Lexbase Droit privé n°428 du 17 février 2011 : Procédure civile
[Evénement] La médiation : la justice autrement ?

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Le 18-02-2011

[Evénement] La médiation : la justice autrement ? - par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

Dans son Vocabulaire juridique, le Doyen Cornu définit la médiation comme un "mode de solution des conflits consistant, pour la personne choisie par les antagonistes, à proposer à ceux-ci un projet de solution, sans se borner à s'efforcer de les rapprocher, à la différence de la conciliation, mais sans être investie du pouvoir de le leur imposer comme décision juridictionnelle, à la différence de l'arbitrage et de la juridiction étatique". Si la médiation judiciaire a fait son entrée en droit français en 1995, avec la loi n° 95-125 du 8 février 1995, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative (N° Lexbase : L1139ATD) et le décret n° 96-652 du 22 juillet 1996, relatif à la conciliation et à la médiation judiciaires (N° Lexbase : L0210IHA), ces deux textes étant codifiés aux articles 131-1 (N° Lexbase : L1435H4W) et suivants du Code de procédure civile, le processus de médiation conventionnelle existe en France depuis le début des années 1980. Très en vogue, la médiation déroute et fascine les juristes, parce qu'elle est un mode de régulation souple et psychologique, loin de l'adage dura lex sed lex et du syllogisme judiciaire.
Le 3 février 2010, la Faculté de droit de Paris Est consacrait une journée aux formes de la médiation en matières pénale, civile et commerciale, sous le regard de juristes, de philosophes et de sociologues, universitaires et praticiens (magistrats, avocats, médiateurs, experts), dans le cadre d'un colloque intitulé "La médiation : la justice autrement ?".

Alors que tous s'accordent à reconnaître les vertus de ce mode alternatif de règlement des litiges, et malgré un discours politique très fort sur le sujet, la médiation judiciaire ne connaît qu'un succès que très limité en France. C'est sur cette problématique que certains magistrats et avocats ont été réunis autour d'une table ronde pour répondre à la question "pourquoi et comment institutionnaliser la médiation en matière civile ?".

Elizabeth Menesguen, avocat, ancien Bâtonnier de l'Ordre du barreau du Val-de-Marne, a commencé par souligner un paradoxe. Alors, en effet, que la justice est extrêmement décriée, parce que trop lente, trop chère, trop compliquée, trop lointaine, et souvent incertaine, force est de constater que jamais elle n'a été autant saisie. Et si l'individu requiert du juge toujours plus d'interventions, il n'en accepte pas pour autant sa décision. La décision de justice est aujourd'hui contestée, trop souvent inexécutée ou soumise systématiquement à une voie de recours.

C'est précisément là que la médiation prend tout son sens, puisque qu'elle va adoucir la décision qui interviendra en retour. L'ancien Bâtonnier est, en effet, favorable depuis toujours à la médiation et a oeuvré au barreau du Val-de-Marne pour essayer de développer ce mode alternatif de règlement des litiges.

Fabrice Vert, conseiller à la cour d'appel de Paris, nommé tout récemment conseiller coordonnateur des politiques de médiation et de conciliation du ressort de la cour, a rappelé les conclusions du rapport "Célérité et qualité de la justice. La médiation : une autre voie", issu du groupe de travail sur la médiation présidé par Jean-Claude Magendie, et est ainsi revenu sur les raisons qui peuvent expliquer que le bilan de la médiation judiciaire reste encore très mitigé.

Pour mémoire, en février 2008, Jean-Claude Magendie, premier président de la cour d'appel de Paris, souhaitant développer les modes alternatifs de règlement des conflits, a réuni des représentants de la famille judiciaire et des pionniers de la médiation issus d'horizons très divers, constituant ainsi un groupe de travail composé de magistrats, auxiliaires de justice, professeurs de droit, médiateurs, associations de médiateurs, instituts de formation à la médiation. Il leur a donné pour mission d'établir un état des lieux et de former des préconisations pour que la médiation devienne un mode habituel de traitement des litiges.

Il apparaît ainsi que l'une des raisons du succès mitigé de la médiation judiciaire vient, tout d'abord, d'un problème culturel, c'est-à-dire qu'il n'est pas dans la mentalité des Français d'avoir recours au compromis pour régler les litiges.

Est, ensuite, en cause le manque de lisibilité résultant de la confusion entretenue entre les notions de conciliation, médiation, arbitrage, négociation, transaction et de l'utilisation anarchique du terme de médiateur par des personnes qui se prévalent de cette qualité sans en remplir les conditions requises.

Mais surtout, il semble que l'une des raisons de l'échec de la médiation judiciaire est d'avoir été présentée aux magistrats comme un "moyen de désengorger les juridictions" ou comme une justice "douce", par opposition à une justice "dure". Or, au contraire, selon Fabrice Vert, la médiation doit être perçue comme un enrichissement de la réponse judiciaire, et non pas comme son substitutif. Pour certains types de contentieux, le rôle traditionnel du juge qui tranche le litige par la règle de droit n'apporte pas la réponse sociale adéquate.

L'idée selon laquelle l'obstacle majeur au développement de la médiation vient d'une résistance de certains magistrats qui craignent d'être dépossédés de leur mission a également été avancée par Elizabeth Menesguen. Mais, selon elle, les magistrats doivent être rassurés à cet égard pour plusieurs raisons. Tout d'abord, parce que c'est toujours à eux qu'il incombe d'ordonner la mesure à la demande d'une partie, sur requête conjointe ou à leur initiative. Par ailleurs, ils doivent recueillir l'accord de toutes les parties. C'est également eux qui désignent le médiateur et fixent un délai qui ne peut excéder trois mois, renouvelable une fois ainsi que la date à laquelle l'affaire doit être rappelée. Enfin, ils homologuent le protocole passé entre les parties. Ils ne perdent donc pas l'issue du procès, soit qu'ils aient à homologuer un accord, soit qu'ils aient à trancher sur des éléments qui resteraient en désaccord. En effet, elle rappelle qu'une médiation réussie n'a pas nécessairement tout résolu. Le succès de la médiation se situe quelquefois simplement au niveau du lien renoué entre les parties. Par ailleurs, la médiation ne résout pas nécessairement tous les problèmes posés par le litige.

Par ailleurs, selon le Bâtonnier, les mêmes craintes existent du côté des avocats. Là encore, au contraire, loin de perdre le contrôle du procès, ceux-ci doivent y voir leur rôle de négociateur renforcé. En effet, ils vont conditionner le bon déroulement de la mesure et assurent la protection des intérêts de la partie qu'ils assistent. Ils peuvent ainsi exercer pleinement leur "fonction de conseil".

Comme le relève Elizabeth Menesguen, la médiation permet ainsi aux intéresser de se "réapproprier leur conflit", et d'avancer eux-mêmes vers une solution possible. Engagé dans la voie du contentieux judiciaire, le conflit va être réorienté vers un traitement consensuel sous l'égide du juge pour la recherche d'une solution négociée du procès, solution acceptable et acceptée.

En fin de compte, selon l'ancien Bâtonnier, dès lors que le problème est profondément culturel, la seule manière de parvenir à changer les mentalités est tout simplement de faire valoir la médiation dès l'enseignement à l'Université. En effet, les jeunes avocats n'ont aucune notion sur ce qu'est la médiation, et il en est de même à l'ENM.

Fabrice Vert a rappelé que le rapport "Magendie" préconise donc la généralisation au profit du juge du pouvoir d'enjoindre les parties, non pas de recourir à la médiation, mais de s'informer sur la médiation. A cet égard, il pourrait être opportun de prévoir que, lorsque le juge a proposé une médiation et a enjoint les parties de s'informer sur la médiation, toute demande formulée par une partie sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6906H7W) serait automatiquement rejetée si celle-ci ne s'est pas effectivement informée sur la médiation.

C'est ainsi que Danièle Ganancia, vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris, qui, dans la lignée de la Commission "Magendie", a été nommée référent pour la médiation au tribunal, a livré au public l'expérience du TGI de Paris avec sa politique de mise en place de la médiation dans les chambres civiles ainsi qu'aux affaires familiales.

Le rôle du référent est d'impulser et de coordonner les actions de médiation au tribunal. A ce titre, pour commencer, Danièle Ganancia a mis en place toute une réflexion en concertation avec les magistrats. Selon elle, l'idée forte est que la médiation doit être intégrée au fonctionnement de la juridiction si l'on veut qu'elle s'implante. Cela signifie qu'il faut qu'il y ait des structures pérennes et qu'il y ait une organisation précise, commune à toute la juridiction ou du moins à certaines chambres.

En effet, rejoignant Elizabeth Menesguen et Fabrice Vert sur le problème de la réticence culturelle des magistrats et des avocats à la médiation, Danièle Ganancia insiste sur l'importance d'une impulsion qui doit être donnée par la hiérarchie, et de mener une politique concertée au niveau de la juridiction entre tous les acteurs, c'est-à-dire les magistrats, les avocats, les médiateurs.

Concrètement, le référent est donc chargé d'impulser la médiation, avec une unité de médiation civile présidée par le président du tribunal et qui est entourée de magistrats, d'avocats et de greffiers. Un protocole d'accords a été signé entre le barreau et le tribunal, avec en annexe une charte des médiateurs. Par ailleurs, il a été dressé une liste des médiateurs auprès du tribunal.

Ensuite, l'organisation qui a été mise en place est celle de la double convocation. Le principe de la double convocation est que les juges sélectionnent les affaires qu'ils considèrent comme se prêtant à la médiation. En même temps qu'ils adressent la convocation à l'audience, ils adressent, en même temps, aux parties et aux avocats, une convocation à se présenter à un entretien d'information devant le médiateur qui a lieu avant l'audience de procédure (soit quinze jours ou trois semaines avant l'audience). L'idée de départ est ainsi d'inviter les parties à s'informer devant un médiateur en tout début de procédure, afin d'éviter la cristallisation de la procédure de façon très conflictuelle.

Parallèlement, afin d'assurer ces entretiens d'information à la médiation, le tribunal de Paris peut compter sur la contribution bénévole de quatre associations de médiation très investies. Il a été pris pour option de faire appel à des médiateurs spécialisés dans chaque domaine de contentieux des différentes chambres du tribunal, de façon à ce qu'ils puissent être en mesure de continuer la médiation avec les parties si elles l'acceptent.

Lors de l'audience de procédure, les parties indiquent alors au juge si elles acceptent, ou non, la médiation. Le cas échéant, le juge désigne un médiateur ; dans le cas contraire, la procédure se poursuit normalement, sans qu'il n'y ait eu pratiquement aucune perte de temps (au maximum un mois et demi), sachant, comme le souligne Danièle Ganancia, que si les parties acceptent, cela représente un grand intérêt pour elles d'arriver à une solution négociée et qui leur donne une meilleure satisfaction qu'une justice imposée.

S'agissant des résultats de cette expérience de la double convocation, il est encore trop tôt pour établir un bilan, mais si l'on ne peut parler d'un véritable essor, le développement de la médiation est encourageant. On peut, en effet, constater que, majoritairement, les parties se présentent à la convocation, et avec leur avocat, alors qu'il ne s'agit pas d'une obligation mais d'une invitation. Dans 42 % des cas, elles se déclarent favorables à la médiation, et le résultat est encore plus important (69 %) lorsqu'elles se présentent ensemble. Il existe cependant un décalage entre la déclaration des parties en faveur de la médiation et le taux réel d'engagement dans le processus, faisant apparaître une déperdition.

Danièle Ganancia regrette cette déperdition, faisant valoir tous les avantages de la médiation, ne serait-ce qu'au niveau des délais de procédure. En effet, la plupart du temps, les parties peuvent parvenir à un accord au terme de trois entretiens de médiation, ce qui laisse imaginer ce que cela représente en termes d'accélération de la procédure, si l'on compare avec une procédure d'une durée moyenne d'un an et demie, à laquelle peuvent s'ajouter l'appel et la cassation. Par ailleurs, les parties peuvent trouver la satisfaction d'avoir réinitialisé une communication, et ainsi d'avoir pu préserver des relations entre elles, ce qui est indispensable dans le cadre familial, mais également en matière commerciale.

Les résultats de cette institutionnalisation au niveau du tribunal de Paris montrent que la médiation pénètre peu à peu dans l'esprit des juges, qui ordonnent la médiation de façon plus systématique, même en dehors de la double convocation. La médiation apparaît ainsi de nature à infléchir la pratique du tout judiciaire.

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