de la continuation de l’activité. Les contrats, aujourd’hui, sont considérés comme, un bien de l’entreprise, une valeur à protéger, dont le maintien est indispensable au sauvetage des unités économiques défaillantes[45].

 

            Hormis les actions en justice, l’article 75 de l’AUPC révisé N° Lexbase : A0133YT4 vise aussi les voies d’exécution, mieux les procédures d’exécution et de distribution, si l’on s’en tient à la nouvelle terminologie. Outre les poursuites individuelles, le jugement d’ouverture suspend ou interdit l’exercice par les créanciers de toutes les voies d’exécution antérieures tendant à obtenir le paiement de leurs droits et créances. 

            Les voies d’exécution, définies, comme les moyens de droit permettant aux créanciers non payés amiablement de contraindre leur débiteur à s’exécuter, au besoin, en ayant recours à la force publique, et de répartir entre eux les sommes ainsi obtenues sont supplantées[46] par le droit spécial des procédures collectives. Le choc entre les deux droits tourne en faveur du droit des procédures collectives[47].

Quid des implications de l’extension de la suspension des poursuites individuelles aux cautions personnes physiques ? 

B- Les implications de l’extension de la suspension des poursuites individuelles aux cautions personnes physiques

            La règle de l’arrêt des poursuites individuelles et son corollaire qu’est l’interdiction des paiements empêchent la réalisation des sûretés. À compter de la décision d’ouverture de la procédure collective, tous les créanciers antérieurs ne peuvent plus exercer de poursuites individuelles, ni réclamer le paiement de leurs créances, ni effectuer des saisies. L’entreprise a besoin du répit nécessaire pour son redressement. Les actions isolées des créanciers, bien que titulaires de causes de préférence, agissant en rang dispersé pourraient compromettre le redressement de l’entreprise.

            Le législateur OHADA du 10 septembre 2015 a respectivement réécrit les articles 9 et 75 de l’AUPC N° Lexbase : A0133YT4 qui, organisent l’arrêt des poursuites individuelles et des voies d’exécution dans les procédures de règlement préventif et collectives curatives (redressement judiciaire et liquidation des biens). Le champ d’application de l’arrêt des poursuites individuelles et des voies d’exécution a été étendu. L’interdiction des poursuites individuelles de l’article 9 s’applique à toutes les créances chirographaires et à celles garanties par un privilège général, un privilège mobilier spécial, un gage, un nantissement ou une hypothèque, à l’exception des créances de salaires et d’aliments. Elle concerne aussi bien les demandes en paiement des créances antérieures à l’ouverture de la procédure que les voies d’exécution, les mesures conservatoires, y compris toute mesure d’exécution extrajudiciaire. 

            S’agissant des actions en justice et des procédures d’exécution autres que celles qui sont interrompues ou interdites, elles ne peuvent plus être exercées ou poursuivies au cours de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation des biens qu’à l’encontre du débiteur, assisté du syndic en cas de redressement judiciaire ou représenté par le syndic en cas de liquidation des biens. Comme dans le cas du règlement préventifla suspension des poursuites individuelles en cas de redressement judiciaire ou de liquidation des biens ne bénéficie pas seulement au débiteur, mais également aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie à compter du jugement d’ouverture et durant l’exécution du concordat de redressement judiciaire (article 75-1 AUPC) N° Lexbase : A0133YT4.

 

            En définitive, la suspension des poursuites individuelles influence significativement le sort su cautionnement, qui se trouve museler lorsque s’ouvre les différentes procédures de redressement de l’entreprise débitrice. Le cautionnement comme a pu le relever fort pertinemment une doctrine autorisée [48]continue à présenter des charmes tellement attirants que le législateur fait de cette garantie un atout essentiel pour l’atteinte des finalités de service public économique des procédures collectives. La technique de la sûreté est mise au service de l’économie. Dans les différentes procédures tant préventives, que celle de traitement le cautionnement se trouve neutraliser. Cette neutralisation se justifie par des raisons économiques. Le législateur a octroyé aux cautions personnes physiques les mesures de faveur du débiteur principal dont la suspension des poursuites individuelles, l’idée à la base est d’inciter les chefs d’entreprise, les dirigeants sociaux le plus souvent cautions des dettes des structures à la tête desquelles ils sont à saisir le plus rapidement la juridiction compétente aux fins de l’ouverture d’une procédure de sauvetage.

 

[1]Plusieurs auteurs se sont intéressés à l’étude des rapports entre le droit des sûretés et celui des procédures collectives., v. notamment l’auteur de ces lignes, le cautionnement dans l’acte uniforme révisé portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif de l’OHADAThèse, Université de N’Gaoundéré-Cameroun 2022, ; R. Akono Adam, Les privilèges dans les procédures collectives : Réflexions à partir des droits OHADA et français des entreprises en difficultés, Thèse, Université de Ngaoundéré-Cameroun 2017 ; « Le sort des sûretés personnelles dans l’avant projet de réforme de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives du 10 avril 1998 », Rev. dr. banc. et fin n°5, Septembre-Octobre 2015, Etudes 17, pp. 30-35 ; Banque et droit n°164, novembre-décembre 2015, pp. 12-19 ; « Les clairs obscurs du régime de faveur des créances postérieures en droit OHADA des procédures collectives : Réflexions à la lumière du droit français des entreprises en difficulté », RRJ 2014-2, p. 895 ; Penant n°890, Janvier-Mars 2015, p. 71 ; E. Soupgui, Les sûretés conventionnelles à l’épreuve des procédures collectives dans l’espace OHADA, Thèse de doctorat/Ph. d., Université de Yaoundé II- Soa, 2007-2008, 408p. ; « La protection du créancier réservataire contre les difficultés des entreprises dans l’espace juridique OHADA », Penant n° 870, Janvier-Mars 2010, Spécial Procédures collectives, p. 66 ; Rev. proc. coll.  n°5, Septembre 2009, étude 28 ; K. Mawunyo Agbenoto,  Le cautionnement à l’épreuve des procédurescollectives, Thèse en cotutelle, Université Du Maine, Le Mans-France et Université de Lomé-Togo 2008, 454p. ; Levoa Awono (S. P.), « La poursuite de la caution d’une entreprise en difficulté en droit OHADA », Banque et Droit n°144, Juillet-Août 2012, pp. 6-14. 

[2] Le professeur Minkoa She, parlant des liens très forts qu’entretient le droit des sûretés avec le droit des affaires en général et celui des procédures collectives en particulier, relève à juste titre que le risque de non paiement de la créance que la sûreté a précisément pour objet d’éviter, est plus grand en cas de procédures collectives ; v. A. Minkoa She, Droit des Sûretés et des Garanties du crédit dans l’espace OHADA, Les Garanties Réelles, Dianoïa, Diffusion PUF, Tome 2, p. 7.  

[3]En ce sens, P. Simler, P. Delebecque, « Droit des sûretés », Chron., JCP G, n°46, nov. 2005, p. 2104. Le professeur Delebecque avait affirmé lors d’une intervention (« Sûretés réelles et procédures collectives », Droit et Patrimoine op. cit., p. 49) que : « On ne peut parler du régime des sûretés sans évoquer le droit des procédures collectives. C’est même l’ouverture d’une procédure de ce type qui permet d’éprouver l’efficacité de telle ou telle sûreté … ».

[4] P-M. Le Corre, « Les incidences de la réforme du droit des sûretés sur les créanciers confrontés aux procédures collectives », JCP, E, n°6, 08 février 2007, 1185. 

[5] O. Gout, « Les sûretés face aux procédures collectives », JCP N, n°40, octobre 2012, 1339, sp. n°1. 

[6] P. Crocq, « La réforme des procédures collectives et le droit des sûretés », op. cit., p. 1307.  

[7] V. Ces différentes études qui montrent à suffisance, que la vie des entreprises, l‟augmentation des investissements et des échanges commerciaux, des ménages et notamment l‟accès au crédit, reste plus que jamais soumis à la qualité, mieux l‟attractivité du droit des sûretés ; P. Crocq, « Les grandes orientations du projet de réforme de l‟Acte Uniforme portant organisation des sûretés », Droit et Patrimoinen°197, novembre 2010, p. 52 ; Pour le même auteur, « Les sûretés mobilières : état des lieux et prospective », Rev. proc. coll., n° 6, novembre 2009, dossier 18; L. Yondo Black, « L’enjeu économique de la réforme de l‟Acte Uniforme OHADA portant organisation des sûretés : Un atout pour faciliter l‟accès au crédit », Droit et Patrimoine, n°197, novembre 2010, p. 46 ; L-C. Martin, « Sûretés traquées, crédit détraqué », Banque et Droit, op. cit., p. 1133 et s. 4 

[8] La sûreté est une notion assez complexe à définir. Elle a été définie comme étant : « une prérogative superposée aux prérogatives ordinaires du créancier par le contrat, la loi, un jugement ou une démarche conservatoire et qui a pour finalité juridique exclusive de le protéger contre l‟insolvabilité de son débiteur » ;  

[9] P. Simler, P. Delebecque, Les sûretés, la publicité foncièrePrécis Dalloz, 7e éd., octobre 2016, p. 150, n°153. Cet aspect se retrouve dans l‟étymologie du mot sûreté.  

[10] Fiches de paie, crédits en cours, nature et stabilité du contrat de travail… 

[11] L. Aynes, P. Crocq, Droit des sûretés, LGDJ, 10e éd., Sept 2016, p.3. Les articles 2284 et 2285 du Code civil confèrent au créancier un droit sur tout le patrimoine de son débiteur. Ce droit, qualifié de droit de gage général, lui permet de saisir et vendre n’importe quel bien de son débiteur à la condition que sa dette soit exigible, et que le débiteur soit défaillant. Le produit de la vente permettra ainsi le règlement du créancier poursuivant. Ce droit de gage, malgré les apparences, n’accorde au créancier qu’une sécurité relative. En effet, non seulement, le moment venu, il risque d’être confronté à la faiblesse des actifs du débiteur d’une part, mais, d’autre part, il peut subir les concours des autres créanciers de son débiteur. L’efficacité de ce droit de gage est donc plus qu’incertaine.  

[12] F. Macorig-Venier, « L’évolution générale des sûretés réelles depuis 25 ans », Regards critiques sur quelques évolutions du récentes du droit, IFR, tome 1, p. 415 Sur un plan académique, l’on a coutume de distinguer sûreté et garantie. La sûreté étant une notion conceptuelle alors que la garantie est fonctionnelle. La garantie serait un mécanisme opportuniste. Non dirigée originellement vers la couverture de l’insolvabilité du débiteur principal, elle ne joue ce rôle que de façon secondaire. Au sein de la doctrine, d’aucuns concluent à l’inutilité de la distinction alors que certains plaident en faveur d’une notion générique de garantie au sein de laquelle les sûretés seraient un sous ensemble.  

[13] L. Aynes, P. Crocq Droit des sûretés, op. cit., p.4. Les sûretés réelles sont attachées à un ou plusieurs actifs mobiliers ou immobiliers. Elles accordent aux créanciers relativement à leur assiette, droit de préférence, droit de suite en cas de dessaisissement, voire droit exclusif dans les cas de propriété -sûreté.  

[14] Il y aura alors adjonction d‟un débiteur secondaire sur le droit de créance détenu à l‟égard du débiteur principal. Une formule idoine est possible à travers la sûreté réelle consentie sur les biens d‟un tiers : A.P., 2 décembre 2005, n° 03-18210.  

[15] M. H. Monserie, Les contrats dans le redressement et la liquidation judiciaires des entreprises, op.cit, pp. 4-5; F. Macorig-Venier, Les sûretés sans dépossession dans le redressement et la liquidation judiciaires des entreprises, Thèse dacty., Toulouse, 1992, p. 9 et s.  

[16] Sans remonter plus loin dans l‟histoire du droit français de la faillite, il sera cité principalement, la Loi n° 67-563 du 13 juillet 1967, l’Ordonnance n°67-820 du 23 septembre 1967 relative à la suspension provisoire des poursuites ; La Loi n°84-148 du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises ; La Loi n°85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises ; La Loi n°94-475 du 10 juin 1994 réformant les lois du 1er mars 1984 et du 25 janvier 1985 ; La Loi n°2005-845 du 26 juillet 2005 sur la sauvegarde des entreprises ; L’Ordonnance n°2008-1345 du 18 décembre portant réforme du droit des entreprises en difficulté. Toutes ces dispositions ont été codifiées dans le code de commerce ; L‟Ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés et des procédures collectives. En droit OHADA, on a l’AUPC du 10 avril 1998 N° Lexbase : A9970YS3 révisé le 10 septembre 2015 N° Lexbase : A0133YT4 à Grand Bassam (Côte d‟ivoire).  

[17] A. Minkoa She, Droit des Sûretés et des Garanties du crédit dans l’espace OHADA, Les Garanties Réelles, p.7.  

[18] E. Chvika, Droit privé et procédures collectives, Thèse, op. cit., p. 112.  

[19] G. Ripert, « Le droit de ne pas payer ses dettes », D. 1936, chroniques, p. 57. 

[20] Cf. -M. Sawadogo, OHADA, Droit des entreprises en difficultéBruylant Bruxelles, Unida, Juriscope 2002, p. 4, n°5.  

[21] B. Soinne, « Bilan de la loi du 25 janvier sur le redressement et la liquidation judiciaires : Mythes et réalités. Propositions de modification », Rev. proc. coll. 1993, p. 356.  

[22] J. Bissieux, V. Cuisinier, « Les voies d’exécution à l’épreuve des procédures collectives », Procédures, 8

septembre 2008, n°8 ; Ph. Roussel-Galle, « Les retouches apportées aux règles d’interdiction des

poursuites individuelles et de l’arrêt des voies d’exécution », Gazette du Palais 8/10 mars 2009, p. 21.

[23] Article 35 de la loi du 13 juillet 1965, n°67-563

La Cour de cassation a jugé, sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985, qu’un tiers ne pouvait se « prévaloir de

la violation des règles concernant la suspension des poursuites individuelles » : Cass. com. 12 juillet 2004,

n°01-16804 ; S’agissant du débiteur principal, il s’agit d’une fin de non recevoir devant être soulevé d’office

par le juge : cass.com 12 janv. 2010 D 2010, AJ 263, obs A. Lienhard et non pour la caution : Cass. chbre

mixte 16 novembre 2007, Rev. Proc. Coll. Juillet 2008 n°128,

p.51, obs F. Macorig – Venier, JCP E 2008, n° 4, 1432, obs Cabrillac

[25] Le débiteur, personne physique - chef d’entreprise, ou, pour la personne morale, le représentant légal de celle-ci.

[26] Rapp. J-J. Hyest, n°335, p. 100.  

[27] Selon cet article, un créancier appelé à la conciliation pendant la période de recherche de l’accord qui met en demeure ou poursuit le débiteur verra le paiement de ses sommes réclamées, reporté et les poursuites engagées, suspendues par le président du tribunal, à la demande du débiteur, après avis du conciliateur.  

[28] En ce sens, v. P. Crocq, « Des créanciers et des contractants mieux protégés », in Modernisation de l’Acte uniforme sur les procédures collectives, Dossier spécial, Droit et Patrimoine n°253, décembre 2015, 64 ; R. Akono Adam, « Le sort des sûretés personnelles dans l‟avant-projet de réforme de l‟Acte uniforme portant organisation des procédures collectives du 10 avril 1998 », RD bancaire et fin. op. cit., p. 30, le même article a été publié à la Revue Banque et Droit, op. cit., p. 12.  

[29] Le rapprochement avec le droit libanais réside essentiellement dans l‟adoption du concordat préventif par le droit uniforme africain. Dans ce sens, Mc Saade, Le concordat préventif en droit libanais et en droit comparé, thèse, Paris I, 1984 ; A. Martin-Serf, « Réflexions sur la nature contractuelle du concordat », RJ com. 1980, p. 293 et s.; F. Nammour, « Les procédures collectives en droit libanais », Rev. proc. coll., déc. 2007, p. 183 et s. Le code de commerce libanais traite du concordat préventif (article 459) comme le droit OHADA mais ne le définit pas.  

[30] Voir P. Petel, cité par J. Kom, dans son ouvrage op cit.  

[31] Pour une étude complète sur la notion de cessation de paiements voir B. Meuke, « Quelques précisions sur la notion de cessation des paiement », ohadata D-08-13  

[32] Pour une application par les juridictions de l‟espace OHADA de l’article 75 de l’AUPC, v. entre autres, en ligne, Ohadata J-10-219 ; Ohadata J-09-53 ; Ohadata J-07-212 ; Ohadata J-07-229 ; Ohadata J-04-58 ; Ohadata, J-03-55 ; Ohadata J-03-50 ; OHADATA J-08-13.  

[33] Y. Guyon, Droit des affaires, T. 2, Entreprises en difficulté, redressement judiciaire, 9ème édition, Economica, n°1238, cité par J-R. GOMEZ, dans son ouvrage précité, n° 124.  

[34] Cass. com., 19 janv. 1993, RJDA, 1993, n° 558.  

[35] Lorsque l‟existence de l‟obligation n‟est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder au créancier une provision ; Paris, 14 oct. 1987, D. 1988, somm. 146, obs. A. Honorat (A); Versailles, 14e ch., 7 juin 1991, RJDA, 1991, 727 ; Paris, 14e  ch. B, 24 avril 1998, D. 1998, IR, 141 ; Rev. proc. coll. civ. et com., 1999, 118, n° 3, obs. F. Macorig-Venier. 

[36] Cass. soc., 7 mars 1996, Rev. proc. coll. 1997, 43, obs. F. Macorig-Venier.  

[37] Cass. com., 12 fév. 1991, Bull. civ. IV, n° 67; Cass. com., 28 mars 1995, Bull. civ. IV, n° 104; Rev. proc. coll. 1996, 69, n° 1, obs. F. Macorig-Venier ; Cass. com., 29 avril 1996, Bull. civ. IV, n° 173.  

[38] Cass. com., 6 juin 1995, Bull. civ. IV, n° 166; JCP E 1995, I, 513, n° 16, obs. PETEL (P); RTD com. 1996, 336, observations critiques A. Martin-Serf : statuant sur l’engagement pris par une société de se substituer à une caution.  

[39] L’article 75-nouveau parle de procédure civile d’exécution. On espère que l’AUPSRVE du 10 avril 1998 N° Lexbase : A0099YTT  (révisé le 17 octobre 2023, N° Lexbase : A6607134 retiendra cette appellation pour une meilleure cohérence des concepts utilisés en droit OHADA. A titre de rappel, c’est l’ordonnance française n°2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté de 2008 qui a substitué l’expression « procédure d’exécution » à celle de « voie d’exécution » pour se conformer à la terminologie utilisée par la réforme du 9 juillet 1991 sur les procédures civiles d’exécution.  

[40] Pour plus d‟éclaircissements sur la question, v. J.L. vallens, « L‟effet du redressement judiciaire sur les instances en cours », RTD Com., op. cit., n°2.  

[41] V. Cass. com., 28 octobre 2008, D. 2008, AJ, p. 2865, note A. Lienhard ; Cass. com., 3 juillet 2007, RJDA 1/08, n° 59 ; CA Orléans, 25 octobre 2007, RJDA 1/08, n° 60, p. 61 ; aussi, v. Cass. com., 5 mars 1974, D. 1974, jurispr. p. 475, note A. Honorat et F. Derrida.  

[42] V. Cass. com., 27 nov. 1979, Bull. civ. 1979, IV, n°310; D. 1980, jurispr. p. 235, note F. Derrida et P. Julien ; Cass. com., 7 juillet 1980, Bull. civ. 1980, IV, n°285 ; Cass. com., 14 octobre 1981, n°80-10. 386, Bull. civ. 1981, IV, n°359. 

[43] Le paiement est considéré en Droit des obligations comme un mode naturel d‟extinction de toute obligation quelle que soit sa nature, v. F. Terre et autres, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 10ème édition, 2009, p. 1307, n° 1315.  

[44] V. Son ouvrage précité, p. 208, n° 211.  

[45] V. La thèse précitée de M. H. Monserie, 700p. ; P. Roussel Galle, Les contrats en cours dans le redressement et la liquidation judiciaires, Thèse Dijon 1997, 480p. ; Même auteur, « Contrats en cours : la boucle est bouclée », Rev. proc. coll. n°1, janvier 2016, dossier 9.  

[46] V., D. Defrance, Procédures collectives et Voies d’exécution, Mémoire de DEA, 1997-1998, Université du droit et de la santé de Lille 2, p. 8 ; G. J. Kounga, Procédures collectives et voies d’exécution, Mémoire de DEA en Droit des Affaires, Université de Yaoundé II, 2003.  

[47] En ce sens, J-P. Senechal, « Procédures civiles d‟exécution et procédures collectives », LPA, 22 décembre 1999, n° 254, p. 34 ; T. Mastrulo, « Les rapports de saisie immobilière et du droit des procédures collectives depuis l‟ordonnance du 18 décembre 2008 et le décret du 12-02-2009 », Rev. proc. coll. n° 2, mars 2010, Etude 7.  

[48] C. Saint-Alary-Houin, « Les privilèges de procédure », op. cit., p. 70, n°1.  

/
La revue OHADA

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.